Frère Laurence paraît à l'autre extrémité du cimetière, avec une lanterne, un levier et une bêche.
Laurence. – Saint François me soit en aide! Que de fois cette nuit mes vieux pieds se sont heurtés à des tombes! (Il rencontre Balthazar étendu à terre.) Qui est là?
Balthazar, se relevant. – Un ami! quelqu'un qui vous connaît bien.
Laurence, montrant le tombeau des Capulets. – Soyez béni!… Dites-moi, mon bon ami, quelle est cette torche là-bas qui prête sa lumière inutile aux larves et aux crânes sans yeux? Il me semble qu'elle brûle dans le monument des Capulets.
Balthazar. – En effet, saint prêtre; il y a là mon maître, quelqu'un que vous aimez.
Laurence. – Qui donc?
Balthazar. – Roméo.
Laurence. – Combien de temps a-t-il été là?
Balthazar. – Une grande demi-heure.
Laurence. – Viens avec moi au caveau.
Balthazar. – Je n'ose pas, messire. Mon maître croit que je suis parti; il m'a menacé de mort en termes effrayants, si je restais à épier ses actes.
Laurence. – Reste donc, j'irai seul… L'inquiétude me prend: oh! je crains bien quelque malheur.
Balthazar. – Comme je dormais ici sous cet if, j'ai rêvé que mon maître se battait avec un autre homme et que mon maître le tuait.
Laurence, allant vers le tombeau. – Roméo! (Dirigeant la lumière de sa lanterne sur l'entrée du tombeau.) Hélas! hélas! quel est ce sang qui tache le seuil de pierre de ce sépulcre? Pourquoi ces épées abandonnées et sanglantes projettent-elles leur sinistre lueur sur ce lieu de paix? (Il entre dans le monument.) Roméo! Oh! qu'il est pâle!… Quel est cet autre? Quoi, Pâris aussi! baigné dans son sang! Oh! quelle heure cruelle est donc coupable de cette lamentable catastrophe?… (Éclairant Juliette.) Elle remue!
Juliette s'éveille et se soulève.
Juliette. – Ô frère charitable, où est mon seigneur? Je me rappelle bien en quel lieu je dois être: m'y voici… Mais où est Roméo?
Rumeur au loin.
Laurence. – J'entends du bruit… Ma fille, quitte ce nid de mort, de contagion, de sommeil contre nature. Un pouvoir au-dessus de nos contradictions a déconcerté nos plans. Viens, viens, partons! Ton mari est là gisant sur ton sein, et voici Pâris. Viens, je te placerai dans une communauté de saintes religieuses; pas de questions! le guet arrive… Allons, viens, chère Juliette. (La rumeur se rapproche.) Je n'ose rester plus longtemps. (Il sort du tombeau et disparaît.)
Juliette. – Va, sors d'ici, car je ne m'en irai pas, mais, qu'est ceci? Une coupe qu'étreint la main de mon bien-aimé? C'est le poison, je le vois, qui a causé sa fin prématurée. L'égoïste! il a tout bu! il n'a pas laissé une goutte amie pour m'aider à le rejoindre! Je veux baiser tes lèvres: peut-être y trouverai-je un reste de poison dont le baume me fera mourir… (Elle l'embrasse.) Tes lèvres sont chaudes!
Premier Garde, derrière le théâtre. – Conduis-nous, page… De quel côté?
Juliette. – Oui, du bruit! Hâtons-nous donc! (Saisissant le poignard de Roméo.) Ô heureux poignard! voici ton fourreau… (Elle se frappe.) Rouille-toi là et laisse-moi mourir! (Elle tombe sur le corps de Roméo et expire.)
Entre le guet, conduit par le page de Pâris.
Le Page, montrant le tombeau. – Voilà l'endroit, là où la torche brûle.
Premier Garde, à l'entrée du tombeau. – Le sol est sanglant. Qu'on fouille le cimetière. Allez, plusieurs, et arrêtez qui vous trouverez. (Des gardes sortent.) Spectacle navrant! Voici le comte assassiné… et Juliette en sang!… chaude encore!… morte il n'y a qu'un moment, elle qui était ensevelie depuis deux jours!… Allez prévenir le Prince, courez chez les Capulets, réveillez les Montagues… que d'autres aillent aux recherches! (D'autres gardes sortent.) Nous voyons bien le lieu où sont entassés tous ces désastres; mais les causes qui ont donné lieu à ces désastres lamentables, nous ne pouvons les découvrir sans une enquête. (Entrent quelques gardes, ramenant Balthazar.).
Deuxième Garde. – Voici le valet de Roméo, nous l'avons trouvé dans le cimetière.
Premier Garde. – Tenez-le sous bonne garde jusqu'à l'arrivée du Prince.
Entre un garde, ramenant frère Laurence.
Troisième Garde. – Voici un moine qui tremble, soupire et pleure. Nous lui avons pris ce levier et cette bêche, comme il venait de ce côté du cimetière.
Premier Garde. – Graves présomptions! Retenez aussi ce moine.
Le jour commence à poindre. Entrent le Prince et sa suite.
Le Prince. – Quel est le malheur matinal qui enlève ainsi notre personne à son repos?
Entrent Capulet, lady Capulet et leur suite.
Capulet. – Pourquoi ces clameurs qui retentissent partout?
Lady Capulet. – Le peuple dans les rues, ciel Roméo!… Juliette!… Paris!… et tous accourent, en jetant l'alarme, vers notre monument.
Le Prince. – D'où vient cette épouvante qui fait tressaillir nos oreilles?
Premier Garde, montrant les cadavres. – Mon souverain, voici le comte Pâris assassiné; voici Roméo mort; voici Juliette, la morte qu'on pleurait, chaude encore et tout récemment tuée.
Le Prince. – Cherchez, fouillez partout, et sachez comment s'est fait cet horrible massacre.
Premier Garde. – Voici un moine, et le valet du défunt Roméo; ils ont été trouvés munis des instruments nécessaires pour ouvrir la tombe de ces morts.
Capulet. – ô Ciel!… Oh! vois donc, femme, notre fille est en sang!… Ce poignard s'est mépris… Tiens! sa gaine est restée vide au flanc du Montague, et il s'est égaré dans la poitrine de ma fille!
Lady Capulet. – Mon Dieu! ce spectacle funèbre est le glas qui appelle ma vieillesse au sépulcre.
Entrent Montague et sa suite.
Le Prince. – Approche, Montague: tu tes levé avant l'heure pour voir ton fils, ton héritier couché avant l'heure.
Montague. – Hélas! mon suzerain, ma femme est morte cette nuit. L'exil de son fils l'a suffoquée de douleur! Quel est le nouveau malheur qui conspire contre mes années?