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Le Prince, montrant le tombeau. – Regarde, et tu verras.

Montague, reconnaissant Roméo. – Malappris! Y a-t-il donc bienséance à prendre le pas sur ton père dans la tombe?

Le Prince. – Fermez la bouche aux imprécations, jusqu'à ce que nous ayons pu éclaircir ces mystères, et en connaître la source, la cause et l'enchaînement. Alors c'est moi qui mènerai votre deuil, et qui le conduirai, s'il le faut, jusqu'à la mort. En attendant, contenez-vous, et que l'affection s'asservisse à la patience… Produisez ceux qu'on soupçonne.

(Les gardes amènent Laurence et Balthazar)

Laurence. – Tout impuissant que j'ai été, c'est moi qui suis le plus suspect, puisque l'heure et le lieu s'accordent à m'imputer cet horrible meurtre; me voici, prêt à m'accuser et à me défendre, prêt à m'absoudre en me condamnant.

Le Prince. – Dis donc vite ce que tu sais sur ceci.

Laurence. – Je serai bref, car le peu de souffle qui me reste ne suffisait pas à un récit prolixe. Roméo, ici gisant, était l'époux de Juliette; et Juliette, ici gisante, était la femme fidèle de Roméo. Je les avais mariés: le jour de leur mariage secret fut le dernier jour de Tybalt, dont la mort prématurée proscrivit de cette cité, le nouvel époux. C'était lui, et non Tybalt, que pleurait Juliette. (À Capulet.) Vous, pour chasser la douleur qui assiégeait votre fille, vous l'aviez fiancée, et vous vouliez la marier de force au comte Pâris. Sur ce, elle est venue à moi, et, d'un air effaré, m'a dit de trouver un moyen pour la soustraire à ce second mariage; sinon, elle voulait se tuer là, dans ma cellule. Alors, sur la foi de mon art, je lui ai remis un narcotique qui a agi, comme je m'y attendais, en lui donnant l'apparence de la mort. Cependant j'ai écrit à Roméo d'arriver dès cette nuit fatale, pour aider Juliette à sortir de sa tombe empruntée, au moment où l'effet du breuvage cesserait. Mais celui qui était chargé de ma lettre, frère Jean, a été retenu par un accident, et me l'a rapportée hier soir. Alors tout seul, à l'heure fixée d'avance pour le réveil de Juliette, je me suis rendu au caveau des Capulets, dans l'intention de l'emmener et de la recueillir dans ma cellule jusqu'à ce qu'il me fût possible de prévenir Roméo. Mais quand je suis arrivé quelques minutes avant le moment de son réveil, j'ai trouvé ici le noble Pâris et le fidèle Roméo prématurément couchés dans le sépulcre. Elle s'éveille, je la conjure de partir et de supporter ce coup du ciel avec patience… Aussitôt un bruit alarmant me chasse de la tombe; Juliette, désespérée, refuse de me suivre et c'est sans doute alors qu'elle s'est fait violence à elle-même. Voilà tout ce que je sais. La nourrice était dans le secret de ce mariage. Si dans tout ceci quelque malheur est arrivé par ma faute, que ma vieille vie soit sacrifiée, quelques heures avant son épuisement, à la rigueur des lois les plus sévères.

Le Prince. – Nous t'avons toujours connu pour un saint homme… Où est le valet de Roméo? qu'a-t-il à dire?

Balthazar. – J'ai porté à mon maître la nouvelle de la mort de Juliette; aussitôt il a pris la poste, a quitté Mantoue et est venu dans ce cimetière, à ce monument. Là, il m'a chargé de remettre de bonne heure à son père la lettre que voici et entrant dans le caveau, m'a ordonné sous peine de mort de partir et de le laisser seul.

Le Prince, prenant le papier que tient Balthazar – Donne-moi cette lettre, je veux la voir… Où est le page du comte, celui qui a appelé le guet? Maraud, qu'est-ce que ton maître a fait ici?

Le Page. – Il est venu jeter des fleurs sur le tombeau de sa fiancée et m'a dit de me tenir à l'écart, ce que j'ai fait. Bientôt un homme avec une lumière est arrivé pour ouvrir la tombe; et, quelques instants après, mon maître a tiré l'épée contre lui; et c'est alors que j'ai couru appeler le guet.

Le Prince, jetant les yeux sur la lettre. – Cette lettre confirme les paroles du moine… Voilà tout le récit de leurs amours… Il a appris qu'elle était morte; aussitôt, écrit-il, il a acheté du poison chez un pauvre apothicaire et sur-le-champ s'est rendu dans ce caveau pour y mourir et reposer près de Juliette. (Regardant autour de lui.) Où sont-ils, ces ennemis? Capulet! Montague! Voyez par quel fléau le ciel châtie votre haine: pour tuer vos joies, il se sert de l'amour!… Et moi, pour avoir fermé les yeux sur vos discordes, j'ai perdu deux parents. Nous sommes tous punis.

Capulet. – Ô Montague, mon frère, donne-moi ta main. (Il serre la main de Montague.) Voici le douaire de ma fille; je n'ai rien à te demander de plus.

Montague. – Mais moi, j'ai à te donner plus encore. Je veux dresser une statue de ta fille en or pur. Tant que Vérone gardera son nom, il n'existera pas de figure plus honorée que celle de la loyale et fidèle Juliette.

Capulet. – Je veux que Roméo soit auprès de sa femme dans la même splendeur: pauvres victimes de nos inimitiés!

Le Prince. – Cette matinée apporte avec elle une paix sinistre, le soleil se voile la face de douleur. Partons pour causer encore de ces tristes choses. Il y aura des graciés et des punis. Car jamais aventure ne fut plus douloureuse que celle de Juliette et de son Roméo.

(Tous sortent.)

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