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Or, nul n’était venu.

Juve, toutefois, alors qu’il faisait ces réflexions, tressaillit à un bruit suspect : il entendait les pas lourds de deux hommes s’acheminer vers son cachot.

Ce cachot était une sorte de soupente que fermait une grille par laquelle un matelot indifférent, venait chaque jour lui apporter sa nourriture.

Le matelot, d’ailleurs, ne s’était jamais douté de la substitution qui avait été faite, pour cette bonne raison qu’elle s’était effectuée une heure après l’incarcération du véritable condamné, et que l’homme affecté à sa surveillance n’avait en réalité connu que Juve dans les fers.

Deux hommes venaient en effet. Juve les reconnut à la lueur de la lanterne dont ils s’éclairaient.

C’étaient le commissaire du bord accompagné d’un quartier-maître.

L’officier s’adressait au prisonnier :

— Vous bénéficiez, déclara-t-il nerveusement, d’une remise de votre peine… Il se passe des choses ennuyeuses à bord et on a besoin de tous les hommes… Sortez, allez à la douche et retournez à la chaufferie.

En un clin d’œil, le quartier-maître rendait à Juve sa liberté que le policier, d’ailleurs, aurait pu reprendre lui-même depuis longtemps déjà s’il l’avait voulu.

Intrigué par les propos qu’on venait de lui tenir, Juve, après être allé se nettoyer, ne se rendit pas à la chaufferie, mais remonta à sa cabine et là, dans le couloir, alors qu’il se demandait comment il expliquerait son absence dans son entourage, sa réapparition passa inaperçue, car un affolement général régnait.

Juve s’approcha des groupes où, sans souci des formules de politesse et de correction, on s’entretenait, on pensait tout haut, on gémissait ensemble.

Certes, le British Queenne présentait plus l’aspect élégant et joyeux qu’il avait au départ de Southampton, on n’entendait plus les vibrants accents de l’orchestre des dames autrichiennes. Les rires s’étaient tus.

Quel cataclysme était donc venu s’abattre sur les habitants du superbe steamer ?

La peste avait éclaté à bord.

Deux cas du terrible fléau avaient été découverts le matin même. Le soir il y en avait vingt-cinq et la mort par dix fois avait effectué son œuvre irrémédiable.

Dans un morne silence plein d’angoisse et de terreur, le British Queens’avançait longeant les côtes de l’Afrique du Sud, remontant désormais dans la direction du terminus de son voyage, vers le port de Durban.

On prévoyait encore trois jours de mer après quoi l’on serait sauvé, on se procurerait des médecins. Sans doute on pourrait enrayer le fléau. Le capitaine du bord, sans perdre la tête, avait d’ailleurs fait prendre les précautions sanitaires les plus rigoureuses. Sur ses ordres formels, on avait précipité à la mer les cadavres encore chauds des pestiférés. Dès qu’un cas de fièvre suspect se manifestait, on reléguait le malade dans une partie consignée du navire, en dépit des protestations des parents, des amis.

Cette grande ville flottante, où l’on vivait jusqu’alors sur le pied d’une cordiale intimité, s’était soudain transformée en une place forte soumise aux rigueurs de la guerre.

Juve faisait de son mieux pour passer inaperçu. Il craignait de tomber victime du fléau, avant d’avoir retrouvé Fandor et mené à bien sa mission, et il était malade de rage à la pensée de l’être abominable qui avait, sans nul doute, déchaîné le fléau. L’auteur du ravage actuel, le responsable de ces morts qui se multipliaient chaque jour dans la partie maudite du navire, c’était sûrement Fantômas.

Juve comprenait maintenant l’épisode étrange des rats qu’était venu lui rapporter le chauffeur. C’était Fantômas qui avait eu l’épouvantable idée d’inoculer à ces vilaines bestioles le fléau qu’elles ne devaient pas tarder à propager avec le succès qu’on a dit.

Depuis, qu’était devenu Fantômas ?

Selon toute prévision, le sinistre bandit avait pris ses précautions pour n’être pas atteint du mal qu’il avait provoqué.

À coup sûr, il avait voulu supprimer Juve, et lâchement, au lieu de l’attaquer face à face, il avait semé la mort anonyme, ravi d’entraîner dans la mort, outre son ennemi, tant de personnes innocentes.

Où était Fantômas ?

À la vérité, Juve éprouvait quelque difficulté à se renseigner. Le policier en effet, s’était juré de faire l’impossible pour sauvegarder sa propre existence, il possédait dans sa cabine un certain nombre de conserves qu’il espérait indemnes de la contamination. Profitant du désarroi qui régnait à bord, il avait cherché à s’isoler et il était parvenu à s’introduire dans une des chaloupes suspendues aux porte-manteaux au-dessus du premier pont.

Dans cette cachette élevée, Juve était séparé du navire. En outre il se trouvait à l’avant, à l’abri des émanations malsaines qui provenaient de l’arrière où se trouvaient groupées, parquées, les victimes de la peste. Juve toutefois ignorait, ainsi séparé du monde, ce qui se passait à bord.

C’est ainsi qu’il ne savait pas que la veille du jour où la peste s’était déclarée, alors qu’on passait à proximité du Cap des Aiguilles, un homme, un passager sans doute, était tombé à la mer. On ne l’avait pas retrouvé. On savait d’ailleurs la région infestée de requins. Qui était-ce ?

Le chauffeur libéré quelques jours auparavant par Juve, qui consciencieusement tenait à continuer à remplir sa mission auprès de son sauveur, cherchait précisément le policier pour lui dire qu’avec la chute de cet homme à la mer coïncidait la disparition de ce M. Smith qu’il surveillait.

Mais le chauffeur, en dépit de ses efforts, n’avait pu retrouver Juve.

L’homme à la mer… était-ce Fantômas ?

10 – UNE PARTIE DE BACCARA

— Le Natal, songeait Fandor, est décidément un bon pays. Non seulement on y gagne cent francs par semaine à ratisser une terre d’où sortent des diamants presque prêts à être accrochés aux oreilles des jolies femmes, mais encore on parvient à se procurer des smokings doublés de soie pour la modique somme de trois livres sterling qui valent une pièce de quatre-vingts francs comme un sou, à Montmartre.

Fandor interrompu dans ses pensées, répondit à la vendeuse du grand magasin dans lequel il se trouvait :

— Mais certainement mademoiselle, il faut me joindre une cravate noire.

— Toute faite monsieur ?

— Oh, comme vous voudrez.

— Toute faite c’est plus commode, mais à faire, c’est plus élégant.

La jeune fille voyant que son client ne se décidait pas, lui donna d’autorité, un nœud de cravate tout fait. Elle l’ajouta au paquet de vêtements sur le comptoir.

— Monsieur, interrogea-t-elle, emportez-vous tous vos achats ?

— Ma foi oui, dit Fandor, je n’ai guère le temps d’attendre qu’on me les livre.

Le journaliste passa à la caisse et, quelques instants après, il quittait définitivement le magasin où il venait de faire un séjour aussi bref que possible, trop long à son gré.

Fandor, comme tous les hommes, avait l’horreur des magasins. Lorsqu’il s’y rendait c’était pour d’impérieuses nécessités et avec l’intention bien arrêtée d’en finir au plus vite.

Le journaliste s’était soudain retrouvé dans la rue principale de Durban, dans Lord Street, longue et large artère perpendiculaire aux Docks et qui trouait de part en part la ville importante dont les faubourgs s’étendaient jusqu’aux premiers contreforts de la chaîne des montagnes.

Durban est une ville qui cumule le pittoresque des cités exotiques et le caractère actif des villes civilisées de l’ancien continent.

C’étaient des boutiques qui brillaient de mille feux, de grands immeubles, de bureaux et d’appartements privés luxueux.

Les rues étaient sillonnées d’automobiles et de tramways des modèles les plus récents et cette ville nouvelle, par ce fait même qu’elle était de création toute récente, ne révélait aucun vestige des procédés anciens, des formules passées. Tout y était neuf, étincelant, luisant, au point même que l’ensemble finissait par avoir une allure par trop moderne et par trop raffinée, presque de mauvais aloi.

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