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Elle avait hâte de rejoindre Sara pour la mettre au courant et demanda pour se retirer une permission qui lui fut accordée aussitôt.

La Reine et le Connétable devaient avoir à s'entretenir de choses plus graves encore qui n'étaient point faites pour des oreilles profanes, fussent-elles fidèles. Mais, en quittant la salle, Catherine se heurta à Pierre de Brézé. Le jeune homme faisait les cent pas dans la galerie du bord de l'eau et, en la voyant paraître, il se dirigea vers elle. Il semblait très ému et plutôt agité.

— Gracieuse dame, dit-il d'une voix émue, ne me prenez pas pour un fou, mais, par grâce, accordez-moi quelques instants d'entretien.

J'ai bien des choses à vous dire.

— Tant que cela ? fit Catherine mi-figue mi-raisin. Je pensais que nous nous étions tout dit hier soir.

Le rappel de leur précédente rencontre fit rougir Brézé et Catherine, malgré la rancune qu'elle lui gardait, ne put s'empêcher de trouver du charme à ce colosse qui rougissait comme une jeune fille. Il était beau d'ailleurs, avec des traits réguliers et purs qui rappelaient ceux des Montsalvy, ceux de Michel surtout à cause des cheveux clairs et des yeux bleus et, à constater cela, Catherine sentit disparaître l'instinctif ressentiment qu'il lui avait inspiré. Elle le regarda un peu moins sévèrement, accepta même sa main pour gagner l'une des embrasures des fenêtres. Là, elle s'assit sur le banc de pierre, leva les yeux vers lui.

— Eh bien, j'écoute ! Qu'aviez-vous à me dire ?

— D'abord pardon pour hier. J'arrivais tout droit d'une mission dans le Haut-Maine et je suis allé directement à cette chambre qui est la mienne en temps normal. J'ignorais qu'elle fût occupée.

— Dans ce cas, vous êtes pardonné. Vous voilà satisfait ?

II ne répondit pas tout de suite. Ses doigts, nerveux, tiraillaient les longues déchiquetures doublées de soie grise de son pourpoint de drap bleu dont la seule parure était les croix de Jérusalem de ses armes brodées sur la poitrine.

— J'ai encore quelque chose à dire ! fit-il sourdement sans même oser regarder le fin visage, si touchant dans l'encadrement de ses voiles noirs.

Jamais, dans toute sa vie, Pierre de Brézé n'avait rencontré de femme aussi belle et la perfection de ce qu'il avait découvert sans le vouloir, la lumière émanant de ces merveilleuses prunelles violettes, tout cela l'émouvait au point de le faire trembler, lui, le chevalier de la Reine, l'homme devant qui avaient fui lord Scales et Thomas Hampton, et de le laisser sans forces, désarmé au point de ne rien souhaiter de mieux que s'agenouiller et adorer. Catherine était trop femme, trop fine pour ne pas percevoir le trouble de ce garçon si grand, mais elle était décidée à ne pas en subir la contagion, quel qu'en fût le charme.

Dites ! fit-elle tranquillement. Il serra les poings, prit une profonde respiration comme un nageur qui se jette à l'eau, puis lança :

— Renoncez à ce projet insensé, n'allez pas là-bas ! Que vous faut-il ? Que La Trémoille meure ? Je fais serment d'aller, en pleine cour, devant le Roi lui-même, l'abattre en votre nom.

— Ce serait courir à votre perte. Le Roi vous ferait arrêter, jeter dans une prison, exécuter sans doute.

— Que m'importe ! J'aime mieux courir à ma perte que vous voir courir à la vôtre ! L'idée de ce que vous voulez faire me révolte ! Par pitié... renoncez !

— Par pitié pour qui ? demanda Catherine doucement.

— Pour vous d'abord... et aussi pour moi ! A quoi bon les faux-fuyants, les grands mots et les discours. Je suis malhabile à tout cela, étant avant tout un soldat. Mais vous savez déjà que je vous aime, vous n'avez pas besoin que je vous le dise !

— Et, m'aimant, vous voulez mourir pour moi ?

Il se laissa glisser à genoux, tendant vers la jeune femme un visage déjà marqué par une passion qui l'effraya. Ce garçon était fait de beau et pur métal, il méritait d'être aimé et elle ne voulait pas le laisser s'engager dans l'impasse que son destin à elle représentait. Cependant, il murmurait :

— Je ne désire rien d'autre !

— Et moi je veux que vous viviez ! Vous m'aimez, dites-vous, et cet amour vous pousse à vouloir mourir pour moi ? Vous devez donc comprendre ce qui m'anime et ce désir qui me pousse à tout risquer pour la mémoire de l'homme dont je porte le nom... le seul homme que j'aie jamais aimé et aimerai jamais !

Il baissa la tête, pesant l'arrêt définitif de ces quelques mots.

Oh ! soupira-t-il, je n'espérais pas être un jour aimé de vous. J'ai vu bien souvent Arnaud de Montsalvy, déjà capitaine quand je n'étais que page ou écuyer, et jamais, je crois bien, je n'ai admiré un homme comme je l'admirais. Je l'enviais aussi. Il était tout ce que je voulais être : si vaillant, si fort, si sûr de lui- même ! Quelle femme, ayant l'amour d'un tel homme, pourrait en aimer un autre ? Vous voyez... je n'ai pas d'illusions.

— Pourtant, fit Catherine plus émue qu'elle ne voulait le montrer, vous êtes de ceux qu'une femme peut être fière d'aimer.

— Mais auprès de lui, n'est-ce pas, je ne représenterai jamais rien ?

C'est cela que vous avez voulu me faire comprendre, dame Catherine

? Vous l'avez aimé à ce point ?

Une brusque douleur vrilla le cœur de Catherine à ce rappel de ce qu'elle avait perdu. Un sanglot noua sa gorge, amenant les larmes que, sans honte, elle laissa couler.

— Je l'aime toujours plus que tout au monde ! Je donnerais ma vie, messire, et jusqu'au salut de mon âme, pour le retrouver... ne fût-ce qu'une heure ! Vous voyez, je ne vous cache rien. Tout à l'heure, vous me parliez des dangers que j'allais courir. Mais, si je n'avais un fils, il y a longtemps que j'aurais cherché la mort, pour au moins avoir le droit de le rejoindre.

— Alors, vous voyez bien qu'il vous faut vivre ! Oh, laissez-moi vous aider, être votre ami, votre défenseur. Vous êtes trop fragile pour vivre sans aide ces temps sans merci ! Je jure de ne pas vous importuner de mon amour, de ne rien demander autre que le droit d'être votre chevalier. Acceptez de m'épouser. J'ai un beau nom, une fortune... et une grande ambition.

Interloquée, Catherine sécha ses larmes et ne sut pas tout de suite que répondre. Elle se leva sans qu'il quittât sa position de suppliant.

— Vous allez vite ! dit-elle gentiment. Quel âge avez-vous ?

— Vingt-trois ans !

— J'en ai presque dix de plus !

Qu'importe ! Vous avez l'air d'une jeune fille et vous êtes la plus belle dame qui ait jamais posé le pied sur la terre ! Que vous le vouliez ou non, vous serez ma dame et je ne porterai plus que vos couleurs !

— Mes couleurs sont de deuil, messire, de sable et d'argent.

N'aviez-vous donc point de dame avant que je ne vienne ?

À la grande surprise de Catherine, Pierre de Brézé fit une affreuse grimace et avoua, de fort mauvaise grâce :

— Une dame, non ! J'ai une fiancée, Jeanne du Bec- Crespin...

mais elle est d'une laideur à laquelle je ne m'habitue pas !

Du coup Catherine se mit à rire et l'atmosphère s'en trouva singulièrement détendue. Son rire s'égrena si clair, si jeune que Pierre, entraîné malgré lui, ne put qu'y faire écho. D'un mouvement spontané, elle lui tendit ses deux mains dans lesquelles il enfouit son visage.

— Gardez votre fiancée, messire Pierre ! dit-elle en reprenant son sérieux. Et, à moi, donnez-moi seulement votre amitié. C'est de cela, voyez-vous, que j'ai le plus besoin.

Il releva vers elle un regard où revenait l'espoir.

— Je pourrai veiller sur vous, porter vos couleurs, vous défendre ?

— Mais oui ! À la condition toutefois que vous ne fassiez rien qui entrave la bonne marche de mes projets. Vous le promettez ?

— Je promets, fit-il sans enthousiasme. Mais je serai à Amboise tout le temps que vous y serez vous-même, dame Catherine, et s'il vous advenait quelque mal...

Le visage de Catherine se fit grave, soudain. Elle retira ses mains que le jeune homme avait gardées et les glissa dans ses larges manches. Une ombre envahissait ses yeux en même temps qu'un pli de détermination marquait ses lèvres.

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