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Ce règlement, recopié avec amour de la propre main de M. Viot, son auteur, était un véritable traité, divisé méthodiquement en trois parties ! 1° Devoirs du maître d'étude envers ses supérieurs ; 2° Devoirs du maître d'étude envers ses collègues ; 3° Devoirs du maître d'étude envers les élèves.

Tous les cas y étaient prévus, depuis le carreau brisé jusqu'aux deux mains qui se lèvent en même temps à l'étude ; tous les détails de la vie des maîtres y étaient consignés, depuis le chiffre de leurs appointements jusqu'à la demi-bouteille de vin à laquelle ils avaient droit à chaque repas.

Le règlement se terminait par une belle pièce d'éloquence, un discours sur l'utilité du règlement lui-même ; mais, malgré son respect pour l'œuvre de M. Viot, le petit Chose n'eut pas la force d'aller jusqu'au bout, et – juste au plus beau passage du discours – il s'endormit…

Cette nuit-là, je dormis mal. Mille rêves fantastiques troublèrent mon sommeil… Tantôt, c'était les terribles clefs de M. Viot que je croyais entendre, frinc ! frinc ! frinc ! ou bien la fée aux lunettes qui venait s'asseoir à mon chevet et qui me réveillait en sursaut ; d'autres fois aussi les yeux noirs – oh ! comme ils étaient noirs ! – s'installaient au pied de mon lit, me regardant avec une étrange obstination…

Le lendemain, à huit heures, j'arrivai au collège.

M. Viot, debout sur la porte, son trousseau de clefs à la main, surveillait l'entrée des externes. Il m'accueillit avec son plus doux sourire.

« Attendez sous le porche, me dit-il, quand les élèves seront rentrés, je vous présenterai à vos collègues. » J'attendis sous le porche, me promenant de long en large, saluant jusqu'à terre MM. les professeurs qui accouraient, essoufflés. Un seul de ces messieurs me rendit mon salut ; c'était un prêtre, le professeur de philosophie, « un original » me dit M. Viot… Je l'aimai tout de suite, cet original-là.

La cloche sonna. Les classes se remplirent… Quatre ou cinq grands garçons de vingt-cinq à trente ans, mal vêtus, figures communes, arrivèrent en gambadant et s'arrêtèrent interdits à l'aspect de M. Viot.

« Messieurs, leur dit le surveillant général en me désignant, voici M. Daniel Eyssette, votre nouveau collègue. » Ayant dit, il fit une longue révérence et se retira, toujours souriant, toujours la tête sur l'épaule, et toujours agitant les horribles clefs.

Mes collègues et moi nous nous regardâmes un moment en silence.

Le plus grand et le plus gros d'entre eux prit le premier la parole : c'était M. Serrières, le fameux Serrières, que j'allais remplacer.

« Parbleu ! s'écria-t-il d'un ton joyeux, c'est bien le cas de dire que les maîtres se suivent, mais ne se ressemblent pas. » Ceci était une allusion à la prodigieuse différence de taille qui existait entre nous. Où en rit beaucoup, beaucoup, moi le premier ; mais je vous assure qu'à ce moment-là, le petit Chose aurait volontiers vendu son âme au diable pour avoir seulement quelques pouces de plus.

« Ça ne fait rien, ajouta le gros Serrières en me tendant la main ; quoiqu'on ne soit pas bâti pour passer sous la même toise, on peut tout de même vider quelques flacons ensemble. Venez avec nous, collègue…, je paie un punch d'adieu au café Barbette ; je veux que vous en soyez…, on fera connaissance en trinquant. » Sans me laisser le temps de répondre, il prit mon bras sous le sien et m'entraîna dehors.

Le café Barbette, où mes nouveaux collègues me menèrent, était situé sur la place d'armes. Les sous-officiers de la garnison le fréquentaient, et ce qui frappait en y entrant, c'était la quantité de shakos et de ceinturons pendus aux patères…

Ce jour-là, le départ de Serrières et son punch d'adieu avaient attiré le ban et l'arrière-ban des habitués… Les sous-officiers auxquels Serrières me présenta en arrivant, m'accueillirent avec beaucoup de cordialité. À vrai dire, pourtant, l'arrivée du petit Chose ne fit pas grande sensation, et je fus bien vite oublié, dans le coin de la salle où je m'étais réfugié timidement… Pendant que les verres se remplissaient, le gros Serrières vint s'asseoir à côté de moi ; il avait quitté sa redingote et tenait aux dents une longue pipe de terre sur laquelle son nom était en lettres de porcelaine. Tous les maîtres d'étude avaient, au café Barbette, une pipe comme cela.

« Eh bien, collègue, me dit le gros Serrières, vous voyez qu'il y a encore de bons moments dans le métier… En somme, vous êtes bien tombé en venant à Sarlande pour votre début. D'abord l'absinthe du café Barbette est excellente et puis, là-bas, à la boîte, vous ne serez pas trop mal. » La boîte, c'était le collège.

«Vous allez avoir l'étude des petits, des gamins qu'on mène à la baguette. Il faut voir comme je les ai dressés ! Le principal n'est pas méchant ; les collègues sont de bons garçons : il n'y a que la vieille et le père Viot…

– Quelle vieille ? demandai-je en tressaillant.

– Oh ! vous la connaîtrez bientôt. À toute heure du jour et de la nuit, on la rencontre rôdant par le collège, avec une énorme paire de lunettes… C'est une tante du principal, et elle remplit ici les fonctions d'économe. Ah ! la coquine ! si nous ne mourons pas de faim, ce n'est pas de sa faute.» Au signalement que me donnait Serrières, j'avais reconnu la fée aux lunettes et malgré moi je me sentais rougir. Dix fois, je fus sur le point d'interrompre mon collège et de lui demander : « Et les yeux noirs ?» Mais je n'osai pas. Parler des yeux noirs au café Barbette ! '.

En attendant, le punch circulait, les verres vides s'emplissaient, les verres remplis se vidaient ; c'était des toasts, des oh ! oh ! des ah ! ah ! des queues de billard en !.'air, des bousculades, de gros rires, des calembours, des confidences…

Peu à peu, le petit Chose se sentit moins timide. Il avait quitté son encoignure et se promenait par le café, parlant haut, le verre à la main.

À cette heure, les sous-officiers étaient ses amis ; il raconta effrontément à l'un d'eux qu'il appartenait à une famille très riche et qu'à la suite de quelques folies de jeune homme, on l'avait chassé de la maison paternelle ; il s'était fait maître d'étude pour vivre mais il ne pensait pas rester au collège longtemps…

Vous comprenez, avec une famille tellement riche !…

Ah ! si ceux de Lyon avaient pu l'entendre à ce moment-là.

Ce que c'est que de nous, pourtant ! Quand on sut au café Barbette, que j'étais un fils de famille en rupture de ban, un polisson, un mauvais drôle, et non point, comme on aurait pu le croire, un pauvre garçon condamné par la misère à la pédagogie, tout le monde me regarda d'un meilleur œil. Les plus anciens sous-officiers ne dédaignèrent pas de m'adresser la parole ; on alla même plus loin : au moment de partir, Roger, le maître d'armes, mon ami de la veille, se leva et porta un toast à Daniel Eyssette. Vous pensez si le petit Chose fut fier. Le toast à Daniel Eyssette donna le signal du départ. Il était dix heures moins le quart, c'est-à-dire l'heure de retourner au collège.

L'homme aux clefs nous attendait sur la porte.

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