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LE DOCTEUR. C’est juste.

JEANNE. C’est pourquoi j’ai imaginé de faire donner la grosse artillerie pour vous mettre dans un état de profond désarroi et obtenir de cette manière ce qu’il nous fallait. Nous avons étudié dans le guide médical les symptômes de la maladie et tous les trois nous avons monté cette comédie. (L’air repenti.) Je reconnais que c’était stupide, malhonnête et cruel. Nous regrettons beaucoup.

IRÈNE, durant tout ce temps reste assise, tête baissée.

LE DOCTEUR. Quoi d’autre ?

JEANNE. Rien. C’est tout.

LE DOCTEUR. Irène, est-ce cela que vous vouliez m’avouer ?

IRÈNE. (Sans lever la tête.) Oui.

JEANNE. À présent, vous pouvez nous chasser. D’ailleurs, nous partons de nous-mêmes. Nous ne demandons pas votre pardon, nous ne le méritons pas. (Elle prend Irène par le bras et se dirige avec elle vers la sortie.)

LE DOCTEUR. Attendez. (Plein d’entrain.) Vous croyez m’avoir blessé, mais en réalité vous m’avez extrêmement réjoui.

JEANNE. Comment ?

LE DOCTEUR. (Il a retrouvé optimisme et assurance en soi.) Premièrement, en reconnaissant votre faute et en renonçant. Deuxièmement, il y a encore dix minutes je croyais être tombé dans le marasme et je me croyais malade de la sclérose et, à présent, je me suis convaincu que j’étais en parfaite santé. Et, ce qui est le principal, Irène, voyez-vous, n’est pas mariée, elle est libre !

JEANNE. Oui, libre. Si on fait abstraction du fait qu’on va la coffrer pour huit ans.

LE DOCTEUR. (Effrayé.) Comment « pour huit ans » ? (À Irène.) C’est vrai ?

IRÈNE, muette, hausse les épaules.

JEANNE. On l’arrête demain.

LE DOCTEUR. Je ne laisserai pas faire !

JEANNE. Que pouvez-vous faire ?

LE DOCTEUR. Je ne sais pas encore, mais je ne laisserai pas faire ! Je protesterai ! Je… Je vous donnerai mes conclusions d’expertise sur votre irresponsabilité. À tous les trois. Et à moi aussi, on ne sait jamais.

JEANNE. Docteur, soyez sérieux. La banque exige le remboursement immédiat de la somme.

LE DOCTEUR. Qui exige ? Ce vice-président aux allures de détective ? Faites-le venir. Je vais régulariser cette affaire.

JEANNE. Docteur, c’est impossible.

LE DOCTEUR. J’en ai vu d’autres. Faites venir votre banquier.

JEANNE et IRÈNE échangent des regards. IRÈNE sort.

JEANNE. Comment comptez-vous arranger l’affaire avec la banque ?

LE DOCTEUR. C’est tout simple, je lui verserai ce maudit argent.

JEANNE. Vous n’avez aucune idée de ce que représente la somme.

LE DOCTEUR. Cela ne m’intéresse pas.

JEANNE. Je crains que votre bourse ne soit pas assez ronde.

LE DOCTEUR. N’ayez crainte. Je suis un homme très fortuné.

JEANNE. Et pourquoi vous priveriez-vous de votre argent pour des inconnus, qui, de plus, vous ont trompé ? L’argent vous encombre, peut-être ?

LE DOCTEUR. Et il me sert à quoi ? Comme tous les gens riches je suis un régime et je ne mange rien de gras, de salé, d’épicé, de cher et de goûteux. Et le reste du temps, je travaille.

Entrent IRÈNE et LE VICE-PRÉSIDENT. LE DOCTEUR s’adresse à lui.

Mon cher, peut-on, pour quelques misérables billets poursuivre une si charmante femme ?

LE VICE-PRÉSIDENT. L’argent, bien sûr, compte pour rien. Il est des choses, dans la vie, autrement plus importantes : l’amour, la beauté, la santé, la bonté…

LE DOCTEUR. Je ne vous le fais pas dire.

LE VICE-PRÉSIDENT. D’un autre côté, si l’argent compte pour rien, alors pourquoi ne pas le rendre ?

LE DOCTEUR. Parce que son frère l’a perdu en jouant au casino. Elle n’a pas un centime.

LE VICE-PRÉSIDENT. (À Irène.) Est-ce vrai ?

IRÈNE ne répond pas.

Pourquoi ne l’avez-vous pas dit plus tôt ?

IRÈNE. Qu’est-ce que ça aurait changé ?

LE VICE-PRÉSIDENT. Sur le fond, rien. Mais maintenant, au moins, je comprends votre conduite. Cependant il faut quand même rendre l’argent.

LE DOCTEUR. Dites-moi, combien. (Il sort son portefeuille.)

LE VICE-PRÉSIDENT. Une somme misérable, on peut même dire insignifiante, tout bonnement ridicule, de la petite monnaie, à quoi bon en parler.

LE DOCTEUR. Pouvez-vous avancer un chiffre approximatif ?

LE VICE-PRÉSIDENT. Deux millions d’euros.

LE DOCTEUR. Deux millions d’euros ?!

LE VICE-PRÉSIDENT. Oui, dans ces eaux-là. Comme vous le comprenez, pour une banque cela ne saurait passer pour un dommage. Beaucoup plus graves apparaissent le vol en lui-même et l’escroquerie. Croyez-moi, il me sera très difficile d’étouffer l’affaire.

LE DOCTEUR. Je comprends et j’apprécie beaucoup. (Il range son portefeuille. À Irène.) Je crains, ma chère, de n’être pas en état de rendre cette modique somme à la banque. Et comment, tout de même, votre frère s’y est-il pris pour perdre si grande quantité d’argent ?

IRÈNE. (Soupirant.) Au casino, on peut dépenser de telles sommes en trente minutes.

LE DOCTEUR. Mais ne m’aviez-vous pas vous-même dit, qu’il était le meilleur joueur de cartes ?

IRÈNE. De cartes, mais pas à la roulette. Et Michel, pour notre malheur, a la passion du jeu.

JEANNE. (Troublée.) À propos, où est-il ?

IRÈNE. En effet, où est Michel ? (Elle regarde, inquiète, tout autour d’elle.) Va voir, il est peut-être dans la salle d’attente.

JEANNE sort précipitamment et revient. Le désarroi se lit sur son visage.

JEANNE. Il n’y est pas.

IRÈNE. (D’une voix qui tombe.) Nous l’avons laissé encore échapper.

LE DOCTEUR. Je ne comprends pas pourquoi vous vous faites autant de soucis pour lui. Vous dites bien qu’il est en parfaite santé ?

JEANNE. Oui, il est en bonne santé, mais…

LE DOCTEUR. Mais quoi ?

IRÈNE. Vous comprenez, il vit très mal le fait que nous soyons dans le malheur à cause de lui.

LE DOCTEUR. Et alors ?

IRÈNE. Et il a cette manie : jouer tout son argent. Et plus il joue, plus il perd. C’est pourquoi, ces dernières semaines nous nous efforçons de ne pas le perdre de vue.

JEANNE. Irène, calme-toi. Il ne peut pas être au casino car en ce moment il n’a simplement pas de quoi jouer. Je lui ai confisqué tout l’argent, même la monnaie.

LE DOCTEUR. Hum… J’ai peur d’avoir commis un impair.

Les femmes fixent un regard interrogatif sur LE DOCTEUR. Il avoue, l’air contrit.

Je lui ai avancé de l’argent.

JEANNE. Combien ?

LE DOCTEUR. Mille euros.

JEANNA. Vous avez perdu la tête ?!

LE DOCTEUR. (L’air coupable.) Oui, depuis ce matin.

Un téléphone sonne. IRÈNE sort le sien de son sac.

IRÈNE. Allo ! Oui, chéri. Où es-tu ? (Elle écoute longuement. Tous sont tendus et l’observent. Sur son visage alternent la peur, l’espoir, la déception, la joie. Ces changements se retrouvent au même moment sur le visage des autres. IRÈNE achève de parler.)

JEANNE. Alors ?

IRÈNE. Naturellement, après avoir reçu de l’argent, il a tout de suite filé au casino.

JEANNE. (Affectée.) Je savais bien.

IRÈNE. Et il a presque tout perdu.

JEANNE. Comme toujours.

IRÈNE. (D’un air triomphal.) Mais ensuite, il a gagné deux millions d’euros ! Il a déjà appelé un taxi et il arrive avec l’argent !

Euphorie générale.

JEANNE. (Enlaçant Irène.) Quel bonheur ! (Au vice-président.) Vous aurez votre argent tout de suite.

LE VICE-PRÉSIDENT. Croyez-moi, je me réjouis de cela plus que tout autre. Un scandale à la banque, Irène sur le banc des accusés, les titres des journaux… Cela m’aurait rendu fou.

LE DOCTEUR. Tout est bien qui finit bien. Arrosons cela avec du champagne ! (Il ouvre une bouteille et verse le champagne dans les verres.)

IRÈNE. Aux jours heureux !

Entre MICHEL, une petite mallette à la main. Il est accueilli par un brouhaha de salutations et de félicitations.

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