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Et c’était là une promesse qui avait son importance pour Jérôme Fandor, car si le journaliste avait erré de par le monde, avait vu bien des choses, fait bien des métiers, il ne s’était jamais enrichi à son métier de reporter. Bien au contraire, dès qu’il avait des économies il les dilapidait sans compter pour les besoins de la cause et lorsque, par aventure, il ne se passait rien qui fût susceptible d’intéresser son humeur aventureuse, il était fort heureux de trouver à La Capitale, la modeste, mais suffisante mensualité qui lui permettait d’attendre le lendemain.

Ayant entendu M. Dupont de l’Aube, Fandor fit la grimace :

— Une mission de confiance, répéta-t-il, feignant un immense désespoir, c’est bien pour moi… moi qui m’imaginais que j’allais passer l’hiver tranquille, c’est au moins au Pôle Nord ou dans le Centre de l’Afrique que vous m’envoyez. À moins qu’il ne s’agisse de partir dans la machine d’un inventeur qui prétend se rendre de la Terre à la Lune par les voies les plus directes et les moins encombrées ?

— Jérôme Fandor, la mission dont je veux vous charger est de tout repos. L’air de Paris ne vous vaut rien en ce moment, j’en suis convaincu, et vous avez besoin de passer quelques jours à l’endroit le plus charmant qu’il existe en cette saison. Je vous envoie à Monte-Carlo et je vous donne un crédit illimité, à la condition, bien entendu, que vous soyez raisonnable.

— Bien, rétorqua Jérôme Fandor, cela ne m’a pas l’air ennuyeux pour le moment. Que vais-je donc faire à Monte-Carlo ?

— Ce qu’on y fait toujours, Fandor. Vous vous lèverez de bonne heure, vous vous coucherez tard, vous irez au Casino, au théâtre, dans les restaurants à la mode, vous vous ferez de belles relations, vous organiserez des promenades en automobiles, avec des amis, même avec des dames. Vous parlerez de tout et de rien, vous ouvrirez les yeux, vous regarderez autour de vous.

— Parfait, je vois ce dont il s’agit. Il y a comme on dit des « punaises dans la friture » et c’est à propos du coup de téléphone du correspondant que vous voulez que j’aille enquêter. Le numéro sept, l’officier russe, tout cela vous turlupine, n’est-ce pas, monsieur Dupont de l’Aube, et vous désirez un beau papier sensationnel de votre envoyé spécial ? Il y a aussi, je crois, certaine mort subite sur la voie du chemin de fer à propos de laquelle les lecteurs de La Capitaledoivent vouloir des renseignements ?

M. Dupont de l’Aube s’était levé, il prenait son chapeau, son pardessus.

Le populaire sénateur, extrêmement mondain, avait sans doute encore quelque dîner en ville qui l’empêchait de prolonger son séjour au journal. Au surplus il n’avait plus rien à dire à son collaborateur.

Jérôme Fandor, en effet avait très bien compris.

— Naturellement, poursuivit ce dernier en se tournant vers M. de Panteloup, cela signifie encore que je pars par le prochain train ?

M. de Panteloup, qui, depuis quelques instants déjà feuilletait l’indicateur, hocha affirmativement la tête :

— Fandor, disait-il avec enjouement, il n’est que six heures, le rapide de 7 heures 20 m’a l’air tout indiqué…

— Tout indiqué, en effet. J’avais ce soir rendez-vous avec une petite femme dont j’ai par-dessus la tête. Nous allons mettre de la sorte quelques bons kilomètres entre elle et moi.

Fandor, qui n’oubliait pas les choses importantes, fit signer par le secrétaire général un bon qu’il s’empressa de toucher à la caisse, puis le journaliste quitta le journal.

Il n’avait que le temps d’aller boucler sa valise pour attraper son train.

***

Gare de Lyon, vers 7 heures.

C’était, sur le premier quai, le mouvement accoutumé, la bousculade qui précède le départ des grands express et des trains de luxe à destination de la côte d’Azur.

Le journaliste, en maugréant, fendait la foule des voyageurs qui déjà avaient retenu les meilleurs des coins dans les compartiments disponibles :

— Pourvu, grognait Fandor, qu’il reste une place dans un wagon-lit.

Le journaliste n’osait l’espérer car à cette époque de l’année, de février à avril, tous les compartiments de luxe sont retenus.

Mais, par bonheur, le journaliste eut l’agréable surprise d’apprendre qu’une couchette était disponible. Le voyageur qui devait l’occuper manquait au dernier moment :

— Installez-moi bien vite là-dedans, dit Jérôme Fandor, en gratifiant d’un bon pourboire l’employé du wagon.

Mais soudain au moment où il allait inspecter le domicile ambulant qui allait le transporter, en l’espace d’une nuit, du cœur de Paris, maussade, embrumé et pluvieux, sur la côte d’Azur, toute resplendissante de soleil, Jérôme Fandor poussa un cri de surprise :

— Ah, par exemple ! fit-il, cela n’est pas ordinaire, que diable, mon cher, faites-vous par ici ?

Le journaliste venait d’adresser ces paroles à un homme d’une quarantaine d’années environ, aux yeux clairs, à la face rasée, aux cheveux argentés sur les tempes. L’interlocuteur de Jérôme Fandor faisait à ce moment les cent pas sur le quai, la tête penchée en avant, les yeux baissés vers le sol, comme plongé dans de profondes réflexions. Il était enveloppé dans une grande pelisse qui faisait ressortir la carrure de ses épaules.

Le personnage ainsi interpellé releva la tête, cependant que Fandor continuait :

— Juve, mon bon Juve, comme je suis heureux de vous rencontrer.

C’était en effet l’inspecteur de la sûreté, le célèbre Juve, que venait de heurter sur le trottoir de la gare de Lyon, le journaliste Jérôme Fandor.

Les deux amis se serrèrent affectueusement les mains.

Il y avait au moins quinze jours que les hasards de l’existence les avaient éloignés l’un de l’autre et quinze jours, c’était beaucoup pour ces hommes qu’unissait depuis si longtemps une sincère, une étroite amitié.

Tous deux, en effet, avaient vécu, ensemble ou séparément, mais toujours l’un pour l’autre, les heures à la fois les plus tragiques, les plus impressionnantes, les plus drôles comme les plus douloureuses, qu’il soit possible de vivre. Ils avaient été mêlés aux aventures les plus fantastiques, ils s’étaient trouvés héros ou victimes des événements les plus inouïs.

Et, en effet, si Jérôme Fandor était universellement connu, eu égard à sa qualité de reporter chargé des enquêtes les plus sensationnelles, Juve, le policier Juve, était le plus célèbre des inspecteurs de la Sûreté.

À maintes reprises, il avait été mêlé aux pires aventures, s’était trouvé dans les situations les plus compliquées, payant perpétuellement de sa personne et risquant sa peau, compromettant au besoin sa réputation, luttant contre tout et contre tous. Juve, seul, ou aidé de son ami Fandor, s’était, depuis plus de dix ans acharné à la poursuite du bandit le plus formidable qui ait défrayé la chronique, – la chronique sanglante, – et alimenté les annales du crime, du bandit qui, perpétuellement, prenait les plus différents aspects pour échapper aux poursuites les plus acharnées : Fantômas.

Or, de même que Fandor, lorsqu’il éprouvait un instant de répit, rentrait à volonté à La Capitale, comme la brebis momentanément égarée au bercail, de même Juve, hautement apprécié de ses chefs, tenu en grande estime par M. Havard, le directeur de la Sûreté, reprenait à son gré du service à la Préfecture lorsqu’il jugeait bon d’achever les congés illimités qu’il s’octroyait parfois sans vergogne, mais toujours afin de combattre Fantômas, son implacable ennemi.

***

— Juve.

— Fandor.

— Eh bien, petit, que fais-tu donc par ici ?

— Vous le voyez, Juve, je monte dans ce train, je débarque demain matin sur la côte d’Azur, je revêts mon smoking dès six heures du soir et je fais pendant une quinzaine une bombe à la fois élégante et ininterrompue.

— Vraiment, s’exclama Juve, tu n’as pas d’autre projet ?

— Si, Juve, j’ai le projet de m’amuser, de manger de bons dîners, de boire des consommations américaines et de faire la cour aux femmes, et de tenter la chance à la roulette. Après quoi je reviendrai. Et vous-même Juve ?

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