François tressaillit de joie.
– Oh! dit-il, si Votre Majesté me croyait digne de cette confiance!
– Confiance? ah! François, confiance? du moment où ce n'est pas M. de Guise qui est ce chef, de qui veux-tu que je me défie? de la Ligue elle même? est-ce que par hasard la Ligue me mettrait en danger? Parle, mon bon François, dis-moi tout.
– Oh! sire, fit le duc.
– Que je suis fou! reprit Henri; dans ce cas, mon frère n'en serait pas le chef, ou, mieux encore, du moment où mon frère en serait le chef, il n'y aurait plus de danger. Hein! c'est de la logique, cela, et notre pédagogue ne nous a pas volé notre argent; non, ma foi, je n'ai pas de défiance. D'ailleurs, je connais encore assez d'hommes d'épée en France pour être sûr de dégainer en bonne compagnie contre la Ligue, le jour où la Ligue me gênera trop les coudes.
– C'est vrai, sire, répondit le duc avec une naïveté presque aussi bien affectée que celle de son frère, le roi est toujours le roi.
– Chicot rouvrit un œil.
– Pardieu, dit Henri. Mais malheureusement à moi aussi il me vient une idée; c'est incroyable combien il en pousse aujourd'hui, il y a des jours comme cela.
– Quelle idée? mon frère, demanda le duc, déjà inquiet, parce qu'il ne pouvait pas croire qu'un si grand bonheur s'accomplît sans empêchement.
– Eh! notre cousin de Guise, le père, ou plutôt qui se croit le père de l'invention, notre cousin de Guise s'est probablement bouté dans l'esprit d'en être le chef. Il voudra aussi du commandement?
– Du commandement, sire?
– Sans doute; sans aucun doute même, il n'a probablement nourri la chose que pour que la chose lui profitât. Il est vrai que vous dites l'avoir nourrie avec lui. Prenez garde, François, ce n'est pas un homme à être victime du Sic vos non vobis… vous connaissez Virgile, nidificatis, aves.
– Oh! sire.
– François, je gagerais qu'il en a la pensée. Il me sait si insoucieux!
– Oui; mais, du moment où vous lui aurez signifié votre volonté, il cédera.
– Ou fera semblant de céder. Et je vous l'ai déjà dit: Prenez garde, François, il a le bras long, mon cousin de Guise. Je dirai même plus, je dirai qu'il a les bras longs, et que pas un dans le royaume, pas même le roi, ne toucherait comme lui, en les étendant, d'une main aux Espagnes et de l'autre a l'Angleterre, à don Juan d'Autriche et à Élisabeth. Bourbon avait l'épée moins longue que mon cousin de Guise n'a le bras, et cependant il a fait bien du mal à François 1er, notre aïeul.
– Mais, dit François, si Votre Majesté le tient pour si dangereux, raison de plus pour me donner le commandement de la Ligue, pour le prendre entre mon pouvoir et le vôtre, et alors, à la première trahison qu'il entreprendra, pour lui faire son procès.
Chicot rouvrit l'autre œil.
– Son procès! François, son procès! c'était bon pour Louis XI, qui était puissant et riche, de faire faire des procès et de faire dresser des échafauds. Mais moi, je n'ai pas même assez d'argent pour acheter tout le velours noir dont, en pareil cas, je pourrais avoir besoin.
En disant ces mots, Henri, qui, malgré sa puissance sur lui-même, s'était animé sourdement, laissa percer un regard dont le duc ne put soutenir l'éclat.
Chicot referma les deux yeux.
Il se fit un silence d'un instant entre les deux princes.
Le roi le rompit le premier.
– Il faut donc tout ménager, mon cher François, dit-il; pas de guerres civiles, pas de querelles entre mes sujets. Je suis fils de Henri le batailleur et de Catherine la rusée; j'ai un peu de l'astuce de ma bonne mère; je vais faire rappeler le duc de Guise, et je lui ferai tant de belles promesses, que nous arrangerons votre affaire à l'amiable.
– Sire, s'écria le duc d'Anjou, vous m'accorderez le commandement, n'est-ce pas?
– Je le crois bien.
– Vous tenez à ce que je l'aie?
– Énormément.
– Vous le voulez, enfin?
– C'est mon plus grand désir; mais il ne faut pas cependant que cela déplaise trop à mon cousin de Guise.
– Eh bien, soyez tranquille, dit le duc d'Anjou, si vous ne voyez à ma nomination que cet empêchement, je me charge, moi, d'arranger la chose avec le duc.
– Et quand cela?
– Tout de suite.
– Vous allez donc aller le trouver? vous allez donc aller lui rendre visite? Oh! mon frère, songez-y; l'honneur est bien grand!
– Non pas, sire, je ne vais point le trouver.
– Comment cela?
– Il m'attend.
– Où?
– Chez moi.
– Chez vous? j'ai entendu les cris qui ont salué sa sortie du Louvre.
– Oui, mais, après être sorti par la grande porte, il sera rentré par la poterne. Le roi avait droit à la première visite du duc de Guise; mais j'ai droit, moi, à la seconde.
– Ah! mon frère, dit Henri, que je vous sais gré de soutenir ainsi nos prérogatives, que j'ai la faiblesse d'abandonner quelquefois! Allez donc, François, et accordez-vous.
Le duc prit la main de son frère et s'inclina pour la baiser.
– Que faites-vous, François? dans mes bras, sur mon cœur, s'écria Henri, c'est là votre véritable place.
Et les deux frères se tinrent embrassés à plusieurs reprises; puis, après une dernière étreinte, le duc d'Anjou, rendu à la liberté, sortit du cabinet, traversa rapidement les galeries, et courut à son appartement. Il fallait que son cœur, comme celui du premier navigateur, fût cerclé de chêne et d'acier pour ne pas éclater de joie.
Le roi, voyant son frère parti, poussa un grincement de colère, et, s'élançant par le corridor secret qui conduisait à la chambre de Marguerite de Navarre, devenue celle du duc d'Anjou, il gagna une espèce de tambour d'où l'on pouvait entendre aussi facilement l'entretien qui allait avoir lieu entre les ducs d'Anjou et de Guise que Denis de sa cachette pouvait entendre la conversation de ses prisonniers.
– Ventre de biche! dit Chicot en rouvrant les deux yeux à la fois et en s'asseyant sur son derrière, que c'est touchant les scènes de famille! Je me suis cru un instant dans l'Olympe assistant à la réunion de Castor et Pollux, après leurs six mois de séparation.