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Il faisait trop clair maintenant, il était imprudent de se montrer encore, mais la tentation fut la plus forte. Elle avait envie de revoir ce visage levé vers elle et que la passion rendait si émouvant... Elle se pencha et ne put retenir un soupir de regret. La rue était déserte.

Pierre avait disparu... Lentement, Catherine repoussa la fenêtre et le volet, alluma la chandelle, reprit le bouquet posé un instant sur la table et le respira lentement, les yeux fermés, se laissant griser par le parfum des roses. La voix chaude qui avait vibré, tout à l'heure, dans la nuit, résonnait encore à son oreille...

Elle cherchait encore à en retrouver l'écho, le visage enfoui dans les fleurs quand, soudain...

— Étonnante cette auberge, fit la voix railleuse de Sara qui dormait et que la lumière avait dû réveiller. Je n'avais pas remarqué qu'il poussait des roses après les murs.

Arrachée brutalement de son rêve, Catherine lui dédia un regard courroucé, mais, au bout d'un instant, se mit à rire. Assise droite dans le lit, ses épaisses nattes grisonnantes tombant bien raides sur ses épaules, Sara avait une immense dignité démentie par la flamme moqueuse qui brillait dans ses yeux.

— Elles sont belles, non ? fit la jeune femme.

— Très belles. Je gage qu'elles viennent tout droit du château et qu'un certain seigneur les a apportées jusqu'ici.

— Ne gage pas. C'est vrai... C'est lui qui me les a lancées.

Le léger sourire s'effaça des lèvres de Sara. Elle hocha la tête avec un rien de tristesse.

— Tu en es déjà à l'appeler Lui ?

Catherine devint très rouge et se détourna pour cacher son trouble tout en commençant à se dévêtir. Elle ne répondit pas, mais, apparemment, Sara tenait à obtenir une réponse.

— Dis-moi la vérité, Catherine. Qu'éprouves-tu au juste pour ce beau chevalier blond ?

— Que veux-tu que je te dise ? répondit la jeune femme avec agacement. Il est jeune, il est beau comme tu le dis si bien, il m'a sauvée et il m'aime... Je le trouve charmant, et voilà tout !

— Voilà tout ? fit Sara en écho. C'est beaucoup déjà. Écoute, Catherine. Je sais mieux que personne ce que tu as souffert, et combien tu souffres encore de ta solitude, mais...

Sara hésita, baissa le nez, visiblement ennuyée de ce qu'elle voulait dire. Catherine sortit de sa robe qu'elle venait de laisser tomber à ses pieds et se baissa pour la ramasser.

— Mais ? fit-elle.

— Garde-toi de ne pas te laisser prendre le cœur. Je reconnais que ce beau seigneur a tout ce qui peut séduire une femme, je suis sûre que son amour est sincère et qu'il mettrait dans ta vie une grande douceur, je sais qu'il te semblerait bon d'être aimée, d'aimer peut-être.

Seulement, je te connais, je sais que tu ne seras pas longtemps heureuse avec un autre amour parce que l'homme dont tu portes le nom t'a trop profondément marquée pour que tu puisses l'oublier.

— Qui parle d'oublier ? murmura Catherine d'une voix altérée.

Comment pourrais-je oublier Arnaud, alors que je n'ai vécu que pour lui ?

— Justement, en laissant un autre te convaincre de vivre désormais pour lui-même. Je le répète, je te connais : si tu te laissais aller, un jour, tôt ou tard, l'ancien amour viendrait reprendre ses droits, l'image d'Arnaud détruirait l'autre et tu te retrouverais plus seule encore, plus désespérée, avec par surcroît le remords d'avoir trahi... et la honte de toi-même.

Très droite dans sa longue chemise blanche, les yeux au loin, Catherine semblait absente. Mais elle murmura, avec une profonde amertume :

Pourtant, c'est bien toi qui me conseillais de me laisser aller au plaisir sans remords, après la nuit avec Fero ? Est-ce parce qu'il s'agissait d'un homme de ta race que tu avais plus d'indulgence ?

Sara pâlit. Un pesant silence tomba entre les deux femmes. .Puis, lentement, la plus âgée se leva et vint vers l'autre.

— Non, ce n'était pas parce qu'il s'agissait de l'un des miens. C'est parce que je savais bien que Fero n'avait aucune chance de toucher ton cœur. Et le plaisir est bon, Catherine, lorsque l'on est jeune, saine.

Il libère l'esprit, allège le corps, fait couler le sang plus rapide et plus chaud. Tandis que l'amour asservit et, parfois, détruit... Si je savais que ton cœur ne risquait rien auprès de ce chevalier, je te pousserais vers lui. Quelques nuits de volupté te seraient bonnes, mais tu n'es pas de celles qui se donnent sans tendresse. Et cela, il en souffrirait trop, lui, le reclus de Calves, ton époux ! Il a besoin de te savoir à lui pour endurer son martyre. Chacun te croit veuve et tes voiles noirs te trompent toi-même. Pour tous et même pour la loi, pour l'église, tu es veuve puisqu'en entrant en ladrerie il a été rayé du nombre des vivants. Mais il vit, Catherine, il vit encore, et c'est dans ton cœur qu'il vit le mieux. Si tu l'en chasses... alors, oui, il sera vraiment mort.

Mais, toi, tu sauras toujours qu'il n'en est rien.

Debout derrière Catherine, Sara ne distinguait pas son visage.

Mais, à mesure qu'elle parlait, elle pouvait voir s'incliner la tête blonde aux cheveux trop courts, ployer les minces épaules. L'écho de ses paroles résonnait au fond du cœur de la jeune femme, martelant la plaie mal fermée. Douloureusement, Catherine murmura :

— Tu es cruelle, Sara. Je n'ai fait que respirer des roses...

— Non, mon cœur. Tu as toujours été franche envers toi-même et envers les autres. Sois-le cette fois encore. Tu as laissé la reconnaissance t'entraîner dans un chemin dangereux et qui n'est pas le tien. Le tien te ramènera vers les monts d'Auvergne, vers Michel et vers Montsalvy.

Tout doucement, elle attira la jeune femme contre elle, nicha sa tête au creux de son épaule et caressa doucement la joue où glissait une larme.

— N'en veuille pas à ta vieille Sara, Catherine. Elle donnerait sa vie et sa part de Paradis pour te voir heureuse. Elle t'aime comme la chair de sa chair. Mais, ajouta-t-elle avec un tremblement dans la voix, il faut que tu saches qu'elle a donné une part de son cœur à ton époux, à cet Arnaud pétri d'orgueil, de passion et de souffrance qu'elle a vu, une nuit, pleurer comme un enfant sur sa vie détruite, son amour condamné... Tu te souviens ?

— Tais-toi ! sanglota Catherine. Tais-toi !... Tu sais bien qu'aucun homme ne prendra jamais sa place... que je ne pourrai jamais aimer personne comme je l'ai aimé... comme je l'aime encore.

Certes, elle était sincère. Pourtant, elle ne pouvait chasser du fond de sa mémoire le reflet d'un sourire, l'éclat d'un regard bleu... Là-haut, dans sa tour, Marie Javelle sonna minuit. Doucement mais fermement, Sara conduisit Catherine jusqu'au lit. Le bouquet de roses, abandonné, demeura sur la table.

Ce n'était plus d'amour qu'il devait être question, le lendemain soir, et Catherine n'y songeait même plus car l'heure d'agir approchait.

Vers la fin de la journée, maître Agnelet était monté chez Catherine et, avec beaucoup de respect mais sans périphrases inutiles, lui avait appris qu'il viendrait la chercher sur le coup de minuit.

— Où irons-nous ? demanda la jeune femme.

— Pas loin d'ici, gracieuse dame. Au fond de ma cour exactement, mais je vous demanderai de faire le moins de bruit possible. Tous les habitants de cette auberge ne sont pas d'intelligence...

— Je sais, maître Agnelet. Puis-je cependant vous demander si ceux que vous attendiez sont arrivés ?

Tous, Madame. Messeigneurs de Loré et de Coétivy jouent aux échecs depuis hier matin et le seigneur de Bueil vient d'arriver en ville. Mais lui est monté au château...

— Pourquoi donc ?

— IL est le neveu du Grand Chambellan et, bien qu'il serve la reine Yolande, il est encore accepté. N'oubliez pas, noble dame, à minuit !...

Le reste de la journée parut moins long à Catherine. Avant qu'il soit longtemps, elle serait fixée sur son sort définitif. Ou bien le complot réussissait et ce serait sans doute un jeu pour le jeune Charles d'Anjou de remplacer La Trémoille auprès du Roi. Ce serait alors le retour en grâce, le droit de vivre enfin à visage découvert et au grand jour. Ou bien le complot échouerait... Ce serait la mort pour tous, sans distinction de sexe ou de rang...

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