La rosée tombe sur la poussière,
Sur le marché, sur les chaumières,
Sur les coupoles d’or, sur la place,
Sur mon échafaud au milieu…
Mouillez le fouet et aiguisez la hache!
Le beau soleil est tout en brume, en brume.
Tout rouge, il ne brille pas et ne chauffe guère
Au-dessus des forêts blanches, visibles à peine,
Au-dessus des marais en rosée, des plaines…
Criez encore plus fort, hérauts, partout!
– Va, mon gars, laisse-moi me laver
Et mettre mes bottes, le cafetan.
Conduis-moi, mets-moi sous la hache.
Fais d’un seul coup mais si non – gare !
Mes dents déchireront tous sans qu’on m’ arrache!
Parmi les étoiles
La nuit tombe. Le double flot, Voie lactée,
Blanchoie là-haut; les étoiles refroidissent
Le sable où, sous ce brouillard éclairé,
Je suis la caravane et où je glisse.
La Voie est transparente, comme en fumée.
Elle disparaît au-delà des montagnes
Du Jourdain; elle descend vers l'est voilé,
Aux autres étoiles, aux pays de cocagne.
Je glisse mais je continue à marcher
Derrière le chameau dont le corps balance,
Grand et noir, le fusil du chamelier.
La selle craque comme dе bois. En somnolence,
Le chamelier branle comme inanimé
Sa tête qui est comme d'étoiles parsemée.
Dans La Horde
Dans la steppe derrière la Volga,
Le large soleil rouge se noie dans les sables.
Avec le bébé endormi dans tes bras,
Tu sors de la tente étouffante, tu regardes
Le sang qui coule sur le miroir lisse des sels
Et le soleil qui, comme sur le plat, se couche;
La joie paisible où la chaleur sèche de la steppe se
mêle,
Te souffle au visage, aux seins brunis en sueur qu’elle
touche.
Le grand camp est tout derrière toi:
Les roues grincent, les chameaux rugissent sans se
taire;
Dans l'obscurité pourpre, monte la poussière,
Dans la fumée, les feux, s’allumant, flamboient.
Tu es fillette aux yeux calmes et au cœur tendre;
Assise sur le sable, vois-tu ton déstin,
Sais-tu que ce bébé endormi tenant ton tétin
Ce soir-là, peux-tu le comprendre,
Est ce Mogol que la terre n'oublie jamais?
Que moi aussi, Mère, est-ce que tu sais
Que, sans paradis, je lui chanterai la gloire —
Sans besoin de Christ, de Galilée, de ses lys des
champs?
On n’est pas humbles: Tamerlan,
Mamaï, Attila, moi non plus, car
Moi aussi, je suis digne d’eux quand
Je déchire la vieille Charte divine,
Ennuyé de mensonges, j’assassine,
Je viole, je détruis et je brûle les villes en les pillant…
Très loin dans la steppe, en tremblant,
Le mica du soleil se perd dans les sables.
Dans le ciel éteint, ennuyée, tu regardes;
Ayant soupiré doucement, tu baisses les yeux de
nouveau …
Dans la fraîcheur de la nuit bleue, des chariots
Se détachent en noir сomme des troupes de la garde.
Le premier rossignol
La lune luit et disparaît dans des nuages.
Des pommiers sont en fleurs blanches sans feuillage.
Il y a au ciel une claire houle bleue et tendre;
Autour de la lune, elle va se répandre.
Aux allées nues pleines de froid transparent,
Le rossignol claque pour se mettre au chant.
Dans une maison à la fenêtre sans feu,
Sous la lune, une jeune fille tresse les cheveux.
Pour elle, ce conte vernal est délicieux –
Raconté mille fois au monde, il est vieux.
Le muguet
Aux bois nus sous une brise fraîche,
Jeune, j’ai vu ta vive lumière…
Tu brillais dans des feuilles sèches –
Je faisais mon premier vers.
Ton odeur est devenue chère
Pour toujours à mon jeune cœur,
Je retiens sa pureté claire,
L’aquosité, la fraîcheur!
C’est le jour à peine naissant,
Mon jeune cœur n’a que seize ans.
Au jardin dormant, la brume
Est tiède des fleurs sous la lune.
La maison est silencieuse,
Ta chère fenêtre est mystérieuse.
Là, c’est mon soleil, derrière
Le store, dans mon univers.
Une chanson
Je suis paysanne à la melonnière,
Lui est un homme gai, il est marin.
Sa voile a vu tant de fleuves, de mers;
Et cette voile blanche se perd au loin.
On dit que les dames grecques de Bosphore
Sont belles… Moi, je suis maigre, et mon teint
Est brun. Je ne sais s’il vient encore,
Car sa voile blanche s’est perdue au loin!
J’attendrai à tout temps, peu m’importe…
Mais s’il ne vient pas, je m’en irai
Jeter en mer la bague que je porte;
Avec ma tresse, je m’étranglerai.
Verbe
Momies, tombes, ossements gardent le silence;
Seul le verbe a la vie.
Et on ne voit au cimetière immense
Du monde que des écrits.
Mais nous n'avons pas d'autres apanages!
Il faut garder un tel
Talent au temps de souffrance et de rage –
Ce don est immortel.