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XIV

SUGGESTIONS.

Se livrer à Satan, qu’est-ce que c’est?

Quoi de plus absurde que le Progrès, puisque l’homme, comme cela est prouvé par le fait journalier, est toujours semblable et égal à l’homme, c’est-à-dire toujours à l’état sauvage. Qu’est-ce que les périls de la forêt et de la prairie auprès des chocs et des conflits quotidiens de la civilisation? Que l’homme enlace sa dupe sur le Boulevard, ou perce sa proie dans des forêts inconnues, n’est-il pas l’homme éternel, c’est-à-dire l’animal de proie le plus parfait?

– On dit que j’ai trente ans; mais si j’ai vécu trois minutes en une… n’ai-je pas quatre-vingt-dix ans?

… Le travail, n’est-ce pas le sel qui conserve les âmes momies?

Début d’un roman, commencer un sujet n’importe où et, pour avoir envie de le finir, débuter par de très belles phrases.

XV

Je crois que le charme infini et mystérieux qui gît dans la contemplation d’un navire en mouvement, tient, dans le premier cas, à la régularité et à la symétrie qui sont un des besoins primordiaux de l’esprit humain, au même degré que la complication et l’harmonie, – et, dans le second cas, à la multiplication et à la génération de toutes les courbes et figures imaginaires opérées dans l’espace par les éléments réels de l’objet.

L’idée poétique qui se dégage de cette opération du mouvement dans les lignes est l’hypothèse d’un être vaste, immense, compliqué, mais eurythmique, d’un animal plein de génie, souffrant et soupirant tous les soupirs et toutes les ambitions humaines.

Peuples civilisés, qui parlez toujours sottement de sauvages et de barbares, bientôt, comme le dit d’Aurevilly, vous ne vaudrez même plus assez pour être idolâtres.

Le stoïcisme, religion qui n’a qu’un sacrement, – le suicide!

Concevoir un canevas pour une bouffonnerie lyrique ou féerique, pour une pantomime, et traduire cela en un roman sérieux. Noyer le tout dans une atmosphère anormale et songeuse, – dans l’atmosphère des grands jours. – Que ce soit quelque chose de berçant, – et même de serein dans la passion. – Régions de la Poésie pure.

Ému au contact de ces voluptés qui ressemblaient à des souvenirs, attendri par la pensée d’un passé mal rempli, de tant de fautes, de tant de querelles, de tant de choses à se cacher réciproquement, il se mit à pleurer; et ses larmes chaudes coulèrent dans les ténèbres sur l’épaule nue de sa chère et toujours attirante maîtresse. Elle tressaillit; elle se sentit, elle aussi, attendrie et remuée. Les ténèbres rassuraient sa vanité et son dandysme de femme froide. Ces deux êtres déchus, mais souffrant encore de leur reste de noblesse, s’enlacèrent spontanément, confondant dans la pluie de leurs larmes et de leurs baisers les tristesses de leur passé avec leurs espérances bien incertaines d’avenir. Il est présumable que jamais pour eux la volupté ne fut si douce que dans cette nuit de mélancolie et de charité; – volupté saturée de douleur et de remords.

A travers la noirceur de la nuit, il avait regardé derrière lui dans les années profondes, puis il s’était jeté dans les bras de sa coupable amie pour y retrouver le pardon qu’il lui accordait.

– Hugo pense souvent à Prométhée. Il s’applique un vautour imaginaire sur une poitrine qui n’est lancinée que par les moxas de la vanité. Puis l’hallucination se compliquant, se variant, mais suivant la marche progressive décrite par les médecins, il croit que par un fiat de la Providence, Sainte-Hélène a pris la place de Jersey.

Cet homme est si peu élégiaque, si peu éthéré, qu’il ferait horreur même à un notaire.

Hugo-Sacerdoce a toujours le front penché; – trop penché pour rien voir, excepté son nombril.

Qu’est-ce qui n’est pas un sacerdoce aujourd’hui? La jeunesse elle-même est un sacerdoce, – à ce que dit la jeunesse.

Et qu’est-ce qui n’est pas une prière? – Chier est une prière, à ce que disent les démocrates quand ils chient.

M. de Pontmartin, – un homme qui a toujours l’air d’arriver de sa province…

L’homme, c’est-à-dire chacun, est si naturellement dépravé qu’il souffre moins de l’abaissement universel que de l’établissement d’une hiérarchie raisonnable.

Le monde va finir. La seule raison pour laquelle il pourrait durer, c’est qu’il existe. Que cette raison est faible, comparée à toutes celles qui annoncent le contraire, particulièrement à celle-ci: qu’est-ce que le monde a désormais à faire sous le ciel? – Car, en supposant qu’il continuât à exister matériellement, serait-ce une existence digne de ce nom et du dictionnaire historique? Je ne dis pas que le monde sera réduit aux expédients et au désordre, bouffon des républiques du Sud-Amérique, – que peut-être même nous retournerons à l’état sauvage, et que nous irons, à travers les ruines herbues de notre civilisation, chercher notre pâture, un fusil à la main. Non; – car ce sort et ces aventures supposeraient encore une certaine énergie vitale, écho des premiers âges. Nouvel exemple et nouvelles victimes des inexorables lois morales, nous périrons par où nous avons cru vivre. La mécanique nous aura tellement américanisés, le progrès aura si bien atrophié en nous toute la partie spirituelle, que rien parmi les rêveries sanguinaires, sacrilèges, ou anti-naturelles des utopistes ne pourra être comparé à ses résultats positifs. Je demande à tout homme qui pense de me montrer ce qui subsiste de la vie. De la religion, je crois inutile d’en parler et d’en chercher les restes, puisque se donner encore la peine de nier Dieu est le seul scandale en pareilles matières. La propriété avait disparu virtuellement avec la suppression du droit d’aînesse; mais le temps viendra où l’humanité, comme un ogre vengeur, arrachera leur dernier morceau à ceux qui croiront avoir hérité légitimement des révolutions. Encore, là ne serait pas le mal suprême.

L’imagination humaine peut concevoir sans trop de peine, des républiques ou autres états communautaires, dignes de quelque gloire, s’ils sont dirigés par des hommes sacrés, par de certains aristocrates. Mais ce n’est pas particulièrement par des institutions politiques que se manifestera la ruine universelle, ou le progrès universel; car peu m’importe le nom. Ce sera par l’avilissement des cœurs. Ai-je besoin de dire que le peu qui restera de politique se débattra péniblement dans les étreintes de l’animalité générale, et que les gouvernants seront forcés, pour se maintenir et pour créer un fantôme d’ordre, de recourir à des moyens qui feraient frissonner notre humanité actuelle, pourtant si endurcie? – Alors, le fils fuira la famille, non pas à dix-huit ans, mais à douze, émancipé par sa précocité gloutonne; il la fuira, non pas pour chercher des aventures héroïques, non pas pour délivrer une beauté prisonnière dans une tour, non pas pour immortaliser un galetas par de sublimes pensées, mais pour fonder un commerce, pour s’enrichir, et pour faire concurrence à son infâme papa, – fondateur et actionnaire d’un journal qui répandra les lumières et qui ferait considérer le Siècle d’alors comme un suppôt de la superstition. Alors, les errantes, les déclassées, celles qui ont eu quelques amants, et qu’on appelle parfois des Anges, en raison et en remerciement de l’étourderie qui brille, lumière de hasard, dans leur existence logique comme le mal, – alors celles-là, dis-je, ne seront plus qu’impitoyable sagesse, sagesse qui condamnera tout, fors l’argent, tout, même les erreurs des sens!… Alors, ce qui ressemblera à la vertu, – que dis-je, – tout ce qui ne sera pas l’ardeur vers Plutus sera réputé un immense ridicule. La justice, si, à cette époque fortunée, il peut encore exister une justice, fera interdire les citoyens qui ne sauront pas faire fortune. – Ton épouse, ô Bourgeois! ta chaste moitié dont la légitimité fait pour toi la poésie, introduisant désormais dans la légalité une infamie irréprochable, gardienne vigilante et amoureuse de ton coffre-fort, ne sera plus que l’idéal parfait de la femme entretenue. Ta fille, avec une nubilité enfantine, rêvera dans son berceau, qu’elle se vend un million. Et toi-même, ô Bourgeois, – moins poète encore que tu n’es aujourd’hui, – tu n’y trouveras rien à redire; tu ne regretteras rien. Car il y a des choses dans l’homme, qui se fortifient et prospèrent à mesure que d’autres se délicatisent et s’amoindrissent, et, grâce au progrès de ces temps, il ne te restera de tes entrailles que des viscères!

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