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– Chicot, mon enfant, dit Henri en secouant la tête, rassure-toi, tu n'es pas assez gras pour ma table.

– Eh! mais, sire, dit Chicot en se soulevant, je vous trouve tout guilleret ce matin; quelles nouvelles donc?

– Ah! je vais te dire: c'est que je pars pour la chasse, vois-tu, et je suis toujours très gai quand je vais en chasse. Allons, hors du lit, compère, hors du lit!

– Comment, vous m'emmenez, sire?

– Tu seras mon historiographe, Chicot.

– Je tiendrai note des coups tirés?

– Justement.

Chicot secoua la tête.

– Eh bien! qu'as-tu? demanda le roi.

– J'ai, répondit Chicot, que je n'ai jamais vu pareille gaîté, sans inquiétude.

– Bah!

– Oui, c'est comme le soleil quand il…

– Eh bien?

– Eh bien! sire, pluie, éclair et tonnerre ne sont pas loin.

Henri se caressa la barbe en souriant et répondit:

– S'il fait de l'orage, Chicot, mon manteau est grand et tu seras à couvert.

Puis s'avançant vers l'antichambre, tandis que Chicot s'habillait tout en murmurant:

– Mon cheval! cria le roi; et qu'on dise à M. de Mornay que je suis prêt.

– Ah! c'est M. de Mornay qui est grand veneur pour cette chasse? demanda Chicot.

– M. de Mornay est tout ici, Chicot, répondit Henri. Le roi de Navarre est si pauvre, qu'il n'a pas le moyen de diviser ses charges en spécialités. Je n'ai qu'un homme, moi.

– Oui, mais il est bon, soupira Chicot.

LIV Comment on chassait le loup en Navarre

Chicot, en jetant les yeux sur les préparatifs du départ, ne put s'empêcher de remarquer à demi-voix que les chasses du roi Henri de Navarre étaient moins somptueuses que celles du roi Henri de France.

Douze ou quinze gentilshommes seulement, parmi lesquels il reconnut M. le vicomte de Turenne, objet des contestations matrimoniales, formaient toute la suite de S.M.

De plus, comme ces messieurs n'étaient riches qu'à la surface, comme ils n'avaient point d'assez puissants revenus pour faire d'inutiles dépenses, et même parfois d'utiles dépenses, presque tous, au lieu du costume de chasse en usage à cette époque, portaient le heaume et la cuirasse; ce qui fit demander à Chicot si les loups de Gascogne avaient dans leurs forêts mousquets et artillerie.

Henri entendit la question, quoiqu'elle ne lui fût pas directement adressée; il s'approcha de Chicot et lui toucha l'épaule.

– Non, mon fils, lui dit-il, les loups de Gascogne n'ont ni mousquets ni artillerie; mais ce sont de rudes bêtes, qui ont griffes et dents, et qui attirent les chasseurs dans des fourrés où l'on risque fort de déchirer ses habits aux épines; or, on déchire un habit de soie ou de velours, et même un justaucorps de drap ou de buffle, mais on ne déchire pas une cuirasse.

– Voilà une raison, grommela Chicot, mais elle n'est pas excellente.

– Que veux-tu, dit Henri, je n'en ai pas d'autre.

– Il faut donc que je m'en contente.

– C'est ce que tu as de mieux à faire, mon fils.

– Soit.

– Voilà un soit qui sent sa critique intérieure, reprit Henri en riant; tu m'en veux de t'avoir dérangé pour aller à la chasse?

– Ma foi, oui.

– Et tu gloses.

– Est-ce défendu?

– Non, mon ami, non, la gloserie est monnaie courante en Gascogne.

– Dame! vous comprenez, sire: je ne suis pas chasseur, moi, répliqua Chicot, et il faut bien que je m'occupe à quelque chose, moi, pauvre fainéant, qui n'ai rien à faire, tandis que vous vous pourléchez les moustaches, vous autres, du fumet de ces bons loups que vous allez forcer à douze ou quinze que vous êtes.

– Ah! oui, dit le roi en souriant encore de la satire, les habits d'abord, puis le nombre; raille, raille, mon cher Chicot.

– Oh! sire!

– Mais je te ferai observer que tu n'es pas indulgent, mon fils: le Béarn n'est pas grand comme la France; le roi, là-bas, marche toujours avec deux cents veneurs, moi, ici, je pars avec douze, comme tu vois.

– Oui, sire.

– Mais, continua Henri, tu vas croire que je gasconne, Chicot: eh bien! quelquefois ici, ce qui n'arrive point là-bas, quelquefois ici, des gentilshommes de campagne, apprenant que je fais chasse, quittent leurs maisons, leurs châteaux, leurs mas, et viennent se joindre à moi, ce qui parfois me compose une assez belle escorte.

– Vous verrez, sire, que je n'aurai pas le bonheur d'assister à une chose pareille, dit Chicot; en vérité, sire, je suis en guignon.

– Qui sait! répondit Henri avec son rire goguenard.

Puis, comme on avait laissé Nérac, franchi les portes de la ville, comme depuis une demi-heure à peu près on marchait déjà dans la campagne:

– Tiens, dit Henri à Chicot, en amenant sa main au-dessus de ses yeux pour s'en faire une visière, tiens, je ne me trompe pas, je pense.

– Qu'y a-t-il? demanda Chicot.

– Regarde donc là-bas aux barrières du bourg de Moiras; ne sont-ce point des cavaliers que j'aperçois?

Chicot se haussa sur ses étriers.

– Ma foi, sire, je crois que oui, dit-il.

– Et moi j'en suis sûr.

– Cavaliers, oui, dit Chicot en regardant avec plus d'attention; mais chasseurs, non.

– Pourquoi pas chasseurs?

– Parce qu'ils sont armés comme des Roland et des Amadis, répondit Chicot.

– Eh! qu'importe l'habit, mon cher Chicot; tu as déjà appris en nous voyant que l'habit ne fait pas le chasseur.

– Mais, s'écria Chicot, je vois au moins deux cents hommes là-bas.

– Eh bien! que prouve cela, mon fils? que Moiras est une bonne redevance.

Chicot sentit sa curiosité aiguillonnée de plus en plus.

La troupe que Chicot avait dénombrée au plus bas chiffre, car elle se composait de deux cent cinquante cavaliers, se joignit silencieusement à l'escorte; chacun des hommes qui la composaient était bien monté, bien équipé, et le tout était commandé par un homme de bonne mine, qui vint baiser la main de Henri avec courtoisie et dévoûment.

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