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— Les hommes de chez toi, dit le petit prince, cultivent cinq mille roses dans le même jardin… et ils n’y trouvent pas ce qu’ils cherchent…

— Ils ne le trouvent pas, répondis-je…

— Et cependant ce qu’ils cherchent pourrait être trouvé dans une seule rose ou un peu d’eau…

Et le petit prince ajouta:

— Mais les yeux sont aveugles. Il faut chercher avec le coeur.

J’avais bu. Je respirais bien. Le sable, au lever du jour, est couleur de miel. J’étais heureux aussi de cette couleur de miel. Pourquoi fallait-il que j’eusse de la peine…

— Il faut que tu tiennes ta promesse, me dit doucement le petit prince, qui, de nouveau, s’était assis auprès de moi.

— Quelle promesse?

— Tu sais… une muselière pour mon mouton… je suis responsable de cette fleur!

Je sortis de ma poche mes ébauches de dessin. Le petit prince les aperçut et dit en riant:

— Tes baobabs, ils ressemblent un peu à des choux…

— Oh!

Moi qui étais si fier des baobabs!

— Ton renard… ses oreilles… elles ressemblent un peu à des cornes… et elles sont trop longues!

Et il rit encore.

— Tu es injuste, petit bonhomme, je ne savais rien dessiner que les boas fermés et les boas ouverts.

— Oh! ça ira, dit-il, les enfants savent.

Je crayonnai donc une muselière. Et j’eus le coeur serré en la lui donnant:

— Tu as des projets que j’ignore…

Mais il ne me répondit pas. IL me dit:

— Tu sais, ma chute sur la Terre… c’en sera demain l’anniversaire…

Puis après un silence il dit encore:

— J’étais tombé tout près d’ici…

Et il rougit.

Et de nouveau, sans comprendre pourquoi, j’éprouvai un chagrin bizarre. Cependant une question me vint:

— Alors ce n’est pas par hasard que, le matin où je t’ai connu, il y a huit jours, tu te promenais comme ça, tout seul, à mille milles de toutes régions habitées! Tu retournais vers le point de ta chute?

Le petit prince rougit de nouveau. Il ne répondait jamais aux questions, mais, quand on rougit, ça signifie «oui», n’est-ce pas?

— Ah! lui dis-je, j’ai peur…

Mais il me répondit:

— Tu dois maintenent travailler. Tu dois repartir vers ta machine. Je t’attends ici. Reviens demain soir…

Mais je n’étais pas rassuré. Je me souvenais du renard. On risque de pleurer un peu si l’on s’est laissé apprivoisé…

Chapitre XXVI

Il y avait, à côté du puits, une ruine de vieux mur de pierre. Lorsque je revins de mon travail, le lendemain soir, j’aperçus de loin mon petit prince assis là-haut, les jambes pendantes. Et je l’entendis qui parlait:

— Tu ne t’en souvens donc pas? disait-il. Ce n’est pas tout à fait ici!

Une autre voix lui répondit sans doute, puisqu’il répliqua:

_Si! Si! c’est bien le jour, mais ce n’est pas ici l’endroit…

Je poursuivis ma marche vers le mur. Je ne voyais ni entendais toujours personne. Pourtant le petit prince répliqua de nouveau:

— … Bien sûr. Tu verras où commence ma trace dans le sable. Tu n’as qu’a m’y attendre. J’y serai cette nuit…

J’étais à vingt mètres du mur et je ne voyais toujours rien.

Le petit prince dit encore, après un silence:

— Tu as du bon venin? Tu es sûr de ne pas me faire souffrir longtemps?

Je fis halte, le coeur serré, mais je ne comprennais toujours pas.

— Maintenent va-t’en, dit-il… je veux redescendre!

Le Petit Prince - pic_43.jpg

Alors j’abaissai moi-même les yeux vers le pied du mur, et je fis un bond! Il était là, dressé vers le petit prince, un de ces serpents jaunes qui vous exécutent en trente secondes. Tout en fouillant ma poche pour en tirer mon révolver, je pris le pas de course, mais, au bruit que je fis, le serpent se laissa doucement couler dans le sable, comme un jet d’eau qui meurt, et, sans trop se presser, se faufilla entre les pierres avec un léger bruit de métal.

Je parvins au mur juste à temps pour y recevoir dans les bras mon petit bonhomme de prince, pâle comme la neige.

— Quelle est cette histoire-là! Tu parles maintenent avec les serpents!

J’avais défait son éternel cache-nez d’or. Je lui avait mouillé les tempes et l’avais fait boire. Et maintenant je n’osais plus rien lui demander. Il me regarda gravement et m’entoura le cou de ses bras. Je sentais battre son coeur comme celui d’un oiseau qui meurt, quand on l’a tiré à la carabine. Il me dit:

— Je suis content que tu aies trouvé ce qui manquait à ta machine. Tu vas pouvoir rentrer chez toi…

— Comment sais-tu?

Je venais justement lui annoncer que, contre toute espérence, j’avais réussi mon travail!

Il ne répondit rien à ma question, mais il ajouta:

— Moi aussi, aujourd’hui, je rentre chez moi…

Puis, mélancolique:

— C’est bien plus loin… c’est bien plus difficile…

Je sentais bien qu’il se passait quelque chose d’extraordinaire. Je le serrais dans mes bras comme un petit enfant, et cependant il me semblait qu’il coulait verticalement dans un abîme sans que je pusse rien pour le retenir…

Il avait le regard sérieux, perdu très loin:

— J’ai ton mouton. Et j’ai la caisse pour le mouton. Et j’ai la muselière…

Et il sourit avec mélancolie.

J’attendis longtemps. Je sentais qu’il se réchauffait peu à peu:

— Petit bonhomme, tu as peur…

IL avait eu peur, bien sûr! Mais il rit doucement:

— J’aurai bien plus peur ce soir…

De nouveau je me sentis glacé par le sentiment de l’irréparable. Et je compris que je ne supportais pas l’idée de ne plus jamais entendre ce rire. C’était pour moi comme une fontaine dans le désert.

— Petit bonhomme, je veux encore t’entendre rire…

Mais il me dit:

— Cette nuit, ça fera un an. Mon étoile se trouvera juste au-dessus de l’endroit où je suis tombé l’année dernière…

— Petit bonhomme, n’est-ce pas que c’est un mauvais rêve cette histoire de serpent et de rendez-vous et d’étoile…

Mais il ne répondit pas à ma question. Il me dit:

— Ce qui est important, ça ne se voit pas…

— Bien sûr…

— C’est comme pour la fleur. Si tu aimes une fleur qui se trouve dans une étoile, c’est doux, la nuit, de regarder le ciel. Toutes les étoiles sont fleuries.

— Bien sûr…

— Tu regarderas, la nuit, les étoiles. C’est trop petit chez moi pour que je te montres où se trouve la mienne. C’est mieux comme ça. Mon étoile, ça sera pour toi une des étoiles. Alors, toutes les étoiles, tu aimeras les regarder… Elles seront toutes tes amies. Et puis je vais te faire un cadeau…

Il rit encore.

— Ah! petit bonhomme, petit bonhomme j’aime entendre ce rire!

— Justement ce sera mon cadeau… ce sera comme pour l’eau…

— Que veux-tu dire?

— Les gens ont des étoiles qui ne sont pas les mêmes. Pour les uns, qui voyagent, les étoiles sont des guides. Pour d’autres elles ne sont rien que de petites lumières. Pour d’autres qui sont savants elles sont des problèmes. Pour mon businessman elles étaient de l’or. Mais toutes ces étoiles-là elles se taisent. Toi, tu auras des étoiles comme personne n’en a…

— Que veux-tu dire?

— Quand tu regarderas le ciel, la nuit, puisque j’habiterai dans l’une d’elles, puisque je rirai dans l’une d’elles, alors ce sera pour toi comme si riaient toutes les étoiles. Tu auras, toi, des étoiles qui savent rire!

Et il rit encore.

— Et quand tu seras consolé (on se console toujours) tu seras content de m’avoir connu. Tu seras toujours mon ami. Tu auras envie de rire avec moi. Et tu ouvriras parfois ta fenêtre, comme ça, pour le plaisir… Et tes amis seront bien étonnés de te voir rire en regardant le ciel. Alors tu leur diras: «Oui, les étoiles, ça me fait toujours rire!» Et ils te croiront fou. Je t’aurai joué un bien vilain tour…

Et il rit encore.

— Ce sera comme si je t’avais donné, au lieu d’étoiles, des tas de petits grelots qui savent rire…

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