NAUFRAGE
Au matin le bateau a échoué dans les récifs d'une île.
– Où sommes-nous? demande Lucrèce.
Zéphyrin fait la grimace.
– Dans ce coin il doit bien y avoir une trentaine d'îles. Je serais bien incapable de les reconnaître toutes.
Ils rejoignent l'une d'entre-elles à la nage pour trouver de l'aide.
Quelques minutes plus tard ils découvrent un passage sous une cascade. Ils avancent dans le tunnel. Au début c'est le silence dans le long couloir qui n'en finit pas. Puis alors qu'ils s'arrêtent, un énorme vacarme retentit, ce sont des milliers de chauves souris affolées par le bruit qui foncent vers eux. Ils n'ont que le temps de se coucher à plat ventre. Et c'est alors que Lucrèce s'arrête. Elle éclaire une zone de la roche où se trouve inscrit "Jason" et un cercle. Ils poursuivent et après avoir ratissé plusieurs couloirs, découvrent une paroi gravée de deux cercles. Puis trois. La fébrilité est à son comble. Ils débouchent sur une salle immense avec à l'intérieur… rien.
Ou tout du moins juste des traces de lingots d'or qui ont dû être entreposés là dans la poussières. Zéphyrin est effondré.
– C'était là et cela a déjà été volé!
– Lucrèce le réconforte.
– Vous avez quand même trouvé ou La Buse cachait son trésor.
Soudain Zéphyrin se relève, furieux.
– Taylor. Bon sang, Taylor a fait semblant de partir aux Caraïbes et dès qu'il a apprit la pendaison de son associé il est revenu.
Lucrèce remarque même dans la terre la trace d'une énorme croix de plus de deux mètres de long.
– Non dit elle en examinant de près les marques. Si cela avait été volé il y a longtemps, les marques ne seraient pas aussi fraîches. C'est récent.
Soudain une voix résonne derrière eux.
– Bienvenue, dit une femme en français. Je me présente, Dominique. Vous avez pris le chemin le plus long mais il y a un accès direct par une grotte de l'autre coté.
Equipée de sa propre lampe de poche, un engin qui se recharge avec une manivelle, Dominique les guide dans le couloir à travers un entrelacs de couloirs.
Ils débouchent alors sur une colline qui forme un promontoire granitique. Là, cachée par les cocotiers se trouve une clairière avec un regroupement d'habitations bien camouflées.
– Bienvenue sur l'île des visionnaires, dit la jeune femme.
LE VILLAGE
Lucrèce et Zéphyrin découvrent ébahis un village composé d'une vingtaine de maisons sur pilotis construites en bambous. Le sommet de chaque maison est surmonté d'une citerne d'eau douce et de grands panneaux solaires qui forment comme des fleurs tournées vers le ciel.
Les maisons sont disposées en cercle autour d'une place centrale au milieu de laquelle se trouve un mât semblable à un haut cocotier. Cependant, la zone élevée des branches est remplacée par une parabole de satellite peinte en vert.
Lucrèce songe que même d'hélicoptères ce village ne doit pas être repérable, il faut vraiment être au sol pour voir les habitations.
– Voilà le trésor de La Buse, dit avec un clin d'œil Dominique.
– Je ne comprends pas, dit Zéphyrin. Où est la croix de Goa, les lingots d'or, les diamants?
C'est alors que Dominique explique:
– Il y a de cela 5 ans, Adam Wallemberg, un écrivain de science fiction, a décrypté le pictogramme de La Buse, en utilisant le codage d'un livre traitant de la cabale.
– Les Clavicules de Salomon?
– Non. Le Secret des secrets. La deuxième grande référence des templiers. Il a ainsi trouvé l'île et la cachette. Mais au lieu de mettre son trésor dans une banque, il l'a progressivement vendu pour ne pas attirer l'attention, lingot par lingot, pièce par pièce. Il a déstructuré la Croix de Goa et l'a elle aussi vendue par bout. Adam Wallenberg n'était pas intéressé par l'argent ni les objets anciens.
– Un voleur! Il a volé mon trésor, s'offusque Zéphyrin.
– A qui appartient-il? demande dominique. Il avait un projet, il avait besoin d'argent pour le réaliser. C'est le projet qui a bénéficié du trésor.
– Et c'est quoi ce projet?
Lucrèce commence à comprendre.
– Réunir loin du vacarme et de la violence du monde une communauté d'écrivains de science fiction pour qu'ils réfléchissent ensemble à tous les futurs possibles pour l'humanité.
Dominique poursuit.
– Adam Wallenberg a donc commencé par acheter cette île. Et il nous a invité les uns après les autres à nous y installer. Nous sommes maintenant soixante-quatre. Soixante-quatre écrivains de science fiction qui sont venus avec leur famille et qui passent leur journées à écrire leur propre roman. Nous envoyons nos textes à nos éditeurs grâce à cette antenne satellite. Nous entretenons la carte de tous les futurs possibles avec leur probabilité que nous présentons sur le site "Arbre des Possibles".
– Mon trésor… répète le Créole.
Dominique les invite à se restaurer au village. Là des gens viennent les voir et se présentent les uns après les autres par leur prénom. Chacun écrit mais chacun à un domaine de prédilection pour servir le projet. Sylvain, grand brun élancé, est le spécialiste de l'informatique. Alain, plus petit, est le spécialiste des probabilités, Cynthia, ravissante brune, pense qu'il faut connaître l'histoire pour saisir les cucles de crise. Sabine, une blonde svelte, annonce qu'elle imagine les styles de vêtements du futur. Patrice est passionné d'astronomie et de physique, il extrapole la conquête de l'espace. Sylvain explique:
– Sur l'île nous sommes en autarcie complète. Nous utilisons des ordinateurs mais ceux-ci sont alimentés par l'énergie solaire, nous recyclons tous nos déchets et nous avons nos propres cultures. Pour l'eau potable, il y a une rivière et des citernes à pluie. Pour circulern nous utilisons des vélos tout-terrain et puis, pour garder un contact avec l'extérieur, il y a les catamarans.
Lucrèce est émerveillée. Ainsi ils ont utilisé l'argent du trésor pour réaliser une utopie, une communauté qui vit en harmonie avec la nature.
– Ca sert à quoi, l'Arbre des Possibles?
Alain répond:
– Il n'y a plus de visionnaires, il n'y a plus de futuristes. Plus personne n'ose essayer de prévoir le futur. Les politiciens ont trop peur d'avoir l'air ridicule, les religieux ne font miroiter que la peur pour récupérer les athées. Comme la place est vacante, Adam Wallemberg a pensé que c'était aux auteurs de science-fiction de se charger d'avertir le monde sur les dangers futurs. Et d'inventer de nouvelles espérances.