Aussitôt, il s’élança dans le corridor et, l’instant d’après, il détalait le long de la rue Saint-Denis.
– Tu ne nous échapperas pas, cette fois! criait Maugiron et Quélus, tandis que Maurevert courait chercher un marteau pour défoncer la serrure.
Il se heurta à Huguette dans la salle des banquets.
– Un marteau! commanda Maurevert.
– Inutile, dit Huguette. Je vais ouvrir avec une clef.
– Vous serez récompensée, ma brave femme.
La porte ouverte, les trois spadassins virent le couloir et comprirent que le vieux renard avait fui.
– Le terrier avait double issue, dit Maurevert.
Et tous trois s’élancèrent. Mais trop tard! Pardaillan était déjà loin, courant vers la Truanderie, non pour y chercher refuge, mais pour y trouver les compagnons dont il avait besoin pour assurer le départ du maréchal.
Dans la rue, il fut rejoint par Pipeau, qui, fidèle à ses habitudes, tenait dans sa gueule un saucisson enlevé sur les tables de la Devinière.
Huguette, après le départ des mignons, revint à la cuisine, où elle trouva son mari cramoisi de fureur.
– Ah! vociférait Landry, j’espère bien que M. de Pardaillan n’aura plus la pensée de me payer!
– Pourquoi donc? fit Huguette en souriant. Il faudra pourtant qu’il paie, nous ne sommes pas assez riches pour abandonner une note pareille, ajouta-t-elle en désignant l’aune de papier que Landry tenait toujours à la main.
– Ouais! fit l’aubergiste. Toutes les fois qu’il me vient payer, il y a bataille et bris de vaisselle dans ma pauvre auberge!
– Bah! marquez toujours…
– Vous avez raison, ma femme!
Et maître Landry, ayant poussé un soupir, ayant murmuré: «Allons! ce ne sera pas encore pour cette fois!» s’assit à une table, commanda qu’on lui apportât de l’encre et une plume, et il fit à la fameuse note la rallonge suivante:
– Item, un déjeuner complet et bien conditionné. Ci: deux écus et cinq sols. Item, une bouteille de vieux Beaugency: trois écus. Item, deux flacons de Saumur: deux écus. Item, vaisselle brisée: vingt livres. Item, un saucisson volé par le chien de M. de Pardaillan; quinze sols et quatre deniers.
– Donnez, que j’enferme la note, dit Huguette qui avait lu par-dessus l’épaule de son mari.
Landry lui remit le papier et regagna ses cuisines en proie à la plus sombre mélancolie.
Au-dessous du total général, Huguette écrivit alors:
«Reçu de M. de Pardaillan deux baisers, un pour lui, un pour M. le chevalier son fils, de la valeur de quinze cents livres chacun.»
Et elle enferma la note dans l’armoire de sa chambre à coucher.
Vers six heures du soir, le vieux Pardaillan rentra à l’hôtel de Montmorency sans avoir fait d’autre mauvaise rencontre. Il avait fait une longue station dans la Truanderie et avait eu un entretien mystérieux avec un certain nombre de ces figures patibulaires qui pullulent en ce lieu. Pardaillan ne dédaignait aucune fréquentation… maréchaux ou truands.
Il souriait dans sa moustache et murmurait:
– Voyons ce qu’il sera advenu de la rencontre que j’ai si habilement préparée!
À quelle rencontre faisait-il allusion?
On se rappelle que le vieux routier avait d’abord quitté son fils en lui disant qu’il allait à la Truanderie, puis, qu’il était revenu sous le prétexte de lui emprunter Pipeau, et qu’il était alors parti pour la Devinière.
Or, du premier coup où il sortit de la chambre du chevalier, Pardaillan père se mit à errer par l’hôtel en maugréant toutes les imprécations connues dans le royaume, jusqu’au moment où il se rencontra avec Loïse.
– Je vous cherchais, dit le vieux routier avec cette brusquerie qui dénote une grave inquiétude. Je tenais à vous faire mes adieux.
– Vos adieux! s’écria la charmante enfant qui ne put s’empêcher de pâlir.
– Oui, nous partons, mon fils et moi.
En parlant ainsi, et tout en expliquant avec volubilité que son fils lui paraissait atteint d’un mal incurable, le vieux renard s’était mis à marcher dans la direction de la chambre du chevalier.
Loïse le suivait machinalement, toute émue par la nouvelle de ce brusque départ, le cœur serré par une angoisse inconnue.
Pardaillan ouvrit doucement la porte.
Loïse entendit le discours que le chevalier adressait à Pipeau.
Ce fut alors que le vieux routier appela le chien et partit, laissant la porte ouverte et, devant cette porte, Loïse tout interdite… Que se passa-t-il en elle à ce moment? À quelle impulsion obéit-elle? Toujours est-il qu’elle entra, et levant ses yeux candides sur le chevalier stupéfait et bouleversé, demanda:
– Vous voulez partir?… Pourquoi?
Le chevalier, non moins interdit et certes plus tremblant que la jeune fille, murmura:
– Qui vous a dit que je voulais partir, mademoiselle?
– Votre père, d’abord. Vous ensuite.
– Moi?
– Vous-même. Vous voulez partir, disiez-vous… Pardonnez-moi, monsieur… J’ai entendu bien malgré moi… Vous avez dit que vous vouliez partir et pour ne plus revenir… et que vous ne pouviez emmener votre chien là où vous allez… et que si vous partez, c’est que vous vous ennuyez… Oh! monsieur, quel est ce pays d’où vous ne reviendrez jamais?…
– Mademoiselle…
– Et où vous ne pouvez emmener le pauvre Pipeau?
– De grâce…
– Et pourquoi vous ennuyez-vous?
Elle parlait ainsi que dans un rêve, tout étonnée de sa propre audace, toute tremblante maintenant, deux larmes au bord de ses longs cils.
Le chevalier la contemplait avec un inexprimable ravissement et une douleur aiguë. Sa tête s’embrasait, ses idées bourdonnaient comme un essaim d’abeilles en fuite. L’instant était redoutable et charmant.
Il balbutia, ne sachant pas trop ce qu’il disait:
– De dire que je m’ennuie, mademoiselle, c’est une façon de parler…
– Oh! reprit-elle sous l’impulsion d’un irrésistible mouvement du cœur, est-ce parce que vous êtes ici?… près de ma mère… près de mon père…
Et tout bas, elle ajouta:
– Près de moi!…
Le chevalier ferma les yeux, joignit les mains, et, d’une voix ardente: