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— Peu de chose, en vérité. Je vous ai seulement dit qu'elle s'attendait à ce que vous deveniez ma femme. Lors de mon voyage là-bas, je lui ai confié le grand amour que vous m'avez inspiré, je lui ai dit mon désir ardent de vous épouser et la foi que j'avais dans ma victoire auprès de vous. C'était normal... je craignais tellement qu'elle ne voulût vous obliger à vivre dans le souvenir et dans ce vieux pays d'Auvergne. Mais elle a fort bien compris.

— Elle a compris ? fit Catherine douloureusement, en écho... Mais à quoi pensiez-vous pour oser lui dire cela ? Qui vous avait permis d'annoncer une chose pareille ?

— Le visage décomposé de la jeune femme impressionna Pierre.

Sentant instinctivement qu'il lui fallait se défendre contre un danger imprévu, il se drapa dans la courtepointe et sauta à bas de son lit.

Catherine s'était laissée tomber sur un banc, les yeux lourds de larmes contenues, les doigts froids et tremblants. Elle répétait : Pourquoi...

mais pourquoi avez-vous fait cela ? Vous n'en aviez pas le droit...

Il s'agenouilla auprès d'elle, prit entre les siennes les mains glacées.

— Catherine, chuchota-t-il, je ne comprends pas votre désolation.

J'admets que je me suis un peu trop hâté, mais je voulais savoir si vous n'auriez pas d'obstacles au cas où vous accepteriez de m'épouser.

Et puis, un peu plus tôt un peu plus tard...

Il était sincèrement désolé, elle le comprit et n'eut pas, sur le moment, le courage de lui en vouloir. Brutalement réveillée de l'état de rêve où elle vivait depuis des semaines, elle n'accusa pourtant qu'elle-même... Mais elle le regarda avec des yeux désolés.

— Et que vous a dit ma belle-mère ?

— Qu'elle espérait que nous serions très heureux, que je saurais vous donner le rang, la vie dont vous êtes digne.

— Elle a dit ça ? fit Catherine d'une voix étranglée.

— Mais oui... Vous voyez bien que vous vous désolez pour rien.

Repoussant les mains qui tentaient de la retenir, Catherine se leva.

Elle eut un petit rire sec.

— Pour rien... Écoutez bien, Pierre : vous avez eu tort de dire cela à cette noble femme sans raison.

D'un bond il se releva. Cette fois il était furieux et l'empoigna aux épaules.

— Quittez cet air de somnambule ! Regardez-moi ! Ce que vous dites est stupide. Je ne lui ai pas fait de mal et vous n'avez pas le droit de nous en punir tous les deux. C'est de l'orgueil, Catherine ! La vérité, c'est que vous craignez d'être mal jugée. Mais vous avez tort.

Vous êtes libre, je vous l'ai dit et redit cent fois. Votre mari est mort...

— Non ! jeta Catherine farouchement.

Ce fut à Pierre de vaciller sous le choc. Ses mains retombèrent sans forces tandis qu'il regardait la jeune femme dressée devant lui, les dents serrées, les poings crispés.

— Non ? Que voulez-vous dire ?

— Rien d'autre que ce que je dis. Mon époux, s'il est mort pour la loi humaine, pour tous les hommes de ce monde, ne l'est pas sous le regard de Dieu.

— Je ne comprends pas... Expliquez-vous.

Alors, une fois encore, elle fit le lamentable récit, elle avoua l'affreuse vérité, mais, à mesure qu'elle parlait, elle éprouvait une sorte de délivrance. C'était comme si elle dépouillait la griserie des derniers temps, cette attirance à la fois romantique et sensuelle qui l'avait jetée un instant dans les bras de ce garçon. En affirmant la réalité vivante d'Arnaud, elle reprenait conscience de son amour pour lui. Elle avait cru pouvoir se détourner de lui, l'oublier, mais voilà qu'il se dressait de nouveau, incroyablement présent, entre elle et l'homme qu'elle avait cru aimer. Lorsqu'elle eut tout dit, elle planta son regard violet droit dans celui de Pierre.

— Voilà. Maintenant, vous savez tout... Vous savez surtout qu'en parlant mariage à cette pauvre mère vous avez commis une mauvaise action... mais dont je suis entièrement responsable. Je n'aurais pas dû vous laisser le moindre espoir.

Il se détourna, resserrant machinalement autour de ses reins l'étoffe rouge qui glissait en un geste dérisoire qui avait quelque chose de touchant. Tout à coup, il semblait avoir vieilli de dix ans.

— Je m'en rends compte trop tard, Catherine... et je le regrette...

C'est une affreuse histoire. Mais j'ose vous dire que cela ne change rien à mon amour, rien à ma décision de vous épouser tôt ou tard. Ma mie, je vous attendrai aussi longtemps qu'il faudra.

— Ma mie, murmura-t-elle. Il m'appelait ainsi... Et il le disait si bien.

Il se raidit sous cette comparaison qu'il devinait à son désavantage.

Moi, je le dis avec tout mon cœur... Catherine, fit-il, offensé, réveillez-vous ! Vous avez souffert abominablement, mais vous êtes jeune, vous êtes vivante. Vous avez aimé votre époux autant qu'il était possible d'aimer. Mais vous ne pouvez plus rien pour lui... et c'est moi que vous aimez.

Alors pour la seconde fois, avec la même détermination, Catherine répondit :

— Non !

Et, comme il reculait d'un pas, les traits crispés mais une lueur de colère dans les yeux, elle répéta :

— Non, Pierre, je ne vous aimais pas vraiment... Je l'ai cru un instant, je le confesse, et, voici une heure, je le croyais encore. Mais, sans le vouloir, vous m'avez ouvert les yeux. J'ai cru pouvoir vous aimer, je me trompais... Jamais je n'aimerai un autre homme que lui...

— Catherine ! gémit-il douloureusement.

— Vous ne pouvez pas comprendre, Pierre. Je n'ai jamais aimé que lui, jamais respiré que par lui, pour lui... Je suis la chair de sa chair et, quoi qu'il lui arrive, quelques ravages que puissent faire en lui le mal maudit, il demeurera toujours pour moi l'unique... le seul homme au monde. Ma vieille Sara, qui m'a quittée ce matin à cause de vous, ne s'était pas trompée. J'appartiens à Arnaud, à lui seul...

Tant qu'il me restera un souffle de vie, il en sera ainsi.

Il y eut un silence. Pierre s'était écarté d'elle et s'approchait de la fenêtre. Le soleil achevait de se coucher, la lumière dorée devenait peu à peu violette... Au- delà de la rivière, une trompe sonna, puis une autre auxquelles répondirent les aboiements d'une meute.

— Le Roi, fit Pierre machinalement. Il revient...

Sa voix avait un son fêlé qui fit tressaillir Catherine.

Elle se tourna vers lui. Il ne la regardait pas... Debout devant la fenêtre sur laquelle se découpait sa silhouette vigoureuse, il ne bougeait pas. La tête baissée, il paraissait réfléchir, mais soudain Catherine vit remuer ses épaules. Elle comprit qu'il pleurait...

Une profonde pitié s'empara d'elle. Lentement, elle vint vers Brézé, leva la main pour la poser sur l'épaule du jeune homme, mais n'osa pas.

— Pierre, murmura-t-elle, je voudrais que vous n'ayez pas de peine.

— Vous n'y pouvez rien, répondit-il durement.

De nouveau le silence s'appesantit entre eux puis, toujours sans se retourner, il demanda :

— Qu'allez-vous faire ?

— Repartir, répondit-elle sans hésiter. Repartir là- bas, leur dire à tous que je n'ai pas changé, que je suis toujours « sa » femme...

— Et ensuite ? fit-il amèrement, vous vous enfermerez dans vos montagnes pour attendre la mort ?

— Non... Ensuite, j'arracherai Arnaud à cette léproserie infâme où j'ai dû le laisser entrer, je l'emmènerai dans un endroit reculé, tranquille et je resterai avec lui jusqu'à ce que...

Un frisson d'horreur secoua Brézé. Il se retourna brusquement, montrant à la jeune femme un visage ravagé.

— Vous ne pouvez pas faire ça... Vous avez un fils, vous n'avez pas le droit de vous suicider, surtout de cette manière atroce...

— C'est la vie sans lui qui est un suicide... J'ai rempli mon rôle ici.

Les Montsalvy sont redevenus ce qu'ils n'auraient dû cesser d'être. La Trémoille est abattu... Maintenant, je peux songer à moi... à lui.

Sans faire le moindre bruit, elle marcha vers la porte, l'ouvrit. Le page attendait au-dehors, mais, au seuil, elle se retourna. Toujours debout devant la fenêtre, Pierre esquissa le geste de lui tendre les bras.

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