– Que dis-tu?
– Je dis que Diane de Méridor s'appelle aujourd'hui madame de Monsoreau.
À ces mots, au lieu de la pâleur qui couvrait ordinairement les joues de François, le sang reflua si violemment à son visage, qu'on eût cru qu'il allait lui jaillir par les yeux.
– Sang du Christ! s'écria le prince furieux; cela est-il bien vrai?
– Pardieu! puisque je le dis, répliqua Bussy avec son air hautain.
– Ce n'est point ce que je voulais dire, répéta le prince, et je ne suspectais point votre loyauté, Bussy; je me demandais seulement s'il était possible qu'un de mes gentilshommes, un Monsoreau, eût eu l'audace de protéger contre mon amour une femme que j'honorais de mon amour.
– Et pourquoi pas? dit Bussy.
– Tu eusses donc fait ce qu'il a fait, toi?
– J'eusse fait mieux, monseigneur, je vous eusse averti que votre honneur se fourvoyait.
– Un moment, Bussy, dit le duc redevenu calme, écoutez, s'il vous plaît; vous comprenez, mon cher, que je ne me justifie pas.
– Et vous avez tort, mon prince, car vous n'êtes qu'un gentilhomme toutes les fois qu'il s'agit de prud'homme.
– Eh bien c'est pour cela que je vous prie d'être le juge de M. de Monsoreau.
– Moi?
– Oui, vous, et de me dire s'il n'est point un traître, traître envers moi?
– Envers vous?
– Envers moi, dont il connaissait les intentions.
– Et les intentions de Votre Altesse étaient?…
– De me faire aimer de Diane sans doute!
– De vous faire aimer?
– Oui, mais dans aucun cas de n'employer la violence.
– C'étaient là vos intentions, monseigneur? dit Bussy avec un sourire ironique.
– Sans doute, et ces intentions, je les ai conservées jusqu'au dernier moment, quoique M. de Monsoreau les ait combattues avec toute la logique dont il était capable.
– Monseigneur! monseigneur! que dites-vous là? Cet homme vous a poussé à déshonorer Diane?
– Oui.
– Par ses conseils!
– Par ses lettres. En veux-tu voir une, de ses lettres?
– Oh! s'écria Bussy, si je pouvais croire cela!
– Attends une seconde, tu verras.
Et le duc courut à une petite caisse que gardait toujours un page dans son cabinet, et en tira un billet qu'il donna à Bussy:
– Lis, dit-il, puisque tu doutes de la parole de ton prince.
Bussy prit le billet d'une main tremblante de doute, et lut:
«Monseigneur,
Que Votre Altesse se rassure: ce coup de main se fera sans risques, car la jeune personne part ce soir pour aller passer huit jours chez une tante qui demeure au château de Lude; je m'en charge donc, et vous n'avez pas besoin de vous en inquiéter. Quant aux scrupules de la demoiselle, croyez bien qu'ils s'évanouiront dès qu'elle se trouvera en présence de Votre Altesse; en attendant, j'agis… et ce soir… elle sera au château de Beaugé.
De Votre Altesse, le très respectueux serviteur,
BRYANT DE MONSOREAU.»
– Eh bien, qu'en dis-tu, Bussy? demanda le prince après que le gentilhomme eut relu la lettre une seconde fois.
– Je dis que vous êtes bien servi, monseigneur.
– C'est-à-dire que je suis trahi, au contraire.
– Ah! c'est juste! j'oubliais la suite.
– Joué! le misérable. Il m'a fait croire à la mort d'une femme…
– Qu'il vous volait; en effet, le trait est noir; mais, ajouta Bussy avec une ironie poignante, l'amour de M. de Monsoreau est une excuse.
– Ah! tu crois? dit le duc avec son plus mauvais sourire.
– Dame! reprit Bussy, je n'ai pas d'opinion là-dessus; je le crois si vous le croyez.
– Que ferais-tu à ma place? Mais d'abord, attends; qu'a-t-il fait lui-même?
– Il a fait accroire au père de la jeune fille que c'était vous qui étiez le ravisseur. Il s'est offert pour appui; il s'est présenté au château de Beaugé avec une lettre du baron de Méridor; enfin il a fait approcher une barque des fenêtres du château, et il a enlevé la prisonnière; puis, la renfermant dans la maison que vous savez, il l'a poussée, de terreurs en terreurs, à devenir sa femme.
– Et ce n'est point là une déloyauté infâme? s'écria le duc.
– Mise à l'abri sous la vôtre, monseigneur, répondit le gentilhomme avec sa hardiesse ordinaire.
– Ah! Bussy!… tu verras si je sais me venger!
– Vous venger! allons donc, monseigneur, vous ne ferez point une chose pareille.
– Comment?
– Les princes ne se vengent point, monseigneur, ils punissent. Vous reprocherez son infamie à ce Monsoreau, et vous le punirez.
– Et de quelle façon?
– En rendant le bonheur à mademoiselle de Méridor.
– Et le puis-je?
– Certainement.
– Et comment cela?
– En lui rendant la liberté.
– Voyons, explique-toi.
– Rien de plus facile; le mariage a été forcé, donc le mariage est nul.
– Tu as raison.
– Faites donc annuler le mariage, et vous aurez agi, monseigneur, en digne gentilhomme et en noble prince.
– Ah! ah! dit le prince soupçonneux, quelle chaleur! cela t'intéresse donc, Bussy?
– Moi, pas le moins du monde; ce qui m'intéresse, monseigneur, c'est qu'on ne dise pas que Louis de Clermont, comte de Bussy, sert un prince perfide et un homme sans honneur.
– Eh bien, tu verras. Mais comment rompre ce mariage?
– Rien de plus facile, en faisant agir le père.
– Le baron de Méridor?
– Oui.
– Mais il est au fond de l'Anjou.
– Il est ici, monseigneur, c'est-à-dire à Paris.
– Chez toi?
– Non, près de sa fille. Parlez-lui, monseigneur, qu'il puisse compter sur vous; qu'au lieu de voir dans Votre Altesse ce qu'il y a vu jusqu'à présent, c'est-à-dire un ennemi, il y voie un protecteur, et lui, qui maudissait votre nom, va vous adorer comme son bon génie.