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— Tout de même, si j’étais ce monsieur, je ne serais pas rassuré.

Interdits, les joueurs considéraient Juve, se demandaient s’il allait encore tenter la fortune ?

— Dites donc, Duval, non, Dupont, cria Louppe, je vous l’avais bien dit, que vous alliez gagner, hein ? je l’ai, le bon œil ?

— Faites vos jeux.

On jouait timidement… Juve s’abstint.

Quelques instants plus tard, le croupier annonçait :

— Le 13. Faites vos jeux.

Isabelle de Guerray, ne quittait pas Juve du regard. Et comme, d’un geste assuré, bien qu’il fût un peu nerveux, Juve jetait de nouveau trois louis sur le 7, l’ancienne jolie femme, cria :

— Vous jouez le sept, la noire, monsieur Dupont ? Très bien. Je prends la contrepartie, voilà dix louis sur la rouge.

De nouveau quelques minutes d’angoisse. « Rien ne va plus ». La bille bondit, saute de numéro à numéro.

— Le 12.

— Non, le 20.

— Vous allez voir, que ce sera le 14.

Nouveaux pronostics. Puis, la voix du croupier retentit, dominant le murmure angoissé :

— Le 7 noir, impair et manque.

Nouvelle pluie d’or, qui s’abat vers Juve. Mais, cette fois, le policier est très pâle.

Deux fois de suite, il vient de jouer le 7, deux fois le numéro fatidique est sorti. Coïncidence ? Hasard ?

Troublé malgré lui, Juve n’hésite pas. Il jette encore trois louis d’or sur le 7.

— Nous verrons bien.

Autour de la table de roulette, le silence se fait, absolu.

Imperturbable, le croupier annonce encore :

— Le 7 noir, impair et manque. Faites vos jeux.

***

— Juve ?

— Hein ? Laisse-moi.

— Non, venez.

— Pourquoi ?

— Vous avez assez gagné.

— Fiche-moi la paix.

— Venez, je vous en prie ?

— Zut, flûte.

Mais Fandor ne se tient pas pour battu.

— Combien de fois avez-vous joué ?

— Dix-sept fois.

— Et ces dix-sept fois ?

— Le 7 a gagné.

— Vous voyez bien que c’est assez. Venez.

— Non.

— C’est tenter le diable.

Ce colloque se poursuit à voix basse, entre Juve et Fandor, tandis que la bille tourne, folle, soumise aux seules lois du hasard.

— Venez, répète Fandor. Je vous assure que cela me fait peur de vous voir jouer ce numéro et gagner ainsi avec une veine insolente. Combien avez-vous ?

— Je ne sais même plus. Une trentaine de mille francs ? Ou plus.

— Vous allez tout reperdre.

— On verra bien.

— Mais enfin, cela me fait peur.

— Tu n’es qu’un froussard.

Coupant le colloque, la voix du croupier annonce :

— Le 7.

Mais à ce moment, le croupier a chaud. C’était la dix-huitième fois que le 7 sort.

Juve, très tranquillement cependant, prend une poignée de louis d’or, les rejette sur le tapis, mise sur le 7.

Or, Fandor poursuit :

— Oui, cela me fait peur, et cela fait peur même à Ivan Ivanovitch.

En entendant ce nom, Juve a un petit tressaillement.

— Où est-il ?

— Qui ? Ivan Ivanovitch ? Il est toujours au même endroit, sur le canapé. Qu’est-ce que cela peut vous faire ?

— Va le retrouver. Ne le quitte pas.

Mais, encore une fois, le croupier annonce :

— Le 7. Faites vos jeux, messieurs, dames.

Juve a le sang au visage.

Ses mouvements sont fébriles. Pourtant un sourire flotte sur sa lèvre.

Il est d’ailleurs presque seul à continuer à jouer.

Sa dernière mise a été formidable, il a devant lui près d’une centaine de mille francs.

— Continuons, murmure-t-il.

Et il laissait sur le 7 le maximum permis.

Mais cette fois, Fandor est décidé à intervenir.

— Vous ne resterez pas là, dit-il à Juve. Je vous arracherai de cette table et de force.

Mais Juve vient de prendre son ami par le poignet et de le forcer à se baisser vers lui. Il lui souffle :

— Tais-toi donc, idiot. Donne-moi ton lorgnon, et attends le coup suivant.

Fandor s’exécute, sans comprendre.

Il a eu peur de voir Juve jouer le 7, mais il reprend confiance en voyant avec quelle autorité le policier lui parle.

À coup sûr, Juve doit soupçonner quelque chose. Mais quoi ?

Et puis qu’est-ce que cette demande de lorgnon ?

Fandor, abasourdi, tend le pince-nez à verres noirs qu’il avait acheté dans la journée pour protéger ses yeux, assez délicats, des ardeurs du soleil et demande :

— Que voulez-vous faire, Juve ?

— Tu vas voir.

Avec une voix tremblante, le croupier annonce :

— Le 7. Trois impair et manque. Allons, messieurs, dames, faites vos jeux.

Juve mise encore sur le 7.

Mais au lieu de surveiller la roulette, Fandor remarque que son ami lève la tête et fixement, considère la muraille devant lui.

Il a demandé le lorgnon de Fandor et voilà qu’il ne s’en sert même pas puisqu’il l’a placé devant lui, à plat sur le tapis.

— Ma foi, songe le journaliste, je crois que Juve se moque de moi ?

Mais à cet instant précis, Fandor est bien forcé de changer d’opinion. Le croupier annonce d’une voix tonitruante :

— Le 7, trois.

Et il jette vers Juve une liasse de billets de banque.

Or, Juve se lève, oui Juve se lève d’une seule masse. Le policier paraît radieux.

Il a un geste large, un geste superbe, pour repousser vers le caissier le tas d’or et de billets de banque qui représentent ses gains de la soirée, cependant qu’il crie :

— Reprenez cette fortune, monsieur. C’est de l’argent volé. La roulette est truquée. Je me fais fort de le prouver. Faites évacuer la salle.

15 – UN REFLET SAUVE MONACO

Tout de suite, ç’avait été le brouhaha.

Certes il fallait que Juve fût peu au courant des procédés habituellement employés dans les casinos pour avoir agi comme il venait de le faire. Jamais, au grand jamais on n’avait assisté à pareil scandale, jamais, au grand jamais, même, on n’en eût admis la possibilité à Monte-Carlo.

Si Juve avait découvert un truquage, ainsi qu’il l’affirmait, il aurait dû tranquillement se lever, aller en avertir la direction. On eût arrêté le jeu à la table de roulette et c’eût été seulement les joueurs une fois partis que l’on se fût occupé de vérifier ses dires.

Mais Juve savait ce qu’il disait. Il connaissait la mauvaise volonté qu’apportait M. de Vaugreland à éclairer les scandales qui attristaient Monte-Carlo. Il s’était dit qu’il fallait frapper un grand coup, causer un scandale pour s’acquérir la sympathie de l’opinion et forcer de la sorte les autorités à aider directement son enquête au lieu de la paralyser, de la négliger tout au moins.

Si tel était le désir de Juve il faut convenir qu’il y avait parfaitement réussi.

À son cri les joueurs s’étaient levés, et avaient poussé des cris.

— La roulette est truquée.

— On nous volait.

— Ah ! c’est abominable.

— Il faudra qu’on rembourse les enjeux de ce soir.

Et pendant ce temps effarés, blêmes, la sueur au front, les croupiers s’empressaient :

— S’il vous plaît, messieurs, mesdames. Ne demeurez pas là. Vous avez entendu ? il faut immédiatement vérifier. L’ordre est formel : évacuez la salle. Allons, messieurs, mesdames. Un peu de bonne volonté.

Dix minutes plus tard, dans les salons de jeu, il ne restait plus en présence que Juve, les croupiers, Jérôme Fandor, puis M. de Vaugreland, furieux, qui gesticulait en hurlant :

— La roulette est truquée, avez-vous dit ? ah ça ! vous êtes fou, complètement fou. Je suis sûr de mes croupiers. Je suis certain que vous vous trompez.

Mais Juve, d’une voix calme coupa court à l’éloquence du directeur :

— Les croupiers ne sont nullement compromis. Ce ne sont pas eux qui ont truqué la roulette.

— Qui donc alors ?

— Vous m’en demandez trop, je ne connais pas encore le nom du coupable. C’est déjà joli, il me semble, d’avoir trouvé la façon dont il opérait ?

— Oui, si vous avez trouvé cette façon.

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