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Napoléon Hayard

Dictionnaire Argot-Français

dit L'Empereur des Camelots

A Madame Hayard

– Comment, une biographie? Non mais, Madame!… Vous n'y songez pas, si Hayard nous entendait, il s'écrierait:

– Une biographie?… Pourquoi pas une statue?… Avec une mominette à la main… Ah! zut! Mort aux vaches!!

Et le public, quel intérêt voulez-vous qu'il prenne à la lire? Me voyez-vous racontant ce bon gros vivant, plein de santé, un sourire toujours fleurissant ses lèvres; avenant, la main tendue-souvent pour donner, discrètement, l'aumône coutumière,-ce fantaisiste, toujours dans l'actualité, la devançant parfois, qu'on rencontrait dans un coin du Croissant, son vaste feutre penché sur l'oreille; rêveur, une cigarette rarement allumée entre les doigts; ce brave homme qui vous prenait le bras, ayant toujours une anecdote à conter.

– Venez prendre quelque chose.

On partait-et c'étaient alors d'interminables palabres.

– …En 1870, pendant le siège, ma mère était seule, vieille, sans argent, ayant de plus à sa charge ma sœur, veuve avec trois enfants, moi, sans travail, malheureusement. Je n'hésitai pas. Afin que ma sœur ait l'autorisation d'avoir une cantine qui permît de vivre à la maisonnée, je m'engageai… (il commençait à rire)-Oui, je m'engageai… dans la marine… de la Seine !

Puis, il buvait une goutte d'absinthe, non sans avoir, au préalable, fait passer, en tournant vivement son verre, une partie du liquide par dessus les bords.

Son ami, Ernest Gegout en a fait, en marin de la Commune, une bien amusante description.

«Napoléon Hayard épate les légions communardes par sa somptuaire. Un yatagan a deux mains, enrichi de pierreries, pend à son côté, retenu par une corde. Au rapport, il le tire chaque matin, avec un air sombre et des yeux farouches, pour tailler son crayon!… A sa ceinture de flanelle rouge sont retenus des pistolets à crosses formidables incrustés d'or, et il chausse des bottes profondes, à revers rouges, le tout chipé, par inadvertance, au cours d'une perquisition chez le général de Galliffet.»

On pourrait aussi conter cette abracadabrante histoire des sifflets à roulettes que la préfecture de police vint lui acheter pour en empêcher la vente sur le passage d'un Président de la République.

Vous vous souvenez, Madame, qu'il courut tous les fabricants, pour en avoir quelques milliers, car il n'avait jamais eu l'idée d'en vendre, et qu'il réussit ainsi une excellente opération avec ces messieurs de la Tour pointue.

Vous voudriez sans doute aussi que je narre l'histoire de quelques-unes des manifestations politiques «spontanées» dont certains furent les héros, mais où il eut surtout la plus large part, au point de croire que c'était à lui que ces manifestations s'adressaient. Je me souviens d'une, principalement, où, tout le long des boulevards, dans la voiture de celui auquel les cris et les vivats étaient destinés, il saluait, se levait, agitait son feutre, un feutre gris, ce soir-là-étendant ses grands bras dans un mouvement rythmique de chef d'orchestre, comme pour tempérer ou accentuer les clameurs.-Et la foule, dans le clair-obscur de minuit, confondant grâce à sa barbe, lui et son client, l'acclamait, réellement séduite par l'énergie de sa mimique et de son allure.

Et, aussi son triomphal voyage à Londres-dernière étape de sa vie si mouvementée-où, pour faire vendre et chanter sa fameuse chanson, Viens Mimile, il partit à la suite du Président Loubet en Angleterre!-Il obtint un tel succès de curiosité que tous les journaux anglais donnèrent son portrait à côté de celui de M. Loubet, si bien que le peuple anglais dut se demander lequel des deux conduisait le char de l'Etat: le Président ou l'Empereur… des camelots?

Quand je songe à cette exubérance, à ce désir de vie, à cet amour du mouvement dont il était si plein, lui, l'homme des foules, l'ami du progrès, qui faisait de la «rue» son domicile privilégié-abandonnant le sien, si doux et si confortable-et qui fut tué, au coin d'une rue du «Croissant», par une automobile lancée à toute vitesse, tué par le progrès, dans la «rue», chez lui! Je sens une pointe de tristesse monter de mon cœur à mes yeux.

Et puis ne pensez-vous pas qu'il faudrait aussi dire qu'il connut les personnalités les plus hautes de la République,-qu'on lui confia même des secrets d'Etat-qu'il connut maints complots. Que sais-je encore? Et tout ça pour faire savoir au lecteur que Napoléon Hayard, par sa vie, était à même de parler et de connaître l'argot moderne. Mais son nom seul suffit à l'affirmer: «Napoléon Hayard, l'Empereur des Camelots!» Je crois que cela indique assez bien son homme. Croyez-moi, pas de biographie. Non madame! non n'insistez pas! Au revoir…

…Au revoir!

…Revoir!

L.C.

NOTICE

Napoléon Hayard fut un des hommes qui connurent le mieux les gens et les mœurs de notre époque.

La documentation que nous livrons aujourd'hui au public, est donc le résultat de la vie même de notre ami.

On ne doit pas s'attendre à trouver ici un travail d'érudition, comme les dictionnaires d'Alfred Delvau, Jean Rigaud, Lorédan Larchey ou Charles Virmaître. Hayard a noté ce qu'il entendait, sans rechercher si les expressions avaient quelques liens de parenté avec les argots classiques: celui des antiques mercelots, celui du Temple, ou celui des Barrières. L'argot se modifie d'époque en époque et devient, d'une génération à l'autre, dissemblable à lui-même. Un argotier archaïque, Ollivier Chéreau, l'expliquait ainsi déjà au XVIe siècle:

«Ce sont les plus sçavants les plus habiles marpants detoutime l'argot… qui enseignent le jargon à rouscailer bigorne, qui ostent, retranchent, réforment l'argot ainsi qu'ils veulent, et ont puissance de trucher sur le toutime sans ficher floutière…»

Ces phrases ne seraient aujourd'hui comprises par aucun dos, barbe ou monte-en-l'air. Ce qui prouve que l'argot s'est modifié et simplifié depuis les cagouts et truands de la Cour des Miracles.

On ne rencontrera dans ce dictionnaire, que des termes actuellement en usage.

Nous n'avons pas cru devoir faire figurer les locutions qui ne sont que des mots français déformés, dont on a seulement altéré le préfixe et la terminaison, comme le javanais ou l'argot de louchèbem. Ces locutions appartiennent à divers jargons et non au véritable argot.

Que les curieux y trouvent quelque distraction, que les honnêtes gens y puisent une arme de défense contre les malfaiteurs, c'est tout ce qu'ambitionnait l'auteur.

Son collaborateur:

MARIUS RETY.

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