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– Eh bien maintenant, monsieur, que vous avez pu vous assurer que c'était moi, puisque je vous parle et qu'au besoin je pourrais vous toucher, laissez-moi en repos.

– Cap-de-Diou! dit Sainte-Maline, vous ne vous êtes pas fait ermite et vous ne l'habitez pas seul, je suppose.

– Quant à cela, monsieur, vous me permettrez de vous laisser dans le doute, en supposant que vous y soyez.

– Ah! bah! continua Sainte-Maline en s'efforçant de pénétrer dans la tourelle, est-ce que vraiment vous seriez seul? Ah! vous êtes sans lumière, bravo!

– Allons, messieurs, dit Ernauton d'un ton hautain, j'admets que vous soyez ivres, et je vous pardonne; mais il y a un terme même à la patience que l'on doit à des hommes hors de leur bon sens; les plaisanteries sont épuisées, n'est-ce pas? faites-moi donc le plaisir de vous retirer.

Malheureusement Sainte-Maline était dans un de ses accès de méchanceté envieuse.

– Oh! oh! nous retirer, dit-il, comme vous nous dites cela, monsieur Ernauton!

– Je vous dis cela de façon à ce que vous ne vous trompiez pas à mon désir, monsieur de Sainte-Maline, et, s'il le faut même, je le répète: retirez-vous, messieurs, je vous en prie.

– Oh! pas avant que vous ne nous ayez admis à l'honneur de saluer la personne pour laquelle vous désertez notre compagnie.

À cette insistance de Sainte-Maline, le cercle prêt à se rompre se reforma autour de lui.

– Monsieur de Montcrabeau, dit Sainte-Maline avec autorité, descendez, et remontez avec une bougie.

– Monsieur de Montcrabeau, s'écria Ernauton, si vous faites cela, souvenez-vous que vous m'offensez personnellement.

Montcrabeau hésita, tant il y avait de menaces dans la voix du jeune homme.

– Bon! répliqua Sainte-Maline, nous avons notre serment, et M. de Carmainges est si religieux en discipline qu'il ne voudra pas l'enfreindre; nous ne pouvons tirer l'épée les uns contre les autres; ainsi éclairez. Montcrabeau, éclairez.

Montcrabeau descendit, et, cinq minutes après, remonta avec une bougie qu'il voulut remettre à Sainte-Maline.

– Non pas, non pas, dit celui-ci, gardez, je vais peut-être avoir besoin de mes deux mains.

Et Sainte-Maline fit un pas en avant pour pénétrer dans la tourelle.

– Je vous prends à témoin, tous tant que vous êtes ici, dit Ernauton, qu'on m'insulte indignement et qu'on me fait violence sans motifs, et qu'en conséquence, – Ernauton tira vivement son épée, et qu'en conséquence j'enfonce cette épée dans la poitrine du premier qui fera un pas en avant.

Sainte-Maline, furieux, voulut mettre aussi l'épée à la main, mais il n'avait pas encore dégainé à moitié, qu'il vit briller sur sa poitrine la pointe de l'épée d'Ernauton.

Or, comme en ce moment il faisait un pas en avant, sans que M. de Carmainges eût besoin de se fendre, ou de pousser le bras, Sainte-Maline sentit le froid du fer, et recula en délire, comme un taureau blessé.

Alors, Ernauton fit en avant un pas égal au pas de retraite que faisait Sainte-Maline, et l'épée se retrouva menaçante sur la poitrine de ce dernier.

Sainte-Maline pâlit: si Ernauton s'était fendu, il le clouait à la muraille.

Il repoussa lentement son épée au fourreau.

– Vous mériteriez mille morts pour votre insolence, monsieur, dit Ernauton; mais le serment dont vous me parliez tout à l'heure me lie, et je ne vous toucherai pas davantage; laissez-moi le chemin libre.

Il fit un pas en arrière pour voir si l'on obéirait.

Et avec un geste suprême, qui eût fait honneur à un roi:

– Au large, messieurs, dit-il; venez, madame, je réponds de tout.

On vit alors apparaître au seuil de la tourelle une femme dont la tête était couverte d'une coiffe, dont le visage était couvert d'un voile, et qui prit toute tremblante le bras d'Ernauton.

Alors le jeune homme remit son épée au fourreau, et comme s'il était sûr de n'avoir plus rien à craindre, il traversa fièrement l'antichambre peuplée de ses compagnons inquiets et curieux à la fois.

Sainte-Maline, dont le fer avait légèrement effleuré la poitrine, avait reculé jusque sur le palier, tout étouffant de l'affront mérité qu'il venait de recevoir devant ses compagnons et devant la dame inconnue.

Il comprit que tout se réunissait contre lui, rieurs et hommes sérieux, si les choses demeuraient entre lui et Ernauton dans l'état où elles étaient; cette conviction le poussa à une dernière extrémité.

Il tira sa dague au moment où Carmainges passait devant lui.

Avait-il l'intention de frapper Carmainges? avait-il l'intention de faire ce qu'il fit? voilà ce qu'il serait impossible d'éclaircir sans avoir lu dans la ténébreuse pensée de cet homme, où lui-même peut-être ne pouvait lire dans ses moments de colère.

Toujours est-il que son bras s'abattit sur le couple, et que la lame de son poignard, au lieu d'entamer la poitrine d'Ernauton, fendit la coiffe de soie de la duchesse, et trancha un des cordons du masque.

Le masque tomba à terre.

Le mouvement de Sainte-Maline avait été si prompt, que, dans l'ombre, nul n'avait pu s'en rendre compte, nul n'avait pu s'y opposer.

La duchesse jeta un cri. Son masque l'abandonnait et, le long de son col, elle avait senti glisser le dos arrondi de la lame, qui cependant ne l'avait pas blessée.

Sainte-Maline eut donc, tandis qu'Ernauton s'inquiétait de ce cri poussé par la duchesse, tout le temps de ramasser le masque et de le lui rendre, de sorte qu'à la lueur de la bougie de Montcrabeau, il put voir le visage de la jeune femme, que rien ne protégeait.

– Ah! ah! dit-il de sa voix railleuse et insolente: c'est la belle dame de la litière: mes compliments, Ernauton, vous allez vite en besogne.

Ernauton s'arrêtait et avait déjà tiré à moitié du fourreau son épée, qu'il se repentait d'y avoir remise, lorsque la duchesse l'entraîna par les degrés en lui disant tout bas:

– Venez, venez, je vous en supplie, monsieur de Carmainges.

– Je vous reverrai, monsieur de Sainte-Maline, dit Ernauton en s'éloignant, et soyez tranquille, vous me paierez cette lâcheté avec les autres.

– Bien, bien! fit Sainte-Maline, tenez votre compte de votre côté; je tiens le mien; nous les réglerons tous deux un jour.

Carmainges entendit, mais ne se retourna même point, il était tout entier à la duchesse.

Arrivé au bas de l'escalier, personne ne s'opposa plus à son passage; ceux des quarante-cinq qui n'avaient pas monté l'escalier blâmaient sans doute tout bas la violence de leurs camarades.

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