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— À mon tour d’interroger, reprit Juve, avant de vous répondre. Dites-moi, Fantômas, qu’avez-vous fait de Jérôme Fandor ?

Un profond silence suivit.

Les deux hommes en étaient arrivés au point capital de leur entretien. L’un et l’autre avaient le plus grand besoin de savoir. Tous deux voulaient connaître la vérité, et tous deux, d’ailleurs, se sentaient prêts à la dire. Mais hélas que pouvaient-ils répondre ?

Juve avait eu le beau geste, lorsqu’il avait incité, par l’intermédiaire de French, lady Beltham à revenir à Londres pour proclamer l’innocence de son mari. Juve ne voulait pas, en effet, – il avait une conscience trop droite pour cela, et une trop saine conception de l’équité – permettre que Fantômas fût condamné sous le nom de Garrick, alors, qu’en tant que Garrick, il était parfaitement innocent. Juve voulait aussi que la confusion du bandit fût plus grande et que Fantômas fût châtié, non pas sous un nom supposé et pour un crime inexistant, mais bien eu égard à sa sinistre qualité de Fantômas, pour les innombrables meurtres, les inqualifiables assassinats, les formidables crimes qu’il avait commis sous cette célèbre signature.

Et puis enfin, pour que le bon droit triomphât, ne convenait-il pas de savoir avant toute chose « qui était » Fantômas ?…

Malheureusement, le projet de Juve avait échoué d’une façon à la fois mystérieuse et tragique. Le détective French avait disparu pendant son retour vers l’Angleterre, et lady Beltham, profitant de cette circonstance qui lui rendait la liberté, avait négligé de se présenter devant la Cour, demeurait introuvable.

Juve allait-il être obligé d’avouer cette défaite à son adversaire ?

Fantômas d’autre part savait que s’il pouvait espérer quelque chose de Juve, un délai, un atermoiement quelconque, il ne l’obtiendrait, et ne gagnerait l’indulgence du policier, qu’à condition de lui fournir des renseignements précis sur ce qu’était devenu Jérôme Fandor.

Or le sort du journaliste constituait l’une des plus graves préoccupations du formidable Fantômas…

Lui non plus n’avait pas réussi à mener à bien le projet qu’il avait médité.

Certes il s’était emparé de Jérôme Fandor, il l’avait enfermé, ligoté dans un endroit mystérieux. Fantômas avait annoncé au journaliste qu’il le conservait désormais comme otage, et le conserverait jusqu’au jour où il n’aurait plus besoin de lui.

Mais voici que, par suite du départ inopiné de Françoise Lemercier, trompée par la découverte de ce maudit journal canadien, Fantômas parti à sa recherche et fortuitement obligé de rester à bord du Victoria, avait été pris dans un enchevêtrement d’aventures tel qu’il n’avait pu s’en dégager jusqu’ici.

Le hasard, quelquefois, fait mal les choses, et si Fantômas était anxieux sur son propre sort, il l’était tout autant sur celui de Jérôme Fandor, car il n’avait pas prévu ce qui lui était arrivé et se demandait ce qu’un destin aveugle avait réservé au journaliste depuis le jour où Fantômas, contrairement à ses intentions, avait cessé de s’occuper de lui…

Qu’allait-il pouvoir répondre à Juve ? et s’il le bernait d’un mensonge, le policier se laisserait-il longtemps piper aux apparences ?

Juve, catégorique et franc comme à son ordinaire, avoua nettement à Fantômas :

— Lady Beltham, je l’ai retrouvée et je l’ai reperdue. Elle n’avait qu’un geste à faire pour vous sauver… Je l’ai engagée à le faire, elle s’y est refusée. Quelle conclusion faut-il en tirer ?

Fantômas devint horriblement pâle.

Il se rendait compte qu’il ne pouvait pas douter des paroles de Juve.

Le cœur de lady Beltham lui était-il fermé à tout jamais ?

Fantômas ne pouvait, ne voulait pas le croire, tant il estimait puissante la fascination que jusqu’alors il avait exercée sur l’esprit de l’infortunée grande dame.

Et pourtant cela devait être. Juve ne mentait pas.

Oh, coûte que coûte, – il ne lui restait plus qu’un seul espoir, – il fallait reprendre lady Beltham, la retrouver, se faire libérer grâce à elle et pour cela, un seul homme pouvait l’aider… c’était Juve, Juve auquel, en échange, il allait rendre Fandor…

Fantômas redevint livide.

Juve s’en était aperçu, et le policier se demandait avec angoisse quel était l’extraordinaire combat qui se livrait dans l’âme du monstre…

Le policier, toutefois, ne souffla mot.

Il sentait que Fantômas, poussé à bout, allait certainement prononcer des paroles définitives, faire ses aveux. Juve avait le pressentiment que ce que Fantômas lui dirait, ce serait la vérité.

Après un long silence, Fantômas, dont le front pâle s’était couvert de sueur froide, se ressaisissait peu à peu.

Ah ! quelle belle énergie que celle de cet homme !

— Juve, murmura lentement le bandit, comme s’il sortait d’un long rêve, Juve, si vous avez perdu la trace de lady Beltham, je dois vous avouer, qu’après m’être emparé de Fandor, qu’après m’être promis de le conserver vivant pour me servir d’otage vis-à-vis de vous, j’ai perdu sa trace… et je ne sais pas ce qu’il est devenu…

— Fantômas, Fantômas, hurla Juve, dites-vous la vérité ?

— Sur ce que j’ai de plus sacré au monde, s’écria le bandit, je vous jure que je dis la vérité.

— Qu’aviez-vous fait de Fandor ?…

— Je l’avais enchaîné…

— Où cela ?

Mais Fantômas s’interrompit brusquement, déjà il changeait d’attitude.

Peut-être estimait-il qu’il en avait déjà trop dit…

Trop ? non pas, mais suffisamment, à coup sûr…

Juve, en effet, était haletant, suspendu aux lèvres du brigand, buvant littéralement ses paroles. Le policier, – cela était certain, – consentirait désormais à toutes les concessions pour obtenir de Fantômas les aveux qui lui permettraient de retrouver son malheureux ami.

Le bandit ajouta :

— Chaque jour, chaque heure qui s’écoule augmente les tortures de Jérôme Fandor…

Et Juve, en entendant ces mots, certain que Fantômas disait vrai, crispait les poings, écumait de rage, et cependant ne pouvait rien faire.

— Fantômas, supplia Juve, – car désormais le policier suppliait, – dites-moi où est Fandor, de grâce…

Fantômas l’interrompit :

— Pas de générosité entre nous, déclara-t-il, nous faisons des échanges, donnant donnant, c’est ma devise, Juve, vous retrouverez Jérôme Fandor si je revois lady Beltham.

— Foi d’honnête homme, Fantômas, vous la reverrez…

— Vous avez pour cela cinq jours au plus… cinq jours, entendez-vous, Juve ?…

— Cinq jours seulement ? interrogeait le policier… pourquoi ?

Fantômas eut un sourire amer, il ricana :

— Juve, parce que dans cinq jours, Garrick sera pendu…

Les deux hommes s’arrêtèrent brusquement.

Un pas furtif se faisait entendre dans le couloir. Bientôt une clé glissait dans la serrure, la porte de la cellule s’ouvrit, le gardien parut :

— Les deux heures sont écoulées, annonça-t-il, monsieur le policeman, votre service est terminé pour ce matin, moi, je m’en vais conduire Garrick au préau. Cet après-midi vous devrez lui tenir encore compagnie… de deux à quatre, c’est le règlement, et puis vous serez encore avec lui ce soir, de huit heures à dix heures, telles sont les instructions de M. le Directeur de la prison…

Pendant que Fantômas se préparait à suivre le gardien pour effectuer sa promenade quotidienne, Juve, que l’émotion faisait tituber, gagna la porte extérieure de la prison, et il se répétait :

— Donnant donnant… lady Beltham contre Fandor… Fandor en échange de lady Beltham… voilà les conditions de Fantômas, soit, je les accepte… après… nous verrons…

22 – LE PACTE DES SEIGNEURS

Une petite maison, toute modeste, du sud de Londres…

À la suite des terribles aventures qui avaient bouleversé sa vie de si tragique façon, Françoise Lemercier, victime de la destinée qui s’était acharnée sur elle et sur son amant, s’était retirée là pour y vivre en paix, d’une existence monotone, torturée sans cesse par le souvenir des jours heureux passés, par l’inquiétude et le chagrin jamais apaisé que lui avait valu la mort de son enfant, sa disparition au moins, puisqu’il semblait prouvé que le petit Daniel vivait toujours…

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