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Un goût de fiel emplit la bouche de Catherine tandis qu'une poussée de furieuse colère parcourait ses veines. Et, comme la voix grave de la Reine articulait, avec une pointe de mécontentement : «

Enfin, messires, il faut tout de même décider de quelque plan », elle quitta son siège et vint s'agenouiller devant le trône.

— S'il plaît à Votre Majesté, je suis prête, moi, à faire ce geste devant lequel reculent ces chevaliers ! Je n'ai plus rien à perdre, que la vie... et ce m'est fort peu de chose si je puis venger mon époux bien-aimé. Daignez seulement vous souvenir, Madame, que j'ai un fils et veiller sur lui.

Un grondement de colère salua ses paroles. D'un même mouvement, les seigneurs s'étaient rapprochés des marches sur lesquelles Catherine était agenouillée et tous avaient crispé leur main sur la garde de leur épée.

— Dieu me pardonne ! s'écria Pierre de Brézé d'une voix altérée.

Je crois que Madame de Montsalvy nous prend pour des lâches ! Lui laisserons-nous, messeigneurs, de telles idées en tête ?

De tous côtés jaillirent des protestations indignées que vinrent arracher brusquement quelques paroles prononcées d'une voix glaciale.

Avec la permission de la Reine et celle de Monseigneur le Connétable, j'oserai dire, messeigneurs, que ceci ne sert à rien, que vous perdez votre temps et vos paroles ! Il ne s'agit point ici de disputer à qui montrera le plus d'héroïsme, mais de discuter froidement de la mort d'un homme et des moyens d'y parvenir. Or, aucun de ceux que j'ai entendu avancer jusqu'ici ne m'a paru bon.

L'autorité tranquille de cette voix avait fait retourner Catherine. Le cercle des chevaliers s'ouvrit, livrant passage à l'homme que l'on avait nommé Tristan l'Hermite et qui occupait le poste assez modeste d'écuyer du connétable. La jeune femme le regarda plus attentivement tandis qu'il s'avançait. C'était un Flamand d'une trentaine d'années, blond avec des yeux d'azur pâle et le visage le plus froid le plus immobile que Catherine eût jamais vu. Pas un muscle n'y bougeait.

Visage lourd, d'ailleurs, aux traits vulgaires, mais auquel sa totale impassibilité conférait une sorte de majesté. Il plia le genou devant la Reine, attendant la permission de poursuivre. Richemont consulta Yolande du regard puis dit :

— La Reine permet que tu parles ! Qu'as-tu à dire ?

— Ceci : le Grand Chambellan ne peut être atteint de l'extérieur puisqu'il ne sort pas, il faut donc que ce soit à l'intérieur et à l'intérieur d'une demeure royale, puisqu'il les a faites siennes et qu'il se retranche derrière leurs garnisons.

— C'est tout juste ce que nous venons de dire, fit Jean de Bueil avec une grimace. Autrement dit, c'est impossible !

— C'est impossible à Amboise, reprit Tristan l'Hermite sans se démonter. Parce que le gouverneur est à lui, mais ce serait possible dans un château dont le gouverneur serait à nous. Chinon, par exemple, dont le gouverneur, messire Raoul de Gaucourt, s'est rallié secrètement à Monseigneur le Connétable et lui est tout dévoué.

Un frisson glacé courut rétrospectivement le long du dos de Catherine

; Raoul de Gaucourt ! L'ancien gouverneur d'Orléans, l'homme qui l'avait jadis mise à la torture, condamnée à la potence ! Il haïssait Jehanne d'Arc et l'avait combattue sourdement. Qu'avait bien pu lui faire La Trémoille pour qu'il changeât aussi radicalement de camp ?

Mais Richemont, d'un ton rogue, répondait à son écuyer :

— En effet, nous aurions une chance si l'on pouvait amener. La Trémoille, et le Roi bien entendu, à Chinon. Mais le Grand Chambellan n'aime pas Chinon. L'ombre de la Pucelle y est trop présente et les petites gens de la ville lui ont gardé leur cœur. Le Roi est trop facilement influençable. La Trémoille craint qu'il entende encore, dans la Grande Salle, l'écho de la voix de Jehanne. Il ne sait pas que Gaucourt nous est revenu, mais il n'acceptera jamais de ramener le Roi à Chinon!

— Et pourtant, s'écria Catherine, il faut qu'il l'y ramène ! N'y a-t-il personne qui ait quelque influence sur lui ? Il s'agit seulement d'une répugnance sentimentale que l'on pourrait tourner. Tout homme, selon moi, a son point faible qu'il suffit d'exploiter. Quel est-il pour le Grand Chambellan ?

Cette fois, la réponse vint d'Ambroise de Loré, un Angevin roux qui ne souriait jamais.

— Il en a deux : l'or et les femmes ! lança-t-il. Sa soif de l'un n'a d'égale que son insatiable désir des autres. Qu'il se trouve une fille assez belle pour lui mettre la folie dans le sang et il en arriverait peut-

être à faire une sottise !

Tandis que Loré parlait, son regard détaillait Catherine avec une insolence brutale qui lui mit le feu aux joues. L'intention de l'Angevin était si claire qu'une soudaine révolte étrangla la jeune femme. Pour qui la prenait-il, ce grand seigneur cynique ? Pensait-il mettre au lit de La Trémoille la femme d'Arnaud de Montsalvy ? Pourtant, elle retint la réplique acerbe qui lui montait aux lèvres... Peut-être y avait-il là une idée, après tout ? Entre affoler un homme et se donner à lui, il y a une marge et qui sait si...

Une exclamation furieuse de Pierre de Brézé coupa net le fil de sa pensée. Lui aussi, comme tous les autres d'ailleurs, avait saisi le sens des paroles de Loré et il se ruait déjà sur lui, blanc de colère.

Tu es fou ? À quoi songes-tu ? Les malheurs d'une noble dame, si belle soit-elle, devraient la défendre contre certaines pensées. Tu mériterais que je te fasse rentrer ton insolence dans la gorge, bien que tu sois mon ami ; car je n'admettrai jamais...

— Paix, messire de Brézé ! coupa la Reine. Après tout, notre ami Loré n'a rien dit dont se puisse chagriner Madame de Montsalvy. Seul, son regard a manqué de discrétion. Oublions-le !

— De toute façon, grogna Richemont, La Trémoille se méfie des grandes dames. Elles ont l'œil trop vif, la langue trop acérée et, de plus, leur rang leur permet des comparaisons qui ne sont jamais à son avantage. Ce qu'il aime, ce sont les ribaudes, les filles folles, habiles aux multiples jeux de l'amour, ou encore les belles paysannes qu'il peut avilir et tourmenter tout à son aise !

— Vous oubliez les jeunes pages, Monseigneur ! fit Tristan l'Hermite sarcastique, et autre chose encore dont se délecte actuellement notre Chambellan. Depuis un mois environ, une troupe de gens d'Egypte ou de Bohême s'est installée dans les fossés d'Amboise, contrainte par l'hiver et la dévastation des campagnes à se rapprocher des villes. Les bourgeois en ont peur parce qu'ils volent, disent l'avenir et savent jeter des sorts, mais, à cause de cette peur, ils se montrent généreux. Les hommes sont forgerons ou musiciens. Les filles dansent. Certaines sont belles et La Trémoille a du goût pour leur peau bistrée. Il n'est pas rare qu'il en fasse monter au château pour ses plaisirs et c'est, je crois bien, sa volonté plus encore que la famine qui retient la tribu à Amboise.

Catherine avait suivi avec un profond intérêt le petit discours du Flamand, d'autant plus qu'il semblait s'adresser surtout à elle. Elle y sentait une intention, mais ne démêlait pas encore très bien laquelle. Il semblait l'inviter à le suivre. Certes, s'il avait parlé de Tziganes, c'était avec une raison sérieuse.

— Suggérez-vous, fit Jean de Bueil avec hauteur, que nous devions nous acoquiner avec l'une de ces sauvagesses ? Belle garantie que nous aurions là !

Nous serions vendus à La Trémoille pour une paire de poules !

— En aucune manière, monseigneur, répondit Tristan, les yeux sur Catherine. En fait, je pensais plutôt qu'une femme intelligente, habile et courageuse, adroitement déguisée...

— Où voulez-vous en venir au juste ? coupa Brézé d'un air soupçonneux.

Tristan parut hésiter à répondre, mais Catherine avait compris.

Cette idée qu'il n'osait trop exposer, craignant sans doute les réactions violentes de certains chevaliers, elle l'avait saisie au vol, en vérité, et sans bien s'en rendre compte, à l'instant où il avait parlé des gens de Bohême. Et maintenant, elle allait la faire sienne. Elle sourit au Flamand pour l'encourager, posa une main apaisante sur le bras de Brézé.

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