Pour la première fois le bon Landry se fit tout ce raisonnement et trouva son besson tout à fait injuste envers lui. Jusque-là son bon cœur l'avait empêché de lui donner tort et, plutôt que de l'accuser, il s'était condamné en lui-même d'avoir trop de santé, et trop d'ardeur au travail et au plaisir, et de ne pas savoir dire d'aussi douces paroles, ni s'aviser d'autant d'attentions fines que son frère. Mais pour cette fois, il ne put trouver en lui-même aucun péché contre l'amitié; car, pour venir ce jour-là, il avait renoncé à une belle partie de pêche aux écrevisses que les gars de la Priche avaient complotée toute la semaine et où ils lui avaient promis bien du plaisir s'il voulait aller avec eux. Il avait donc résisté à une grande tentation et, à cet âge-là, c'était beaucoup faire. Après qu'il eut bien pleuré, il s'arrêta à écouter quelqu'un qui pleurait aussi pas loin de lui, et qui causait tout seul, comme c'est assez la coutume des femmes de campagne quand elles ont un grand chagrin. Landry connut bien vite que c'était sa mère et il courut à elle.
– Hélas! faut-il, mon Dieu, disait-elle en sanglotant, que cet enfant-là me donne tant de souci! Il me fera mourir, c'est bien sûr.
– Est-ce moi, ma mère, qui vous donne du souci? s'exclama Landry en se jetant à son cou. Si c'est moi, punissez-moi et ne pleurez point. Je ne sais en quoi j'ai pu vous fâcher, mais je vous en demande pardon tout de même.
À ce moment-là, la mère connut que Landry n'avait pas le cœur dur comme elle se l'était souvent imaginé. Elle l'embrassa bien fort et, sans trop savoir ce qu'elle disait tant elle avait de peine, elle lui dit que c'était Sylvinet, et non pas lui, dont elle se plaignait; que, quant à lui, elle avait eu quelquefois une idée injuste, et qu'elle lui en faisait réparation; mais que Sylvinet lui paraissait devenir fou, et qu'elle était dans l'inquiétude parce qu'il était parti sans rien manger, avant le jour. Le soleil commençait à descendre et il ne revenait pas. On l'avait vu à midi du côté de la rivière, et finalement la mère Barbeau craignait qu'il ne s'y fût jeté pour finir ses jours.