Литмир - Электронная Библиотека

Curis acuens mortalia corda .

Ce seroit dommage, si partie de leur grandeur eschappoit à nostre sentiment et cognoissance.

Il est certain, qu'à la plus part, la preparation à la mort, a donné plus de torment, que n'a faict la souffrance. Il fut jadis veritablement dict, et par un bien judicieux Autheur, Minus afficit sensus fatigatio, quam cogitatio .

Le sentiment de la mort presente, nous anime par fois de soy mesme, d'une prompte resolution, de ne plus eviter chose du tout inevitable. Plusieurs gladiateurs se sont veus au temps passé, apres avoir couardement combattu, avaller courageusement la mort; offrans leur gosier au fer de l'ennemy, et le convians. La veue esloignee de la mort advenir, a besoing d'une fermeté lente, et difficile par consequent à fournir. Si vous ne sçavez pas mourir, ne vous chaille, nature vous en informera sur le champ, plainement et suffisamment; elle fera exactement ceste besongne pour vous, n'en empeschez vostre soing.

Incertam frustra mortales funeris horam

Quæritis, Et qua sit mors aditura via:

Poena minor certam subito perferre ruinam,

Quod timeas, gravius sustinuisse diu .

Nous troublons la vie par le soing de la mort, et la mort par le soing de la vie. L'une nous ennuye, l'autre nous effraye. Ce n'est pas contre la mort, que nous nous preparons, c'est chose trop momentanee: Un quart d'heure de passion sans consequence, sans nuisance, ne merite pas des preceptes particuliers. A dire vray, nous nous preparons contre les preparations de la mort. La Philosophie nous ordonne, d'avoir la mort tousjours devant les yeux, de la prevoir et considerer avant le temps: et nous donne apres, les reigles et les precautions, pour prouvoir à ce, que ceste prevoyance, et ceste pensee ne nous blesse. Ainsi font les medecins qui nous jettent aux maladies, afin qu'ils ayent où employer leurs drogues et leur art. Si nous n'avons sçeu vivre, c'est injustice de nous apprendre à mourir, et difformer la fin de son total. Si nous avons sçeu vivre, constamment et tranquillement, nous sçaurons mourir de mesme. Ils s'en venteront tant qu'il leur plaira. Tota Philosophorum vita commentatio mortis est . Mais il m'est advis, que c'est bien le bout, non pourtant le but de la vie. C'est sa fin, son extremité, non pourtant son object. Elle doit estre elle mesme à soy, sa visee, son dessein Son droit estude est se regler, se conduire, se souffrir. Au nombre de plusieurs autres offices, que comprend le general et principal chapitre de sçavoir vivre, est cest article de sçavoir mourir. Et des plus legers, si nostre crainte ne luy donnoit poids.

A les juger par l'utilité, et par la verité naifve, les leçons de la simplicité, ne cedent gueres à celles que nous presche la doctrine au contraire. Les hommes sont divers en sentiment et en force: il les faut mener à leur bien, selon eux: et par routes diverses. Quo me cumque rapit tempestas, deferor hospes . Je ne vy jamais paysan de mes voisins, entrer en cogitation de quelle contenance, et asseurance, il passeroit ceste heure derniere: Nature luy apprend à ne songer à la mort, que quand il se meurt. Et lors il y a meilleure grace qu'Aristote: lequel la mort presse doublement, et par elle, et par une si longue premeditation. Pourtant fut-ce l'opinion de Cæsar, que la moins premeditee mort, estoit la plus heureuse, et plus deschargee. Plus dolet, quàm necesse est, qui antè dolet, quàm necesse est . L'aigreur de ceste imagination, naist de nostre curiosité. Nous nous empeschons tousjours ainsi: voulans devancer et regenter les prescriptions naturelles. Ce n'est qu'aux docteurs, d'en disner plus mal, tous sains, et se renfroigner de l'image de la mort. Le commun, n'a besoing ny de remede ny de consolation, qu'au hurt, et au coup. Et n'en considere qu'autant justement qu'il en souffre. Est-ce pas ce que nous disons, que la stupidité, et faute d'apprehension, du vulgaire, luy donne ceste patience aux maux presens, et ceste profonde nonchalance des sinistres accidens futurs? Que leur ame pour estre plus crasse, et obtuse, est moins penetrable et agitable? Pour Dieu s'il est ainsi, tenons d'ores en avant escole de bestise. C'est l'extreme fruit, que les sciences nous promettent, auquel ceste-cy conduict si doucement ses disciples.

Nous n'aurons pas faute de bons regens, interpretes de la simplicité naturelle. Socrates en sera l'un. Car de ce qu'il m'en souvient, il parle environ en ce sens, aux juges qui deliberent de sa vie: J'ay peur, messieurs, si je vous prie de ne me faire mourir, que je m'enferre en la delation de mes accusateurs; qui est. Que je fais plus l'entendu que les autres; comme ayant quelque cognoissance plus cachee, des choses qui sont au dessus et au dessous de nous. Je sçay que je n'ay ni frequenté, ny recogneu la mort, ni n'ay veu personne qui ait essayé ses qualitez, pour m'en instruire. Ceux qui la craignent presupposent la cognoistre: quant à moy, je ne sçay ny quelle elle est, ny quel il faict en l'autre monde. A l'avanture est la mort chose indifferente, à l'avanture desirable. Il est à croire pourtant, si c'est une transmigration d'une place à autre, qu'il y a de l'amendement, d'aller vivre avec tant de grands personnages trespassez: et d'estre exempt d'avoir plus affaire à juges iniques et corrompus: Si c'est un aneantissement de nostre estre, c'est encore amendement d'entrer en une longue et paisible nuit. Nous ne sentons rien de plus doux en la vie, qu'un repos et sommeil tranquille, et profond sans songes. Les choses que je sçay estre mauvaises, comme d'offencer son prochain, et desobeir au superieur, soit Dieu, soit homme, je les evite soigneusement: celles desquelles je ne sçay, si elles sont bonnes ou mauvaises, je ne les sçaurois craindre. Si je m'en vay mourir, et vous laisse en vie: les Dieux seuls voyent, à qui, de vous ou de moy, il en ira mieux. Parquoy pour mon regard, vous en ordonnerez, comme il vous plaira. Mais selon ma façon de conseiller les choses justes et utiles, je dy bien, que pour vostre conscience vous ferez mieux de m'eslargir, si vous ne voyez plus avant que moy en ma cause. Et jugeant selon mes actions passees, et publiques, et privees, selon mes intentions, et selon le profit, que tirent tous les jours de ma conversation tant de nos citoyens, jeunes et vieux, et le fruit, que je vous fay à tous, vous ne pouvez duëment vous descharger envers mon merite, qu'en ordonnant, que je sois nourry, attendu ma pauvreté, au Prytanee, aux despens publiques: ce que souvent je vous ay veu à moindre raison, octroyer à d'autres. Ne prenez pas à obstination ou desdaing, que, suyvant la coustume, je n'aille vous suppliant et esmouvant à commiseration. J'ay des amis et des parents, n'estant, comme dict Homere, engendré ny de bois, ny de pierre non plus que les autres: capables de se presenter, avec des larmes, et le dueil: et ay trois enfans esplorez, dequoy vous tirer à pitié. Mais je feroy honte à nostre ville, en l'aage que je suis, et en telle reputation de sagesse, que m'en voyci en prevention, de m'aller desmettre à si lasches contenances. Que diroit-on des autres Atheniens? J'ay tousjours admonnesté ceux qui m'ont ouy parler, de ne racheter leur vie, par une action deshonneste. Et aux guerres de mon pays à Amphipolis, à Potidee, à Delie, et autres où je me suis trouvé, j'ay montré par effect, combien j'estoy loing de garentir ma seureté par ma honte. D'avantage j'interesserois vostre devoir, et vous convierois à choses laydes: car ce n'est pas à mes prieres de vous persuader: c'est aux raisons pures et solides de la justice. Vous avez juré aux Dieux d'ainsi vous maintenir. Il sembleroit, que je vous vousisse soupçonner et recriminer, de ne croire pas, qu'il y en aye. Et moy mesme tesmoigneroy contre moy, de ne croire point en eux, comme je doy: me deffiant de leur conduicte, et ne remettant purement en leurs mains mon affaire. Je m'y fie du tout: et tiens pour certain, qu'ils feront en cecy, selon qu'il sera plus propre à vous et à moy. Les gens de bien ny vivans, ny morts, n'ont aucunement à se craindre des Dieux.

Voyla pas un playdoyé puerile, d'une hauteur inimaginable, et employé en quelle necessité? Vrayement ce fut raison, qu'il le preferast à celuy, que ce grand Orateur Lysias, avoit mis par escrit pour luy: excellemment façonné au stile judiciaire: mais indigne d'un si noble criminel: Eust on ouï de la bouche de Socrates une voix suppliante? ceste superbe vertu, eust elle calé, au plus fort de sa montre? Et sa riche et puissante nature, eust elle commis à l'art sa defense: et en son plus haut essay, renoncé à la verité et naïveté, ornemens de son parler, pour se parer du fard, des figures, et feintes, d'une oraison apprinse? Il feit tressagement, et selon luy, de ne corrompre une teneur de vie incorruptible, et une si saincte image de l'humaine forme, pour allonger d'un an sa decrepitude: et trahir l'immortelle memoire de ceste fin glorieuse. Il devoit sa vie, non pas à soy, mais à l'exemple du monde. Seroit ce pas dommage publique, qu'il l'eust achevee d'une oysive et obscure façon?

Certes une si nonchallante et molle consideration de sa mort, meritoit que la posterité la considerast d'autant plus pour luy: Ce qu'elle fit. Et il n'y a rien en la justice si juste, que ce que la fortune ordonna pour sa recommandation. Car les Atheniens eurent en telle abomination ceux, qui en avoient esté cause, qu'on les fuyoit comme personnes excommuniees: On tenoit pollu tout ce, à quoy ils avoient touché: personne à l'estuve ne lavoit avec eux, personne ne les saluoit ni accointoit: si qu'en fin ne pouvant plus porter ceste haine publique, ils se pendirent eux mesmes.

Si quelqu'un estime, que parmy tant d'autres exemples que j'avois à choisir pour le service de mon propos, és dits de Socrates, j'aye mal trié cestuy-cy: et qu'il juge, ce discours estre eslevé au dessus des opinions communes: Je l'ay faict à escient: car je juge autrement: Et tiens que c'est un discours, en rang, et en naïfveté bien plus arriere, et plus bas, que les opinions communes. Il represente en une hardiesse inartificielle et securité enfantine la pure et premiere impression et ignorance de nature. Car il est croyable, que nous avons naturellement crainte de la douleur; mais non de la mort, à cause d'elle. C'est une partie de nostre estre, non moins essentielle que le vivre. A quoy faire, nous en auroit nature engendré la haine et l'horreur, veu qu'elle luy tient rang de tres-grande utilité, pour nourrir la succession et vicissitude de ses ouvrages? Et qu'en cette republique universelle, elle sert plus de naissance et d'augmentation, que de perte ou ruyne:

sic rerum summa novatur:

mille, animas una necata dedit.

La deffaillance d'une vie, est le passage à mille autres vies. Nature a empreint aux bestes, le soing d'elles et de leur conservation. Elles vont jusques-là, de craindre leur empirement: de se heurter et blesser: que nous les enchevestrions et battions, accidents subjects à leur sens et experience: Mais que nous les tuions, elles ne le peuvent craindre, ny n'ont la faculté d'imaginer et conclurre la mort. Si dit-on encore qu'on les void, non seulement la souffrir gayement: la plus-part des chevaux hannissent en mourant, les cygnes la chantent: Mais de plus, la rechercher à leur besoing; comme portent plusieurs exemples des elephans.

59
{"b":"92043","o":1}