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– Ris toujours! Avec l'âge tu comprendras que les vrais hommes apprécient toujours la poétique des contrastes!

Et Svetka faisait tournoyer son engin à une! telle vitesse qu'il sifflait avec la fureur menaçante d'un insecte agressif…

Sur la coiffeuse de Svetka, parmi les flacons et les pots de cosmétique, se trouvait une feuille couverte de chiffres. Chaque semaine elle prenait ses mesures. Parfois Olia ajoutait aux chiffres quelques zéros fantastiques ou transformait les centimètres en centimètres cubes. Elles en riaient beaucoup toutes les deux.

Dans le désordre de tous les objets accumulés sur la table de Svetka se dressaient deux photos dans des cadres identiques. Sur la première on voyait un élégant officier bronzé, un sourcil légèrement relevé. Au bas de la photo se détachait en lettres blanches: «À ma chère Svetka, Volodia. Tachkent 1983». Sur l'autre, un homme et une femme, pas encore vieux, gauchement serrés épaule contre épaule, regardaient droit devant eux, sans sourire. Leurs visages de paysans étaient si simples et si ouverts – et presque démodés dans cette simplicité – qu'Olia se sentait toujours gênée par leur regard silencieux…

«C'est curieux, pensait-elle. Et si tous les clients étrangers de Svetka voyaient un jour ce hula-hoop, cette photo, ce "Tachkent 1983"? Et cela aussi: "… veille un tigre toujours aux aguets…"?»

Pourtant, de temps à autre, le régime de Svetka se trouvait suspendu. Bruyamment, apportant avec eux une odeur de neige, les invités commençaient à affluer, la table se couvrait de victuailles et de vin. Il y avait là la viande rose clair des Beriozka, le caviar et le filet d'esturgeon fumé apportés du buffet privé de quelque ministère. Svetka se jetait sur les gâteaux, s'offrait un morceau de tarte aux ornements baroques, et avec une crânerie désespérée s'écriait: «Bah! On ne vit qu'une fois!»

Les invités rassemblés autour de ces victuailles étaient des collègues du Centre, des gens du commerce et des hommes du K.G.B. qui tenaient l'alcool. Le lendemain de tels festins, elles se levaient tard. Elles allaient à la cuisine, préparaient un thé très fort et le buvaient longuement. Parfois, sans pouvoir se maîtriser, Svetka ouvrait le réfrigérateur et en sortait du vin: «Qu'ils aillent au diable, tous ces représentants à la manque! Ce n'est pas une vie, ça! On ne peut même pas boire pour chasser sa gueule de bois…» Et sous ce prétexte, on sortait le reste du gâteau, un bout de la tarte pittoresque aux décorations retombées…

Durant ces dimanches vides, Ninka la Hongroise, une prostituée du Centre, venait souvent chez elles. On l'appelait ainsi parce que son père avait été membre hongrois du Komintern et qu'on le prétendait proche de Bêla Kun. Il avait fait de la prison sous Staline, et, libéré, il avait eu le temps, un an avant sa mort, de se marier et d'avoir un enfant, cette Ninka.

Elle leur rapportait toutes les rumeurs de son milieu: le gardien devenait vraiment un salaud! Pour laisser entrer au Centre maintenant, il prenait quinze roubles au lieu de dix! Lioudka, la Caravelle, avait réussi à se faire épouser par son Espagnol… On allait peut-être fermer les. Beriozka…

Ces jours d'hiver s'écoulaient lentement. Derrière les vitres, une neige rare et somnolente tombait dans l'air terne. Sous la fenêtre, on entendait les gens de l'immeuble battre les tapis. Des gamins criaient sur le toboggan glacé.

Parfois, par plaisanterie, Ninka et Svetka commençaient à se disputer:

– Chez vous, on se la coule douce, disait la Hongroise. Vous êtes assises au chaud, le salaire tombe régulièrement. On vous apporte le client sur un plateau d'argent: «Voilà, Madame, veuillez l'accueillir et vous en occuper.» Tandis que nous on se gèle comme la dernière des putains de gare. Les flics nous soutirent leurs trois roubles. Les chiennes de copines nous vendent pour qu'il n'y ait pas de concurrence…

– Oh là là! On la connaît, ta chanson… la pauvre orpheline de Kazan…, l'interrompait Svetka. Tu ne voudrais pas aussi du lait comme prime de risque? Vous, vous êtes des millionnaires. Tu parles de salaire… ça paie à peine le papier de toilette! Et vous, vous avez un tarif à cent dollars les dix minutes. C'est toi-même qui l'as dit, tu sais, celle-là – comment s'appellet-elle déjà? – celle qui a une grosse poitrine, elle dort sur un matelas bourré de billets de cent roubles…

– Un matelas? s'étonnait Olia.

– Oui, reprenait Ninka. Elle avait peur de déposer son argent à la Caisse d'épargne. C'est que théoriquement elle travaillait comme femme de ménage au jardin d'enfants; et l'argent, elle en avait peut-être un demi-million… Et où le cacher? Alors elle a commencé à fourrer les billets dans le matelas. Son rêve à elle, c'était de travailler jusqu'à trente ans comme un cheval, puis de se trouver un type, se faire une famille et vivre peinarde. Mais c'est justement son type qui lui a joué un tour de cochon. Elle avait un certain Vladik, à côté de ses étrangers; un Russe bien à elle, pour les sentiments… Une nuit, il n'arrête pas de gigoter, quelque chose le gêne, lui rentre dans les côtes, crisse sous lui… Et le matin, il a une illumination! Il attend que Sognka – Sophie, nous l'appelions – s'en aille et il ouvre la couture. Et là, bon Dieu! sous une couche de mousse, des billets de cent roubles et des devises serrés à ne pas pouvoir les compter! Mais il était futé, ce cochon. Pas question de tout prendre. Les amis de Sognka auraient remué ciel et terre pour le retrouver. Il a commencé à tirer petit à petit. Et c'est comme ça qu'il vivait. Elle apportait, il emportait…

– Ah! Tous les hommes sont des vampires! soupira Svetka.

– Et finalement, ça s'est terminé comment? s'intéressa Olia.

– Mais comme ça devait finir! Avec son argent à elle, il a déniché une fille, il l'a emmenée en Crimée en avion, pour le week-end. Il se faisait passer pour un diplomate. Et pourquoi pas, puisqu'il sortait une liasse de ces dollars matelassés… Comment ne pas y croire? Quand Sognka l'a découvert, elle a d'abord voulu l'étrangler, la nuit, sur ce sacré matelas. Et puis elle s'est attendrie et elle a tout pardonné!

La grise journée d'hiver s'enfonçait doucement dans un soir silencieux et paisible. Et elles étaient toujours dans la cuisine à bavarder. Dehors il commençait à geler et l'on percevait les voix plus fines et plus sonores.

Ninka la Hongroise racontait ses voyages d'été à Sotchi, ses disputes avec les filles du coin et comment, un jour, des Finlandais complètement ivres l'avaient jetée, toute nue, dans le couloir.

– Et leurs bonnes femmes, remarquez, elles ont pris goût à venir chez nous. Elles viennent en touristes à Leningrad pour le week-end, et puis au lieu de visiter le croiseur Aurore, elles ramassent les clients à la pelle. C'est une amie à moi qui me l'a dit: elles leur enlèvent tout le travail. La milice les laisse tranquilles. Et à propos, elle m'a raconté une bonne histoire. Quatre prostituées se rencontrent: une Française, une Anglaise, une Allemande et une Russe. Elles commencent à discuter pour savoir laquelle des quatre accroche le mieux les hommes. Elles se sont alignées au coin de la rue Gorki et de l'avenue Marx, près du «National»…

À ce moment, sous la fenêtre, une voiture lança des coups de klaxon stridents. Ninka sauta et courut vers la fenêtre.

– Oh là là! Voilà mon petit ami qui rapplique. Bon, je file.

La bonne histoire, elle la termina dans l'entrée en enfilant sa pelisse fourrée et en remettant du rouge à ses lèvres.

– Et toi, tu vas marcher tout l'hiver pieds nus? s'étonna Svetka en examinant ses fins bottillons. Fais attention, tu vas te geler les orteils; et après, plus de dollars pour rembourrer ton matelas! Et alors sur quoi tu dormiras avec ton petit ami?

Ninka, en ajustant devant le miroir sa toque en renard, leur répondit négligemment:

– Ah vous, les douillettes! les princesses au petit pois! Vous, vous êtes assises là, dans vos bureaux, contre vos radiateurs. Pour vous, c'est bien facile. On vous conduit dans une voiture de service jusque devant le lit. Mais nous, par tous les temps, on est là, debout, comme les soldats du Mausolée. Des bottillons, tu parles! Achetez-moi un brevet. Quand on vous chassera du Centre, vous en aurez besoin!

– Et qu'est-ce que c'est que ce brevet? s'étonnèrent Olia et Svetka.

– Ce brevet? Tu achètes à la pharmacie un cataplasme au poivre, tu le coupes aux mesures de la plante du pied et hop, tu te le colles. Ça agit comme les sinapismes, mais ça dure plus longtemps et ça ne brûle pas tant. Dehors il fait moins trente et toi, tu peux sortir en souliers fins. Tu as chaud dans le corps comme si tu avais avalé un bon verre de vodka. Voilà, c'est comme ça, mes douillettes. C'est pas comme d'être vautré au «Kontik» et de siroter un cocktail.

Sous la fenêtre, la voiture klaxonnait sans cesse. «Ça va, j'arrive, maugréait Ninka. Ah! il ne supporte pas d'attendre. Les bottillons d'importation, je les ai mis pour lui. Peut-être qu'il, m'épousera, moi, la fille perdue…»

Elles s'embrassaient en gloussant et Ninka dégringola l'escalier en faisant claquer ses talons.

Dehors déjà le soir bleuissait. Olia lavait la vaisselle. Svetka, assise, buvait lentement le reste du Champagne éventé et grattait dans le carton à gâteau les petites noisettes qui étaient tombées.

– C'est la dernière coupe, se justifiait-elle. Demain je commence une vie nouvelle. Oh! Mais demain arrive de Paris l'homme à la parfumerie, et je dois me lever à cinq heures et demie…

Durant ces soirées Olia avait envie de parler de façon sincère et confiante avec Svetka. Lui demander: «Et toi, Svetka, tu l'aimes, cette vie-là? Ça ne t'arrive pas d'avoir peur? D'avoir peur que ta jeunesse passe… Et ce rythme… Depuis le premier contact quand tout est officiel, les souliers noirs, le tailleur strict, la femme d'affaires version soviétique… jusqu'à ce lit avec les draps d'Intourist. Moi, rien que leur odeur me fait vomir. Toi, ça ne te fait pas peur quand il t'arrive un bonhomme, tu sais, juste avant la retraite, le corps anémique, les aisselles fripées qui ont déjà une odeur de tombeau? Le temps de le mettre en condition, tu transpires comme une masseuse ou une infirmière en salle de réanimation. Sa femme, depuis dix ans, il ne la trompait qu'avec des revues pornographiques, et maintenant bien sûr c'est l'exotisme russe, bons baisers de Moscou… Et ça, ça ne te fait pas vomir, Svetka? Et pourtant non, avec les jeunes, c'est pire. Les vieux au moins, ça ne se prend pas au sérieux. Et puis ils paient bien. Les autres, ils s'imaginent nous rendre heureuses avec leurs biceps qui empestent le déodorant. Et avec ça, avares! Ils ne se fendent même pas d'un demi-cent. Tu ne me croiras jamais, un jour j'ai vu un Italien qui bouclait ses valises. Il nous restait du petit déjeuner une demi-boîte de conserve de viande. Eh bien! il l'a emballée dans du plastique et il l'a glissée dans la valise. Je lui dis: "

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