Le premier jour ils ne surent que se lamenter tous deux et se tenir par les bras comme s'ils avaient crainte qu'on ne vînt les séparer par force. Mais le père Barbeau ne l'eût point fait. Il avait la sagesse d'un paysan, qui est faite moitié de patience et moitié de confiance dans l'effet du temps. Aussi, le lendemain, les bessons voyant qu'on ne les taboulait point et que l'on comptait que la raison leur viendrait, se trouvèrent-ils plus effrayés de la volonté paternelle qu'ils ne l'eussent été par menaces et châtiments.
– Il faudra pourtant bien nous y ranger, dit Landry, et c'est à savoir lequel de nous s'en ira; car on nous a laissé le choix, et le père Caillaud a dit qu'il ne pouvait pas nous prendre tous les deux.
– Qu'est-ce que ça me fait que je parte ou que je reste, dit Sylvinet, puisqu'il faut que nous nous quittions? Je ne pense seulement pas à l'affaire d'aller vivre ailleurs; si j'y allais avec toi, je me désaccoutumerais bien de la maison.
– Ça se dit comme ça, reprit Landry, et pourtant celui qui restera avec nos parents aura plus de consolation et moins d'ennui que celui qui ne verra plus ni son besson, ni son père, ni sa mère, ni son jardin, ni ses bêtes, ni tout ce qui a coutume de lui faire plaisir.
Landry disait cela d'un air assez résolu; mais Sylvinet se remit à pleurer; car il n'avait pas autant de résolution que son frère, et l'idée de tout perdre et de tout quitter à la fois lui fit tant de peine qu'il ne pouvait plus s'arrêter dans ses larmes.
Landry pleurait aussi, mais pas autant, et pas de la même manière; car il pensait toujours à prendre pour lui le plus gros de la peine, et il voulait voir ce que son frère en pouvait supporter afin de lui épargner tout le reste. Il connut bien que Sylvinet avait plus peur que lui d'aller habiter un endroit étranger et de se donner à une famille autre que la sienne.
– Tiens, frère, lui dit-il, si nous pouvons nous décider à la séparation, mieux vaut que je m'en aille. Tu sais bien que je suis un peu plus fort que toi et que, quand nous sommes malades, ce qui arrive presque toujours en même temps, la fièvre se met plus fort après toi qu'après moi. On dit que nous mourrons peut-être si l'on nous sépare. Moi je ne crois pas que je mourrai; mais je ne répondrais pas de toi, et c'est pour cela que j'aime mieux te savoir avec notre mère, qui te consolera et te soignera. De fait, si l'on fait chez nous une différence entre nous deux, ce qui ne paraît guère, je crois bien que c'est toi qui es le plus chéri, et je sais que tu es le plus mignon et le plus amiteux. Reste donc, moi je partirai. Nous ne serons pas loin l'un de l'autre. Les terres du père Caillaud touchent les nôtres et nous nous verrons tous les jours. Moi j'aime la peine et ça me distraira, et comme je cours mieux que toi, je viendrai plus vite te trouver aussitôt que j'aurai fini ma journée. Toi, n'ayant pas grand-chose à faire, tu viendras en te promenant me voir à mon ouvrage. Je serai bien moins inquiet à ton sujet que si tu étais dehors et moi dedans la maison. Par ainsi, je te demande d'y rester.