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C’était du haut du corps, de la poitrine, que Teddy respirait :

— Curieux, murmura Fandor, je n’avais pas encore vu un homme respirer de la sorte. Est-ce parce qu’il est malade, évanoui ?

Fandor jugeait que l’endroit où se trouvait Teddy n’était guère confortable ni sûr. C’était une ornière pleine de boue.

Le journaliste souleva l’enfant dans ses bras, le porta au pied d’un arbre, l’allongea sur un tertre de gazon.

Le veston de Teddy, hermétiquement fermé, lui comprimait la gorge, lui serrait le cou, et Fandor, pour donner plus d’aisance aux poumons, n’hésitait pas à défaire le vêtement.

Hardiment, il mettait à nu la poitrine.

Mais soudain ses yeux s’écarquillèrent, ses mains reculèrent effrayées.

Fandor demeura interdit de ce qu’il venait de voir… de ce qu’il voyait.

Le journaliste avait dégagé la gorge, les épaules, la poitrine de son ami Teddy. Or, ce qu’il découvrait, ces lignes pures, délicates, harmonieuses, cette peau fine et blanche et enfin, cette forme de poitrine, tout cela était fait pour le surprendre au plus haut point.

Fandor rougit et recula. Il venait de constater que Teddy n’était pas un garçon, mais une fille.

Cependant l’enfant reprenait peu à peu connaissance.

Ses yeux s’ouvraient, leur regard embrumé vacillait, clignotait à la lumière tamisée du jour qui tombait.

Et Fandor, qui, machinalement, s’était écarté, réprimait les battements de son cœur, trop ému pour prononcer une parole, ne sachant quelle attitude observer.

Teddy, se ranimait, revenait à la vie. Sans de douter de la présence de Fandor, s’apercevant que son vêtement était ouvert il le referma instinctivement en rougissant.

Mais Teddy aperçut alors le journaliste et lui lançait un regard de douce sympathie.

Fandor s’approcha, n’osant rien dire. Teddy savait-il que lui, Fandor, savait ?

— Teddy, Teddy, murmura Fandor, je suis sûr que c’est encore vous qui m’avez sauvé… mais comment saviez-vous que j’étais là ?

Teddy rougit.

Ses grands yeux au regard de velours, plongèrent dans ceux de Fandor et l’enfant répondit, sur un ton énigmatique :

— Teddy, mon cher Fandor, est toujours partout où vous êtes.

Les deux amis se considéraient en silence, mais Fandor se sentait si troublé, qu’il jugeait impossible de prolonger plus longtemps l’équivoque.

— Teddy, fit-il doucement…

— Fandor ?

Fandor hésitait à parler, le visage de Teddy exprimait un étonnement si naturel, et son regard limpide était si clair que le journaliste se demandait si véritablement il convenait d’avouer le secret qu’il avait surpris.

Fandor pourtant s’y décida ; son angoisse était trop grande :

— Teddy, demanda-t-il, est-ce bien votre nom ?

— C’est mon nom, articula l’enfant… pourquoi Fandor, me demandez-vous cela ?

— Parce que… murmura le journaliste… parce que…

Puis, brusquant les choses :

— Parce… Teddy, c’est le diminutif d’Edward et que Edward ou Teddy ce sont… des noms d’hommes.

Teddy portait la main à sa gorge comme pour s’assurer que son vêtement était bien refermé. L’enfant baissa les yeux.

Depuis quelques instants, se sentant mieux, il s’était accroupi sur le sol, dans une pose gracieuse qui lui était familière.

Mais Teddy se leva et pour dissimuler son trouble, s’éloigna de quelques pas de Fandor, alla jusqu’à son cheval et, sous prétexte de le caresser, cacha son visage derrière le col de la noble monture.

Fandor voulait pousser jusqu’au bout sa délicate enquête, il était bien trop troublé lui-même pour hésiter trop longtemps.

Fandor alla chercher Teddy, prit sa petite main douce et moite qui tremblait un peu dans la sienne, obligea l’enfant à s’asseoir à côté de lui.

Teddy, résigné, se laissa faire.

— Teddy, interrogea Fandor, j’ai plusieurs choses à vous demander qui me préoccupent. Elles remontent au jour où nous avons fait connaissance. Dites-moi, Teddy, lorsque vous m’avez rencontré dans les docks, la nuit de l’incendie, pourquoi ne m’avez-vous pas laissé fusiller par le lieutenant Wilson Drag ? J’avais toutes les apparences d’un coupable, or, vous m’avez fait passer pour fou, afin de me sauver, pourquoi ?

— Parce que…

Fandor poursuivit :

— Au National Club, lorsque le lieutenant Wilson Drag m’a provoqué et que nous allions nous battre, vous avez accusé l’officier, innocent cependant, d’être déshonoré et de ce fait vous avez empêché le duel. Pourquoi ?

— Parce que…

Mais Fandor continuait :

— Teddy, fit-il plus doucement encore, lorsque je me suis trouvé avec Winifred, lorsque j’ai eu l’occasion de flirter avec cette jeune fille et que j’ai paru à vos yeux la trouver charmante, vous vous êtes emporté contre moi, vous vous êtes mis en colère, vous m’avez presque manifesté de la haine et cependant vous n’éprouviez aucun sentiment à l’égard de Winifred ? Pourquoi donc vous était-il désagréable que je lui fasse la cour ?

Fandor s’arrêta de questionner. Teddy, en effet, qui semblait avoir pris une grande décision et dont le cœur battait à tout rompre dans la poitrine, se pencha sur l’épaule de Fandor, dissimulant son visage contre la poitrine du jeune homme.

Éperdument, Teddy sanglotait, cependant qu’il balbutiait à travers ses larmes :

— Ah ! Fandor, Fandor, pardonnez-moi de vous avoir trompé si longtemps… mais si j’ai agi de la sorte, croyez-le bien… c’est parce que je vous aime.

Le jeune homme et la jeune fille demeurèrent ainsi longtemps dans les bras l’un de l’autre, tendrement enlacés et cependant que des larmes de joie coulaient sur les joues de l’enfant, Fandor, lui aussi, sentait ses yeux s’emplir de larmes. Il lui semblait qu’une ère de bonheur s’ouvrait devant lui.

Certes Fandor n’avait pu jusqu’alors se douter de la nature exacte du sentiment très sincère et très affectueux qu’il éprouvait pour le mystérieux adolescent, qu’il considérait comme un être de son sexe.

Cependant, lorsqu’il y repensait, mille petits détails lui revenaient à l’esprit :

— J’étais aveugle, disait-il, j’aurais dû m’apercevoir…

Fandor cependant s’arracha à ses réflexions.

— Teddy, commença-t-il…

Mais il s’interrompit, sourit :

— Ce n’est pas votre nom, je ne puis continuer… mademoiselle…

Teddy souriait aussi, l’un et l’autre venaient de comprendre la situation étrange dans laquelle ils se trouvaient.

Gaiement, franchement, en êtres jeunes, sincères et honnêtes qu’ils étaient, ils riaient en se regardant, les mains dans les mains, les yeux dans les yeux.

Une ombre de tristesse, toutefois obscurcissait le visage du charmant cavalier.

Celle que l’on connaissait sous le nom de Teddy, déclara :

— Fandor, mon ami Fandor je n’ai pas d’autre nom – pour le moment du moins – que celui sous lequel vous me connaissez, sous lequel tout le monde me connaît. Comment je m’appelle véritablement ? hélas, je l’ignore, la pauvre vieille Laetitia aurait pu me le dire. Elle n’a pas cru devoir le faire, elle est morte et nous ne saurons rien. Le secret de mon origine, cependant existe, et celui qui le détient, c’est ce monstre de Hans Elders, qui, pour une raison que j’ignore, fait l’impossible pour me le dissimuler.

Fandor ne comprenait que vaguement cette sombre histoire. Certes, il savait depuis longtemps qu’il y avait dans l’existence de Teddy un mystère insoupçonné, mais ce mystère n’était aucunement dissipé, du fait que Teddy était en réalité une fille.

Et le journaliste, sans savoir pourquoi, s’imaginait qu’il devait y avoir là encore quelque machination due à Fantômas et à ceux qu’il supposait être ses complices, à ceux qui se montraient en plein jour, alors que l’insaisissable bandit, demeurait dans l’ombre.

— Vous m’appellerez Teddy… encore… toujours… il ne faut pas que l’on se doute de mon sexe. Vous êtes le seul à le connaître depuis la mort de Laetitia.

Fandor hocha la tête, perplexe. Teddy ajouta :

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