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– Vous m'appelez bon Remy, dit le Haudoin, parce que je vous ai fait revoir madame de Monsoreau; mais m'appellerez-vous encore bon Remy quand vous allez être séparé d'elle, et malheureusement le jour approche, s'il n'est pas arrivé.

– Plaît-il? s'écria énergiquement Bussy. Ne plaisantons pas là-dessus, maître le Haudoin.

– Eh! monsieur, je ne plaisante pas; ne savez-vous point qu'elle part pour l'Anjou, et que moi-même je vais avoir la douleur d'être séparé de mademoiselle Gertrude?… Ah!

Bussy ne put s'empêcher de sourire au prétendu désespoir de Remy.

– Tu l'aimes beaucoup? demanda-t-il.

– Je crois bien… et elle donc… Si vous saviez comme elle me bat.

– Et tu te laisses faire?

– Par amour pour la science: elle m'a forcé d'inventer une pommade souveraine pour faire disparaître les bleus.

– En ce cas, tu devrais bien en envoyer plusieurs pots à Schomberg.

– Ne parlons plus de Schomberg, il est convenu que nous le laissons se débarbouiller à sa guise.

– Oui, et revenons à madame de Monsoreau, ou plutôt à Diane de Méridor, car tu sais…

– Oh! mon Dieu, oui; je sais.

– Remy, quand partons-nous?

– Ah! voilà ce dont je me doutais; le plus tard possible, monsieur le comte.

– Pourquoi cela?

– D'abord parce que nous avons à Paris ce cher M. d'Anjou, le chef de la communauté, qui s'est mis, hier soir, à ce qu'il m'a semblé, dans de telles affaires, qu'il va évidemment avoir besoin de vous.

– Ensuite.

– Ensuite parce que M. de Monsoreau, par une bénédiction toute particulière, ne se doute de rien, à votre endroit du moins, et qu'il se douterait peut-être de quelque chose s'il vous voyait disparaître de Paris en même temps que sa femme qui n'est point sa femme.

– Eh bien, que m'importe qu'il s'en doute?

– Oh! oui, mais cela m'importe beaucoup, à moi, mon cher seigneur. Je me charge de raccommoder les coups d'épée reçus en duel, parce que, comme vous tirez de première force, vous ne recevez jamais de coups d'épée bien sérieux, mais je récuse les coups de poignard poussés dans les guet-apens et surtout par les maris jaloux; ce sont des animaux qui, en pareil cas, tapent fort dur; voyez plutôt ce pauvre M. de Saint-Mégrin, si méchamment mis à mort par notre ami M. de Guise.

– Que veux-tu, cher ami, s'il est dans ma destinée d'être tué par le Monsoreau!

– Eh bien?

– Eh bien, il me tuera.

– Et puis, huit jours, un mois, un an après, madame de Monsoreau épousera son mari, ce qui fera énormément enrager votre pauvre âme, qui verra cela d'en haut ou d'en bas, et qui ne pourra pas s'y opposer, vu qu'elle n'aura plus de corps.

– Tu as raison, Remy, je veux vivre.

– À la bonne heure! Mais ce n'est pas le tout que de vivre, croyez-moi, il faut encore suivre mes conseils, être charmant pour le Monsoreau; il est, pour le moment, d'une affreuse jalousie contre M. le duc d'Anjou, qui, tandis que vous grelottiez la fièvre dans votre lit, se promenait sous les fenêtres de la dame, comme un Espagnol à bonnes fortunes, et qui a été reconnu à son Aurilly. Faites-lui toutes sortes d'avance, à ce bon mari, qui ne l'est pas; n'ayez pas même l'air de lui demander ce qu'est devenue sa femme; c'est inutile, puisque vous le savez, et il répandra partout que vous êtes le seul gentilhomme qui possédiez les vertus de Scipion: sobriété et chasteté.

– Je crois que tu as raison, dit Bussy. À présent que je ne suis plus jaloux de l'ours, je veux l'apprivoiser, ce sera d'un suprême comique! Ah! maintenant, Remy, demande-moi tout ce que tu voudras, tout m'est facile, je suis heureux.

En ce moment quelqu'un frappa à la porte, les deux convives firent silence.

– Qui va là? demanda Bussy.

– Monseigneur, répondit un page, il y a en bas un gentilhomme qui veut vous parler.

– Me parler, à moi, si matin! qui est-ce?

– Un grand monsieur, vêtu de velours vert, avec des bas roses, une figure un peu risible, mais l'air d'un honnête homme.

– Eh! pensa tout haut Bussy, serait-ce Schomberg?

– Il a dit: un grand monsieur.

– C'est vrai; ou le Monsoreau?

– Il a dit: l'air d'un honnête homme.

– Tu as raison, Remy, ce ne peut être ni l'un ni l'autre; fais entrer.

L'homme annoncé parut au bout d'un instant sur le seuil.

– Ah! mon Dieu, s'écria Bussy en se levant précipitamment à la vue du visiteur, tandis que Remy, en ami discret, se retirait par la porte d'un cabinet.

– Monsieur Chicot! exclama Bussy.

– Lui-même, monsieur le comte, répondit le Gascon.

Le regard de Bussy s'était fixé sur lui avec cet étonnement qui veut dire en toutes lettres, sans que la bouche ait besoin de prendre le moins du monde part à la conversation: «Monsieur, que venez-vous faire ici?»

Aussi, sans être autrement interrogé, Chicot répondit d'un ton fort sérieux:

– Monsieur, je viens vous proposer un petit marché.

– Parlez, monsieur, répliqua Bussy avec surprise.

– Que me promettez-vous si je vous rendais un grand service?

– Cela dépend du service, monsieur, répondit assez dédaigneusement Bussy.

Le Gascon feignit de ne point remarquer cet air de dédain.

– Monsieur, dit Chicot en s'asseyant et en croisant ses longues jambes l'une sur l'autre, je remarque que vous ne me faites pas l'honneur de m'inviter à m'asseoir.

Le rouge monta au visage de Bussy.

– C'est autant à ajouter encore, dit Chicot, à la récompense qui me reviendra quand je vous aurai rendu le service en question.

Bussy ne répondit point.

– Monsieur, continua Chicot sans se démonter, connaissez-vous la Ligue?

– J'en ai fort entendu parler, répondit Bussy, commençant à prêter une certaine attention à ce que lui disait le Gascon.

– Eh bien, monsieur, dit Chicot, vous devez savoir en ce cas que c'est une association d'honnêtes chrétiens, réunis dans le but de massacrer religieusement leurs voisins, les huguenots.- En êtes-vous, monsieur, de la Ligue?- Moi, j'en suis.

– Mais, monsieur?

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