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Revenus tous du premier étonnement de cette aventure, il nous a été impossible de ne pas entrevoir des contradictions dans le récit de nos voyageurs; d'abord le valet nous dit qu'ils viennent de Lyon, et qu'ils vont à Paris.-Le maître, ou qu'il oublie l'ordre donné à son valet, ou qui a peut-être négligé de lui en donner un, nous assure, au contraire, que c'est du Dauphiné qu'il vient, et que c'est vers le Maine que leurs pas se dirigent. La tournure de la jeune personne nous parut d'ailleurs un peu suspecte. Elle a le ton gracieux et poli, sans doute, l'air de l'excellente éducation. Mais en l'examinant un peu mieux, on voit qu'il y a plus d'art que de nature dans ce qui lui donne les dehors de la bonne compagnie. Ses manières sont étudiées, ses gestes arrangés, sa prononciation belle, mais affectée; elle est compassée dans ses mouvemens, et au travers de tout cela, cependant on trouve de la candeur et de la modestie. Le jeune homme est d'une très-jolie figure, brun, un peu hâlé, lestement fait, de très-beaux yeux, les cheveux superbes, son ton est moins maniéré que celui de la personne qui l'accompagne, mais on voit qu'il connaît celui du monde, et qu'il a tout ce qu'il faut pour y réussir. Au milieu de nos combinaisons, le comte chercha le nom de Sainville dans l'état du régiment de Navarre, et ne le trouva point. Nos soupçons redoublèrent… Nous demandâmes l'ordre qu'ils avaient donné à leurs gens. Ils leur avaient dit de s'informer de l'instant où madame de Blamont serait visible le lendemain matin, d'entrer chez eux une heure avant, et qu'ils partiraient immédiatement après avoir pris congé de la maîtresse du château.-Parbleu, dit le comte de Beaulé, ce sont-la deux aventuriers, je le parie, il faut qu'ils nous payent l'hospitalité par le récit de leur histoire.

Un moment, par délicatesse, madame de Blamont s'oppose à ce projet; elle craignait que cela ne les fâchât; plus il y a de contradictions dans ce qu'ils disent, plus il est clair, objectait-elle, que leur intention est de se cacher, le valet en est convenu, il nous a dit que son maître voyageait mystérieusement, ne les contraignons pas à nous avouer leur secret. Cette hospitalité que nous leur accordons, ne nous oblige qu'à des égards;… nous y manquerions, ce me semble, en les forçant à se dévoiler.-Mais il ne s'agit que de leur proposer, a dit madame de Senneval; si cela les afflige, nous les laisserons partir sans leur en parler davantage: et si, dans un cas contraire, ils viennent à y consentir, pourquoi nous priver de cet amusement? Eugénie proposa de faire questionner leurs gens, madame de Blamont ne le voulut pas, et définitivement la résolution prise fut, que la maîtresse du logis irait elle-même voir la jeune femme le lendemain matin; qu'elle commencerait par l'inviter a se reposer quelques jours à Vertfeuille; qu'insensiblement elle lui laisserait apercevoir l'intérêt qu'elle prenait à cette belle voyageuse, et le désir qu'elle aurait de la connaître plus particulièrement… Mais timide, comme tu la sais, elle n'osa jamais faire cette visite seule, et je fus choisi pour l'y accompagner. Comme elle avait fait dire exprès qu'il ferait jour chez elle à neuf heures, afin d'être sûre de les trouver levés à huit et demies; nous y passâmes à cette heure, leur toilette était achevée, et ils se préparaient à descendre… Ils témoignèrent combien ils étaient honteux d'être prévenus. Les politesses furent réciproques de part et d'autres. Madame de Blamont engagea la conversation avec beaucoup d'adresse; le mari et la femme, tous deux remplis d'esprit, la le vinèrent, et loin de se refuser à ce qu'on paraissait désirer d'eux, ils témoignèrent, sans la moindre contrainte, qu'ils étaient trop heureux de pouvoir reconnaître, par une aussi faible marque d'obéissance, toutes les attentions dont on les comblait:-n'imaginant pas que nous pouvions vous intéresser à ce point, madame, dit Sainville, vous nous pardonnerez d'avoir un peu déguisé le vrai en arrivant hier chez-vous. Il est des choses que l'on peut cacher, sans offenser en rien ceux avec qui l'on les déguise, en ne nous refusant point aujourd'hui aux éclaircissemens que vous exigez, peut-être serons-nous même encore, contrains à quelques restrictions; mais comme elles ne diminueront en rien la singularité de nos récits; vous nous, les pardonnerez, madame, bien sûr que l'exactitude la plus entière guidera tous nos autres détails… Contente de ce qu'elle obtenait, madame de Blamont n'osa pas appuyer d'avantage; et il fut convenu que l'on ferait un déjeuner dînatoire, qui, nous formant une plus grande journée, nous donnerait le temps de prêter toute notre attention aux aventures que nous devions entendre. On se mit donc à table de très-bonne heure, et dès que l'on fut rentrés dans le sallon, la compagnie s'étant rangée en demi-cercle, autour de ces deux jeunes personnes, Sainville commença son récit dans les termes suivans.

Le courier part, l'heure presse, tu permettras, mon cher Valcour, que ce long détail fasse le sujet de ma prochaine lettre, et je t'embrasse.

Fin de la seconde partie .

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