Литмир - Электронная Библиотека
A
A

Elle est surtout très fatiguée! Elle a dû courir depuis Bel-o-kan pour faire le trajet en quelques jours.

Ce sont des bergères qui l'avaient aperçue, fourbue, errant aux environs. Elle n'avait pour l'instant rien émis, on l'avait directement amenée dans la salle des fourmis citernes pour qu'elle se ressource. Faites-la venir ici, je veux lui parler seule à seule, mais je veux que des gardes restent à l'entrée de la loge royale prêtes à intervenir à mon signal.

Chli-pou-ni a toujours souhaité avoir des nouvelles de sa cité natale, mais maintenant qu'une représentante en débarque, la première idée qui lui traverse l'esprit est de la considérer comme une espionne et de la tuer. Elle attendra de la voir, mais si elle décèle la moindre molécule d'odeur de roche, elle la fera exécuter sans moindre hésitation.

On amène la Belokanienne. Dès qu'elles se reconnaissent, les deux fourmis bondissent l'une sur l'autre, mandibules grandes ouvertes, et se livrent… à la plus onctueuse des trophallaxies. L'émotion est si forte qu'elles n'arrivent pas tout de suite à émettre. Chli-pou-ni lance la première phéromone. Où en est l'enquête? Est-ce que ce sont les termites?

103683e raconte qu'elle a traversé le fleuve de l'Est et visité la cité termite; que celle-ci a été anéantie et qu'il n'y a pas un seul survivant.

Alors qui est derrière tout ça?

Les vrais responsables de tous ces événements incompréhensibles, selon la guerrière, sont les Gardiens du bord oriental du monde. Des animaux tellement bizarres qu'on ne les voit pas, on ne les sent pas.

Tout d'un coup, ils surgissent du ciel et tout le monde meurt!

Chli-pou-ni écoute avec attention.

Cependant, il reste un élément inexpliqué, ajoute 103 683e, comment les Gardiens du bout du monde ont-ils pu utiliser les soldâtes aux odeurs de roche?

Chli-pou-ni a son idée là-dessus. Elle raconte que les soldâtes aux odeurs de roche ne sont ni des espionnes ni des mercenaires, mais une force clandestine chargée de surveiller le niveau de stress de l'organisme Cité. Elles étouffent toutes les informations qui seraient susceptibles d'angoisser la Cité… Elle narre comment ces tueuses ont assassiné 327e et comment elles ont tenté de l'assassiner elle-même. Et les réserves de nourriture sous la roche plancher? Et le couloir dans le granit? Pour cela, Chli-pou-ni n'a aucune réponse. Elle ajustement envoyé des ambassadrices espionnes qui vont essayer de résoudre cette double énigme.

La jeune reine propose de faire visiter la Cité à son amie. Elle lui explique en chemin les formidables possibilités qu'offre l'eau. Le fleuve de l'Est, par exemple, a toujours été considéré comme mortel, mais ce n'est que de l'eau, la reine y est tombée et n'en est point morte. Peut-être qu'un jour on pourra descendre ce fleuve sur des radeaux de feuilles et découvrir le bord septentrional du monde… Chli-pou-ni s'exalte: des Gardiens du bord du nord existent sans doute, que l'on pourrait inciter à lutter contre ceux du bord oriental.

103683e n'est pas sans remarquer que Chli-pou-ni déborde de projets audacieux. Tous ne sont pas réalisables, mais ce qui a déjà été mis en œuvre est impressionnant: jamais la soldate n'avait vu de champignonnières ou d'étables aussi vastes, jamais elle n'avait vu de radeaux flottants sur les canaux souterrains…

Mais ce qui la surprend le plus, c'est la dernière phéromone de la reine. Elle affirme que si ses ambassadrices ne sont pas rentrées dans quinze jours, elle déclarera la guerre à Bel-o-kan. Selon elle, la cité natale n'est plus adaptée à ce monde. La simple existence des guerrières au parfum de roche montre que c'est une ville qui n'aborde pas de front les réalités. C'est une ville frileuse comme un escargot. Jadis elle était révolutionnaire, maintenant elle est dépassée. Il faut une relève. Ici, à Chli-pou-kan, les fourmis progressent bien plus vite. Chli-pou-ni estime que, si elle prend la tête de la Fédération, elle pourrait la faire évoluer rapidement. Avec les 65 cités fédérées, ses initiatives verraient leurs résultats décuplés. Elle pense déjà à conquérir les cours d'eau et à mettre au point une légion volante utilisant des coléoptères rhinocéros. 103 683e hésite. Elle avait l'intention de rejoindre Bel-o-kan pour y raconter son odyssée, mais Chli-pou-ni lui demande de renoncer à ce dessein. Bel-o-kan a mis au point une armée «pour ne pas savoir», ne l'oblige pas à connaître ce qu'elle ne veut pas connaître.

La cime de l'escalier en colimaçon se trouve prolongée par des marches en aluminium. Elles ne datent pas de la Renaissance, celles-là! Ils aboutissent à une porte blanche. Encore une inscription:

Et je suis arrivé au voisinage d'un mur quiétait construit de cristaux et entouré de langues de feu.

Et cela commença par me faire peur.

Puis je pénétrai dans les langues de feujusqu'au voisinage d'une grande demeure qui était construite de cristaux.

Et les murs de la maison étaient comme unflot de cristal en damiers et ses fondationsétaient en cristal.

Son plafond était comme la voie des étoiles.

Et entre eux se trouvaient des symboles defeu.

Et leur ciel était clair comme l'eau. (Enoch,1)

Ils poussent la porte, remontent un couloir très en pente. Le sol s'enfonce tout à coup sous leurs pas — un plancher pivotant! Leur chute est si longue… que le temps d'avoir peur est déjà passé, ils ont l'impression de voler. Ils volent!

Leur chute est amortie par un filet de trapéziste, un filet gigantesque aux mailles serrées. À quatre pattes, ils tâtonnent dans le noir. Jason Bragel identifie une nouvelle porte… avec non pas un nouveau code, mais une simple poignée. Il appelle ses compagnons, à voix basse. Puis il ouvre.

VIEILLARD: En Afrique, on pleure la mort d'un vieillard plus que la mort d'un nouveau-né. Le vieillard constituait une masse d'expériences qui pouvait profiter au reste de la tribu alors que le nouveau-né, n'ayant pas vécu, n'arrive même pas à avoir conscience de sa mort. En Europe, on pleure le nouveau-né car on se dit qu'il aurait sûrement pu faire des choses fabuleuses s'il avait vécu. On porte par contre peu d'attention à la mort du vieillard. De toute façon, il avait déjà profité de la vie.

Edmond Wells

Encyclopédie du savoir relatif et absolu.

L'endroit est baigné d'une lumière bleue. C'est un temple sans image, sans statue. Augusta repense aux propos du Pr Leduc. Les protestants devaient certainement se réfugier ici autrefois, quand les persécutions se faisaient trop vives. Sous de larges voûtes en pierre de taille, la salle est vaste, carrée, très belle. Le seul élément décoratif en est un petit orgue d'époque, placé au centre. Devant l'orgue, un lutrin sur lequel est posée une épaisse chemise.

Les murs sont couverts d'inscriptions, dont beaucoup, même a un regard profane, semblent plus proches de la magie noire que de la magie blanche. Leduc avait raison, les sectes, ont dû se succéder dans ce refuge souterrain. Et jadis, il ne devait pas y avoir le mur basculant, la nasse et la trappe avec le filet.

On entend un gazouillis, comme de l'eau qui coule. Ils n'en voient pas tout de suite l'origine. La lumière bleutée provient du côté droit. Là se trouve une sorte de laboratoire, rempli d'ordinateurs et d'éprouvettes. Toutes les machines sont encore allumées; ce sont les écrans d'ordinateurs qui produisent ce halo qui éclaire le temple.

— Cela vous intrigue, hein?

Ils se regardent. Aucun des trois n'a parlé. Une lampe s'allume au plafond. Ils se retournent. Jonathan Wells, en peignoir blanc, se dirige vers eux. Il est entré par une porte située dans le temple, de l'autre côté du labo.

— Bonjour Grand-mère Augusta! Bonjour Jason Bragel! Bonjour Daniel Rosenfeld!

60
{"b":"105858","o":1}