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— Pourquoi ? Je croyais qu’elle vous avait légué…

— Son portrait… et aussi ses bijoux !

Morosini ne cacha pas sa stupeur :

— Et vous vous plaignez ? Peste ! Que vous faut-il de plus ? En dehors du tableau signé Boldini qui vaut très cher, les joyaux, que je n’identifie pas à première vue mais qui ne me sont pas inconnus, représentent une grosse fortune : ils ne peuvent provenir que d’une cassette royale et la croix par exemple étant sans doute d’un travail florentin, je pencherais pour les Médicis…

Evrard Dostel eut un rire aussi déplaisant que son haussement d’épaules.

— Les Médicis ? Vous me donnez à rire, mon bon Monsieur ! Voulez-vous que je vous montre ce que m’a remis le notaire ?

— Faites-le donc ! émit Morosini qui sentait la moutarde lui monter au nez. Le « bon Monsieur » ne passait pas.

Le laissant en tête à tête avec l’ancienne diva dont le regard lui laissait supposer à présent qu’elle avait bien pu jouer un tour quelconque à son « neveu », celui-ci s’éclipsa mais revint un instant plus tard avec un coffret grand comme une boîte à chaussures – joli au demeurant avec sa marqueterie de bois des îles et d’ivoire ! – qu’il posa sur un guéridon en pitchpin supportant un petit vase bleu où trempaient quelques jonquilles, l’ouvrit et en sortit quatre bijoux : un bracelet à trois rangs et une « chute » de perles d’un bel orient mais de taille moyenne, une bague où un cercle de brillants entourait une demi-perle et enfin le collier-de-chien du portrait mais privé de la grande croix. Celle-ci et les pendants d’oreilles brillaient par leur absence.

— Voilà ! asséna Dostel dont les narines frémissaient d’indignation. Voilà les bijoux en question ! Encore ne les a-t-elle pas légués vraiment à moi mais à ma femme ! Voulez-vous me dire où sont passés ça et ça ? demanda-t-il en pointant un doigt vengeur sur le portrait.

— Comment voulez-vous que je le sache ? Le notaire ne vous a rien dit ?

— Quand ?

— Au moment où il vous les a remis. Je suppose que vous avez manifesté quelque surprise ?

— Comme bien vous pensez ! Il s’est contenté d’avancer l’hypothèse que Madame d’Ostel avait dû s’en défaire avant sa mort. Je n’en vois pas la raison : l’argent ne lui manquait pas ! conclut Evrard avec aigreur.

— Et s’ils avaient été mis en vente vous pouvez être certain que j’en eusse été informé.

— Ah oui ?

De toute évidence il n’y croyait guère. Le ton de Morosini se fit plus sec :

— À travers le monde entier j’ai des correspondants ; aucune pièce importante par sa provenance et sa qualité ne saurait m’échapper. Je peux vous assurer qu’aucune salle des ventes n’a vu passer ces joyaux-là. Si la baronne s’en est séparée il faut que ce soit par un don ou par une vente en sous-main.

— Un vol peut-être ?

— Qu’elle n’aurait pas déclaré ? Rien moins que vraisemblable. Et la parure aurait trôné à la une de tous les journaux.

— Cela peut-il s’être fait au moment de sa mort ? Les domestiques héritiers par exemple ?

Morosini prit le collier-de-chien et s’approcha de la fenêtre pour examiner le lacis d’or en son milieu. Il tira de sa poche une loupe de bijoutier qu’il logea dans son orbite afin d’étayer son jugement puis il revint au portrait dirigeant son index sur le joyau peint :

— Regardez ! La croix est reliée au collier par un anneau serti d’un rubis. La détacher sans laisser la moindre trace sur l’or si facile à rayer est un travail minutieux exigeant la main d’un spécialiste et vous pouvez voir par vous-même que le métal est net, ajouta-t-il en offrant la loupe.

Dostel examina longuement le bijou puis avec un soupir le remit dans le coffret :

— Conclusion ?

— Je n’en ai pas à vous offrir dans l’état actuel de la question car je n’en sais pas plus que vous…

À cet instant une jeune femme entra dans la pièce afin de rejoindre les deux hommes ce qui parut indisposer son mari :

— Que venez-vous faire ici, ma chère Violaine ? Nous discutons de choses sérieuses peu adaptées aux cervelles féminines ! Allez plutôt nous faire du… café, tiens !

— À onze heures et demie du matin ? C’est trop tôt ou trop tard, mon ami, répondit-elle d’une voix pleine de douceur qui vint caresser l’oreille sensible d’Aldo.

Elle était charmante en vérité cette jeune dame et en s’inclinant sur la main qu’elle lui tendait, il alluma son plus beau sourire. Joli teint, jolis yeux noisette, jolis cheveux d’un blond léger coiffés en bandeaux et en chignon sage dans lesquels ne passeraient jamais sans doute les ciseaux sacrilèges du coiffeur. Violaine Dostel aurait pu être très séduisante habillée autrement que de cette robe informe, d’un bleu céruléen, le même que celui du vase aux jonquilles. Surtout sans cette crispation nerveuse des lèvres qui auraient peut-être aimé sourire mais qui n’y arrivaient pas et l’étrange expression interrogative de son regard. Elle pouvait avoir une trentaine d’années. Cependant elle ne devait pas manquer entièrement de caractère car, au lieu de se laisser évincer, elle prit le collier d’or et de petites pierres entre ses mains comme elle l’eût fait d’une couronne.

— C’est ravissant, ne trouvez-vous pas ?

— Il le sera plus encore lorsque vous le porterez, Madame.

— J’aimerais beaucoup mais je ne me vois guère d’occasions. Un mariage dans la famille ?…

Dostel renifla de peu gracieuse façon :

— Si le reste ne se retrouve pas, il serait plus sage de vendre tout cela. Nos finances s’en trouveraient mieux, fit-il avec un geste qui englobait coffret et tableau mais immédiatement elle protesta :

— Oh non, mon ami ! Vous ne ferez pas pareille chose ? Nous vivons convenablement il me semble… et je suis tellement heureuse d’avoir enfin des bijoux. Quant à ce portrait, outre qu’il représente notre parente, il illumine notre salon…

Ce n’était pas le terme qu’aurait choisi Aldo mais il était vrai que le décor d’un jaune éteint et les sièges, disparates en dépit du reps jaune et bleu qui les recouvrait – le même que celui des doubles rideaux ! – en recevaient un grand coup d’éclat. Auquel l’héritier n’était guère sensible car il explosa :

— Croyez-vous que j’aie envie de contempler jusqu’à la fin de mes jours cette femme qui nous a bernés de si odieuse façon ? Il fera encore bien mieux à la salle des Ventes puisqu’il doit valoir cher d’après Monsieur Morosini. Quant à celui qui l’achètera si c’est l’un de ses anciens amants, il lui trouvera certainement un cadre approprié.

Aldo pensa que les anciens amants ne devaient plus être de première fraîcheur si l’on en jugeait par l’âge de la dame mais Violaine protestait déjà – timidement ! – contre les affirmations de son seigneur et maître :

— Oh, mon ami ! Ne soyez pas médisant ou même calomniateur. Je n’ai jamais entendu…

— Je sais ce que je dis ! Cette croûte partira la semaine prochaine pour l’Hôtel Drouot, avec les bijoux !

— Mais ils sont à moi ? gémit-elle au bord des larmes.

— Ils sont à nous puisque nous sommes mariés sous le régime de la communauté. En outre ils n’ont que trop tendance à vous tourner la tête ! Je vous ai toujours connue raisonnable. Alors tâchez de le rester ! Vous me ferez plaisir et…

Morosini décida qu’il était temps pour lui d’intervenir. Le visible chagrin de la jeune femme le touchait et s’il brûlait d’envie d’administrer une correction à un béotien osant traiter un Boldini de croûte, il opta néanmoins pour la voie diplomatique :

— Vous auriez tort d’agir ainsi, émit-il. D’abord parce qu’il serait prématuré de mettre ce portrait aux enchères. Vous en tireriez quelque argent sans doute mais bien davantage quand le peintre ne sera plus de ce monde. Et il a plus de quatre-vingts ans…

Il avait horreur de dire cela mais avec un butor comme ce type il fallait employer un langage qu’il pût entendre et, en effet, Dostel devint tout à coup attentif.

— … en outre, poursuivit-il, l’apparition publique de ces joyaux fera sensation chez les amateurs éclairés. J’en sais plus d’un qui se lancera sur la piste.

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