– Bonjour, madame, cria une femme; votre mari a-t-il été à confesse, au moins?
Le carrosse passa dans un rire énorme; mais aussitôt après les vingt-quatre voitures qui contenaient les princes du sang, c’est-à-dire Henri, duc d’Anjou, et François, duc d’Alençon, et la duchesse de Lorraine, deuxième fille de Catherine, puis les dames d’atour, les demoiselles d’honneur, parurent divers personnages que la foule accueillit par un tonnerre de vivats:
C’étaient le duc de Guise, le maréchal de Tavannes, le maréchal de Damville, le duc d’Aumale, M. Goudé, le chancelier de Birague, le duc de Nevers, et une foule de gentilshommes, tous dans des carrosses d’une fabuleuse richesse, tous vêtus de costumes d’une réelle splendeur: plumes blanches, aigrettes de diamant et de rubis, colliers étincelants, pourpoints de satin chatoyant, épées incrustées de pierreries, tout cela jetait des feux et soulevait l’enthousiasme.
Puis, tout aussitôt, les hurlements reprirent:
– À la messe! à la messe!
Les huguenots apparaissaient à leur tour en des costumes non moins riches, mais plus sévères que les catholiques.
On ignore qui avait ainsi ordonnancé la marche du cortège. Mais cette séparation très nette entre les gentilshommes catholiques et protestants, le soin qu’on avait eu de placer les huguenots à la fin, à part quelques-uns comme Coligny et Condé qui occupaient leur rang naturel, permirent à la multitude mille suppositions, dont la plus essentielle était qu’on avait voulu mortifier les hérétiques.
Ils passèrent très fiers, dédaignant de répondre aux quolibets, aux plaisanteries, aux insultes.
Sur les marches de l’église, deux ou trois cents des plus enragés cette foule, avaient pris place et se tenaient dans une position solide d’où les gens d’armes n’essayèrent même pas de les expulser.
Or, au fur et à mesure que le cortège défilait, les personnages de chaque carrosse pénétraient sous le grand porche, où l’archevêque et son chapitre se trouvaient réunis pour accueillir les deux rois, la reine et la fiancée.
Dans ce groupe que nous venons de signaler, se trouvaient Crucé, Pezou et Kervier, toujours inséparables.
Les gentilshommes du roi qui se trouvaient à cheval, avaient formé un demi-cercle autour du porche, de façon à dessiner une nouvelle barrière renforçant la barrière de hallebardiers et d’arquebusiers.
Charles IX et Henri de Béarn, précédés du grand maître des cérémonies de ses acolytes et de douze hérauts à pied sonnant de la trompette, entrèrent les premiers dans Notre-Dame.
Le moine Salviati, envoyé spécial du pape, s’avança à la rencontre du roi et, fléchissant à demi le genou, lui offrit l’eau bénite dans une aiguière d’or, en lui disant que cette eau avait été apportée par lui de Rome et prise au bénitier de Saint-Pierre.
Charles IX trempa ses doigts dans l’aiguière, puis, comme s’il eût craint de faire affront à Notre-Dame en dédaignant son eau bénite, il recommença l’opération en trempant sa main dans le bénitier de l’église.
Et il se signa lentement, jetant un regard oblique sur Henri.
Le chef des huguenots comprit que tous les yeux étaient fixés sur lui, et qu’on attendait qu’il fît le signe de croix…
– Mon cousin, s’écria-t-il à demi-voix, que voilà donc une superbe assemblée d’évêques. Béni par un aussi grand nombre de saints, mon mariage ne peut manquer d’être heureux.
En parlant ainsi, le Gascon gesticulait gravement avec sa main, de façon qu’on pût à la rigueur admettre qu’il s’était signé. Charles IX sourit faiblement et se dirigea vers son trône.
Le cortège, peu à peu, s’entassa dans l’énorme nef qui, dans le scintillement des milliers de cierges, dans le cadre immense des tentures brodées qui tombaient du haut des voûtes, dans la clameur des cloches, des chants solennels et des trompettes, présenta alors un spectacle d’une magnificence inouïe.
Au dehors, les vociférations éclataient à ce moment plus menaçantes, et le bruit du peuple, semblable au bruit de l’Océan par les heures de tempête, faisait frissonner Charles IX qui, livide, écoutait:
– Vive Guise! Vive le capitaine général!…
Voici ce qui se passait:
Les huguenots, au nombre d’environ sept cents gentilshommes, venaient de mettre pied à terre devant le grand porche.
Mais au lieu d’entrer dans l’église, ils s’étaient arrêtés, silencieux, ou formant des groupes qui causaient entre eux à voix basse, sans paraître entendre les hurlements.
– À la messe! à la messe! vociféra Pezou.
– Les maudits ne veulent pas entrer! rugit Kervier.
– Ils y entreront bientôt malgré eux! tonna Crucé d’une voix éclatante.
Cette menace directe provoqua un délire d’enthousiasme dans le groupe qui occupait les marches, tandis qu’au loin la foule, ne sachant de quoi il s’agissait, riait en criant:
– Les damnés huguenots sont à la messe! Vive la messe!…
Seuls trois huguenots avaient pénétré dans l’église. Le premier, c’était l’amiral Coligny, qui avait dit tout haut:
– Ici, ce ne peut être un champ de bataille comme un autre…
Et le vieux politique était entré en redressant sa haute taille, et en se plaçant près du roi de Navarre, comme s’il eût vraiment marché à la bataille.
Le deuxième, c’était le jeune prince de Condé qui, se penchant vers l’oreille du Béarnais, avait murmuré:
– La pauvre défunte reine m’a enjoint de ne vous quitter jamais, ni au camp, ni à la ville, ni à la cour.
Le troisième, c’était Marillac.
Marillac ignorait s’il était dans une église et à quelle cérémonie il assistait. Marillac ne savait qu’une chose: c’est que depuis deux jours, en témoignage de son affection et pour avoir le droit de la protéger, la reine mère avait reçu Alice de Lux parmi ses filles d’honneur.
Alice devait donc être dans Notre-Dame; il y entra. Il fût entré en enfer. Il la vit en effet.
Elle était tout près de la reine, à poste tel que seule une grande faveur soudaine et inexpliquée pouvait faire concevoir qu’Alice eût cette place dans une pareille cérémonie. Elle était habillée de blanc. Elle était toute pâle. Ses yeux étaient baissés. Elle parut à Marillac mille fois plus adorable.
Dans la lueur des cierges, en cette attitude de modestie charmante qui la faisait trembler, elle était toute virginale…
«À quoi pense-t-elle?» songeait-il en la dévorant des yeux.
Alice, à ce moment, songeait ceci:
«Ce soir. Oh! ce soir, à minuit, j’aurai enfin la lettre! l’infernale lettre qui me faisait la serve de Catherine! Ce soir, je serai libre, ah! libre… ô mon amant, comme je vais t’aimer… nous partirons, demain, dès la première heure… et le bonheur, enfin, commencera pour moi.»