Mais, et cela c’était ce qui surprenait le plus Fandor, tandis que Hans s’élançait en courant, criant de toutes ses forces :
— Hardi, tenez bon, me voilà.
Teddy effectua une étrange manœuvre…
Fandor, toujours dissimulé sur le sol et caché par un massif, s’aperçut que le jeune homme, loin d’attendre Hans Elders – qu’il avait appelé – se baissa, rampa presque et prenant garde à ne pas faire le moindre bruit, évitant de rencontrer Hans, se dirigea vers le cabinet de travail, y entra.
— Ah ça, pensa Fandor, mais c’est clair, je ne peux pas m’y tromper. Que diable veut faire mon ami Teddy ? Il a attiré Hans volontairement hors du cabinet de travail. Il le laisse tout seul se débrouiller au jardin et, lui, revient vers la maison.
Fandor n’hésita pas. À son tour, il se leva, il courut vers la maison…
Hélas, les fenêtres du cabinet de Hans Elders étaient maintenant fermées par d’épais volets en fer, mais sur ces volets des motifs de décoration existaient, des rosaces de fleurs ajourées. Fandor regarda au travers d’une de ses ouvertures et cette fois, il sentit qu’une sueur froide lui perlait aux tempes.
Teddy, à peine dans la pièce, avait bondi au petit meuble à cartouches. D’une main fiévreuse, il s’empara des cartouches roses… Il en déchira une, il tira la bourre, une bourre de papier, il la déplia, la regarda, et tandis que Fandor blêmissait, Teddy, à l’intérieur de la pièce, blêmissait aussi, la cartouche contenait un billet de mille francs.
Alors Teddy se hâta davantage. Il déchira deux nouvelles cartouches roses, deux cartouches qui, elles aussi, étaient bourrées de billets de banque…
— Bon Dieu de bon Dieu, se demandait Fandor. Qu’est-ce que tout cela veut dire ? Qu’est-ce que Teddy va faire ?
Ce que Teddy faisait était bien simple…
Fandor le vit prendre tout le paquet des cartouches roses et le mettre dans sa poche, après avoir rompu la ficelle toutefois et s’être assuré que nul ne pourrait s’apercevoir de son vol.
Alors Fandor absolument stupéfait hurla :
— Ah le voleur.
Peut-être même le journaliste victime de son impétuosité naturelle allait-il se précipiter et bondir sur Teddy, lorsqu’un nouveau personnage pénétra dans le cabinet de travail. C’était Hans Elders qui revenait du jardin où il n’avait vu personne. Il avait dû frôler Fandor pour gagner la porte-fenêtre et le journaliste frissonna à la pensée du danger qu’il avait ainsi couru.
— Bigre, je l’ai échappé belle !…
La porte était entrebâillée, Fandor entendit Teddy, très calme, assurer au maître de la maison :
— Oui, oui, j’ai tiré sur quelqu’un. C’est pour cela que je vous ai appelé. Et si vous ne m’avez pas trouvé, c’est que j’ai bondi ici parce qu’il me semblait que le voleur avait pénétré dans cette pièce au moment même où vous veniez de sortir.
Hans Elders pâlit :
— Un voleur, ici, fit-il. Mais que voulez-vous…
Hélas Fandor n’en entendit pas davantage.
Teddy, d’un coup de pied, venait de fermer la porte et force était bien au journaliste de se contenter de voir les deux hommes sans pouvoir écouter ce qu’ils disaient… Mais, demeuré à son poste d’observation, apercevant Teddy et Hans Elders s’entretenir, certes, avec vivacité, mais à coup sûr sans animosité. Fandor subitement crut comprendre :
— Ah nom d’un chien de nom d’un chien, de tout cela une seule chose résulte, en somme, c’est que si Hans Elders est une crapule, ce qui est bien possible, Teddy en est une autre et cela de façon certaine.
Puis, après un instant de réflexion, Fandor ajouta :
— Mais alors, si Teddy est un voleur, j’ai bigrement tort de me confier à lui ? Qui me dit qu’il n’a pas l’intention de m’attirer dans un traquenard ? Décidément, je crois que je ferais mieux de ne pas revoir cet intéressant garçon et surtout que j’ai tout intérêt à ne pas rester à cette chercherie. Je devine des pièges.
Et Fandor quitta la fenêtre, sortit du jardin, se perdit dans la nuit.
9 – PAROLE D’HONNÊTE HOMME DE FANTÔMAS
Le British Queen, grand steamer aux flancs blancs, à la croupe arrondie, voguait à travers l’Atlantique, laissant derrière lui un long remous saupoudré d’écume.
Le navire était parti avec la marée de l’après-midi du port de Southampton, et désormais, forçant ses feux, il prenait toute sa vitesse au confluent de la Manche et de l’Océan, puis il pointait vers le Sud.
Il devait s’arrêter quelques heures aux îles du Cap Vert, déposer ensuite un certain nombre de passagers sur la côte occidentale de l’Afrique, puis il piquerait vers le sud, traverserait l’Équateur pour s’arrêter encore au Cap de Bonne-Espérance.
Enfin, il remonterait dans l’Océan Indien jusqu’à Durban, port du Natal, où s’achèverait sa grande randonnée.
***
Le British Queenétait un des superbes bateaux qui font le service des voyageurs et relient régulièrement la métropole anglaise avec ses colonies du sud de l’Afrique. Sa vitesse était remarquable et son aménagement intérieur comportait les derniers perfectionnements.
Trois ponts superposés permettaient de recevoir des passagers de trois classes différentes.
L’ingénieux agencement évitait de les faire communiquer entre eux.
Pendant ce voyage, les passagers des « premières » allaient pouvoir apprécier le répertoire varié d’un excellent orchestre de dames autrichiennes qui se rendaient au Transvaal où elles avaient de brillants engagements, et qui avaient bénéficié d’une réduction sur le prix du voyage, en promettant de prêter leur concours quotidiennement et d’assurer la distraction des voyageurs en les inondant de flots d’harmonie.
La clientèle des premières classes était élégante et nombreuse.
Elle se composait en grande partie de fonctionnaires et d’officiers partant avec leur famille pour les colonies et l’on trouvait à bord un appoint très important de jeunes gens et de jeunes filles qui ne tarderaient pas à faire connaissance et à imaginer toutes sortes de distractions pour charmer les longues heures de loisir que laissent les traversées.
On sait d’ailleurs combien sont profitables aux jeunes générations ces grands voyages quelque peu monotones au cours desquels il est loisible de se connaître, de s’apprécier. C’est à bord des longs courriers que se nouent souvent des intrigues, que se créent des sympathies, que s’ébauchent des amours et dans bien des occasions, avant l’arrivée, des mariages sont décidés.
La France a l’Opéra-Comique pour les entrevues de fiancés, les sujets du Royaume-Uni d’Angleterre enchaînent volontiers leur liberté après des traversées pendant lesquelles ils ont su distraire leur neurasthénie et découvrir l’âme sœur.
***
Le British Queenavait quitté Southampton depuis quelques heures. Le crépuscule projetait des lueurs flamboyantes sur l’immensité paisible de l’océan, lorsque dans le couloir bâbord des passagers de première classe, côté impair, un homme élégant, distingué, s’approcha du domestique qui avait charge des cabines de cette section :
— M. Duval, demanda-t-il, est-il chez lui… au 91 ?
Le steward avait déjà fait connaissance avec la plupart de ses patrons temporaires. Il avait la grande habitude de son métier et, fort perspicace, expert à reconnaître les gens qu’il n’avait vus qu’une fois, il identifiait déjà tout son monde.
— M. Duval n’est pas encore revenu dans sa cabine. Toutefois, il doit être à bord, ses bagages sont placés. Qui devrai-je annoncer lorsque M. Duval reviendra ?
L’interlocuteur donnait son nom, en esquissant un sourire de satisfaction :
— Vous direz que c’est M. Smith.
Le domestique s’inclina.
Puis, pour répondre à un coup de sonnette, il se préparait à quitter M. Smith, lorsque celui-ci le retint par le bras :
— Dites-moi mon ami, fit-il, réflexion faite, c’est inutile d’informer M. Duval de ma visite. Vous ne lui direz rien.