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A
A

Elle songeait au terrible danger que laissait présager pour elle cette lettre anonyme.

Que faire ?

Soudain Nini retrouva son sang-froid…

Avec une subite présence d’esprit elle venait d’envisager, en une seconde, tous les détails de l’aventure, et elle croyait comprendre. Oui, elle comprenait qui pouvait avoir intérêt à ce que Françoise ne revît jamais Garrick, qui pouvait connaître la jeune femme, qui pouvait lui offrir de lui restituer le petit Daniel.

Nini, traîtreusement, se composa une attitude de douloureuse sympathie.

C’est d’une voix douce, attendrie, compatissante, qu’elle demanda :

— Et qu’avez-vous répondu, Françoise ?

— Garrick est perdu. Jusqu’ici j’avais voulu espérer, mais cette fois je ne peux plus. Même après sa condamnation, je pensais que l’on retrouverait sa femme, et qu’il serait innocenté. Mais maintenant il est trop tard. Dans quelques jours il va mourir, je ne peux plus, rien pour lui. J’ai bien le droit de sauver mon fils…

— Vous acceptez donc ?

— Oui, j’accepte, j’accepte pour Daniel.

***

Deux heures après cette scène où Nini avait si cruellement abusé Françoise, s’était à ce point jouée de ses sentiments que la jeune femme demeurait persuadée que son amie l’aimait de toute son âme, Nini, dans une rue écartée retrouvait Beaumôme…

L’apache avait l’air soucieux :

— Et alors ? interrogea-t-il, quoi qui se passe ? Tout ça, c’est des affaires, vois-tu, Nini, qui commencent à me cavaler salement… Qu’est-ce qu’elle t’a dit, ta gonzesse ?

Nini, elle aussi, avait repris un visage mauvais. Certes, elle s’applaudissait d’avoir su jouer la comédie, elle s’applaudissait d’avoir ainsi dupé Françoise, mais elle se rendait compte qu’elle n’était pas près de sortir d’embarras… Les pires dangers s’accumulaient, les menaces s’amassaient à l’horizon. Et l’affreuse fille se disait en elle-même :

— Si je veux me tirer de tout ce guêpier, va falloir que je joue serré, va falloir que je fasse de la place.

Nini était donc de méchante humeur. Elle haussa les épaules :

— Je ne dis pas la messe dehors, fit-elle, si tu veux causer, rentrons.

Beaumôme crut voir le ciel s’ouvrir devant lui.

— Tiens, s’écria-t-il, je ne demande pas mieux, moi, allons à ta turne, Nini… on causera d’affaires, si besoin en est, et puis, après, dame… Je pense bien que tu songeras à donner, enfin, à ton homme, des preuves de ta tendresse ? car c’est pas pour dire, mais…

Nini, en réponse, haussa encore les épaules, colère… puis elle se fit doucereuse :

— Beaumôme, commença-t-elle, je crois bien que je vais avoir un nouveau service à te demander. Mais là, tu sais, ça sera le dernier, après…

— Ouais, pensait Beaumôme, j’parie qu’elle va encore me demander une petite exécution ?…

***

Quelques jours après, dans le salon de Françoise Lemercier, un très modeste salon, une sorte de parloir, car la jeune femme n’était pas riche, des hommes graves discutaient.

Ils étaient trois d’âge à peu près analogue, la cinquantaine passée et tous les trois, l’un après l’autre, parlaient :

— Symptômes graves, disait un premier…

— Processus morbide, affirmait un deuxième…

Le troisième se contentait de toussoter, les mains ouvertes en signe de résignation…

Puis, les hommes graves se turent jusqu’à ce que l’un d’eux se décidât à déclarer :

— Il faut aviser.

Ils en seraient restés là, sans doute, si la porte ne s’était ouverte, brusquement, pour livrer passage à Nini, qui, les yeux rouges, la figure gonflée comme si elle venait d’avoir une véritable crise de larmes, les mains jointes, se précipita vers les trois hommes, interrogeant d’une voix haletante :

— Eh bien, docteurs ?

Le plus âgé des trois se décida à répondre à Nini :

— Mon Dieu, mademoiselle, il est certain que votre amie est malade… très malade.

— Ah ! c’est horrible ! mais qu’a-t-elle ?…

— Le diagnostic est difficile à préciser, mademoiselle, très difficile. Mes collègues sont, je crois, du même avis que moi ?

Les deux autres médecins s’inclinèrent gravement.

— Et c’est pourquoi nous tardons à vous donner le résultat de cette consultation, à laquelle nous avons été appelés sur l’avis de votre infirmière, d’ailleurs fort bien inspirée…

Le médecin fit une pause, puis, se décida à reprendre :

— Nous voudrions tout d’abord savoir, mademoiselle comment cette indisposition s’est déclarée ?

Nini qui s’était arrêtée au milieu de la pièce et qui avait examiné successivement la figure des trois médecins, comme si elle cherchait à deviner leur pensée, répondit :

— Mais subitement, messieurs, subitement… Françoise allait très bien il y a une semaine encore, et puis tout d’un coup elle s’est plainte de violentes douleurs à l’estomac, de fourmillements dans les jambes, de maux de tête violents…

L’un des docteurs acheva :

— Et la fièvre l’a prise ?

— Oui, monsieur, et la fièvre l’a prise…

— C’est alors, mademoiselle, qu’effrayée de voir votre amie souffrante, vous avez fait venir le médecin du quartier ?

— Oui docteur…

— Puis la malade a été moins bien, n’est-ce pas ?… Le délire s’est déclaré, et votre propre médecin vous a conseillé de prendre une infirmière ?

— Oui, docteur…

— Laquelle infirmière, effrayée à son tour de voir baisser le pouls de la malade a fait sa déclaration, cette bizarre déclaration que j’ai entre les mains – et le docteur agitait une feuille de papier – au poste de police qui nous a commis tous les trois pour examiner M meFrançoise Lemercier, rechercher l’exacte nature de son indisposition, décider enfin quelle pouvait en être la cause…

— C’est bien cela, messieurs, et vous ne trouvez rien ?

La voix de Nini s’était faite encore plus anxieuse.

Évidemment, la jeune femme n’était pas dupe des paroles onctueuses du médecin. Elle se rendait parfaitement compte, que le célèbre médecin que la police avait envoyé parlait beaucoup pour ne rien dire, et noyait le poisson.

— Nous trouvons, mademoiselle, reprit enfin l’homme de science, des symptômes extraordinaires et contradictoires. Votre infirmière, M lleKate, nous disait tout à l’heure, conformément d’ailleurs à ce qu’elle indiquait dans sa déclaration, qu’elle avait un instant supposé qu’il pouvait s’agir d’un empoisonnement… Après examen de la malade, je dois vous dire qu’il semble, à mes confrères, comme à moi, que ce soit bien là le cas en effet. Mais d’autre part, nous ne comprenons pas d’où pourrait provenir cet empoisonnement, et, par conséquent, comment nous pourrions y remédier.

Nini joignit les mains, encore une fois dans un geste affolé :

— Ah ! c’est horrible ! c’est épouvantable s’écria-t-elle… nous sommes trop malheureuses. Françoise empoisonnée… non, je n’y puis croire. Cela ne peut pas être. Et puis, qui donc aurait pu l’empoisonner ? Il faut donc que la fatalité s’acharne sur elle… c’est à devenir folle.

— Calmez-vous, mademoiselle, calmez-vous. Rien n’est encore désespéré. Je vous disais donc, que mes collègues et moi pensions à un empoisonnement… Mais étant donné que votre amie est malade depuis plusieurs jours, une chose me surprend, c’est que cet empoisonnement ait encore des effets. S’il résultait d’aliments toxiques absorbés il y a quelque temps, cet empoisonnement aurait eu son issue déjà… Votre amie serait guérie ou…

— Ah ! mon Dieu !

— Or, reprit le docteur, la malade ne va ni mieux, ni moins bien… son état est stationnaire… Cela semblerait indiquer un empoisonnement chronique, une ingestion répétée d’aliments nuisibles. Mais cela est inadmissible, d’autre part, puisque, j’en ai eu l’assurance encore par votre infirmière, sur les conseils, sur les ordres même du médecin que vous avez appelé en premier, M meFrançoise ne se nourrit, en ce moment, rigoureusement, que de lait pur, de lait qui vous est envoyé directement par une ferme, en litres cachetés, de lait qui ne peut pas être empoisonné, de lait qui ne peut pas être mélangé de poison, même dans votre entourage, puisque vous poussez la précaution et le scrupule à n’ouvrir ces bouteilles, vous et votre infirmière, qu’en présence l’une de l’autre. Par conséquent…

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