Tout ce qui peut se dire à présent sur la question du rapport de la vraie religion et du catholicisme a été dit depuis longtemps et dit de manière à épuiser complètement la question.
Il n’y a qu’à relire Voltaire, Kant (son livre «Sur la religion dans les limites de la raison pure»), Channing, Lammenais, Ruskin, Emerson4 et autres pour voir que tout ce qui se débite à présent sur cette matière avec si peu de clarté, de précision et de méthode5 a été dit depuis longtemps et de manière à ne laisser rien à dire à ceux qui voudraient à présent traiter la même question.
«On me dit qu’il fallait une révélation», dit Rousseau dans sa Proffession de foi du Vicaire Savoyard, «pour apprendre aux hommes la manière dont Dieu voulait être servi, on assigne en preuve la diversité des cultes bizarres qu’ils ont institués et l’on ne voit pas que cette diversité même vient de la fantaisie des révélations. Dès que les peuples se sont avisés de faire parler Dieu, chacun l’a fait parler à sa mode et lui a fait dire ce qu’il a voulu. Si l’on n’eut écouté que ce que Dieu dit au coeur ae i’homme il n’y aurait jamais eu qu’une religion sur la terre».
Notre devoir à nous et à nos contemporains n’est pas de répéter vaguement des choses qui ont été si bien dites des siècles avant nous, mais de tâcher de préciser les principes de la vraie religion, qui doit remplacer les affreuses superstitions de l’Eglise, que fait semblant de professer a présent l’humanité chrétienne.
L homme, comme être raisonnable, n’a jamais vecu sans établir un rapport spirituel entre son existence et l’Infini que nous appelions Dieu. Ce rapport, qui n’est autre que la religion, a toujours été la force dirigeante de toutes les actions conscientes de l’homme, et a toujours evolué conformement au développement de l’humanité.
La vraie doctrine chrétienne a l’époque où elle a paru, étant beaucoup audessus de la faculté de conception des masses, ne fut acceptée dans son vrai sens que par une toute petite minorité. La grande masse, habituée à une adoration religieuse du pouvoir temporel, ne pouvant comprendre cette doctrine dans son véritable sens, accepta avec facilité la doctrine quasi-chrétienne falsifiée par l’Eglise qui n’exigeait qu’une adoration extérieure de Dieu, des saints, des images et en partie de personnages revêtus de qualités surnaturelles.
Cela dura des siècles, mais avec les progrès des lumières en général le véritable esprit chrétien, caché sous les voiles dont l’avait recouvert l’église, se fit jour de plus en plus: la contradiction de la vraie doctrine chrétienne et du régime autoritaire de l’état, soutenu par la violence devint de plus en plus évidente. Malgré tous les efforts de l’Etat et de l’Eglise de réunir les deux principes: celui du vrai christianisme (amour, humilité, clémence) et celui de l’état (voie de fait, force physique, violence), la contradiction devint de notre temps tellement évidente qu’une solution telle quelle de cette flagrante contradiction ne peut plus être retardée.
Plusieurs symptomes le prouvent: 1) le mouvement religieux que se produit non seulement en France, mais dans tous les pays chrétiens; 2) la revolution en Russie, et 3) les progrès extraordinaires militaires et industriels, qui se manifestent de plus en plus dans ces derniers temps en Chine, et surtout au Japon.
Le mouvement religieux que se produit à présent non seulement dans le monde catholique, mais dans le monde entier, n’est selon moi pas autre chose que les douleurs d’enfantement du dilemme: la religion chrétienne avec ses exigenses de soummission à Dieu, d’amour du prochain, d’humilité et l’état, avec les conditions indispensables de son existence: soummission au gouvernement, patriotisme, loi du talion et surtout l’armée avec son service obligatoire.
Il me parait qu’en France il y a tendance à résoudre le dilemme en faveur de l’Etat contre la religion, non seulement contre le catholicisme, mais contre la religion en général qui est envisagée par la majorité des classes dirigeantes comme un élément du passé inutile et plutôt pernicieux que bienfaisant pour le bienêtre des hommes de notre époque.
Le même dilemme est la cause principale de la révolution en Russie. Tout ce qui se fait à présent en Russie par les révolutionnaires est une activité inconsciente ayant pour but la solution du dilemme en faveur de la religion, c’[est]à d[ire] de L’abolition de l’état, de tout pouvoir fondé sur la force et d’une organisation sociale, basée sur les principes religieux et moraux communs à tous les hommes.
Le troisième symptome de l’imminence de la solution du dilemme: l’état où la religion, m’aparait dans les progrès extraordinaires tant militaires qu’industriels qu’ont fait et continuent de faire dans ces derniers temps les peuples de l’extrême orient, qui non seulement sont libres de la contradiction intérieure des états chrétiens, mais qui professent la religion la plus patriotique du culte des ancêtres et du pouvoir de leur chef de l’état qu’ils déifient.
Les progrès de ces peuples sont tels que, s’ils continuent à se produire dans les mêmes proportions, dans quelques dizaines d’années, ce ne seront plus les états Européens qui dicteront la loi aux Orientaux, mais ce sera les orientaux qui seront les maîtres du monde et les chrétiens leur vassaux. Et cela ne peut pas être autrement par l’accord complet de leur religion et de leur organisation comme état.
Les peuples de l’Europe commencent à s’apercevoir de ce danger. C’est précisément cette attitude ménaçante des peuples de l’orient qui constitue la troisième raison pour laquelle la solution du dilemme entre la religion et l’état ne peut plus être rétardée.
L’un des deux: ou bien renier complètement le vrai sens de la religion chrétienne, détruire les derniers vestiges des idées d’amour du prochain, d’humilité, de fraternité, comme le font déjà des hommes du monde Européen, et opposer un patriotisme féroce et une obéissance servile au patriotisme et à l’obéissance passive des orientaux, ou bien accepter pour tout de bon les vrais principes chrétiens d’amour du prochain, d’humilité, de nonrésistance au méchant, à la violence et se fier non à la force physique, mais à la volonté de Dieu, pleinement convaincus que le plus grand bien de l’homme et de l’humanité ne s’accquerit que par la soumission à la loi éternelle, revelée en notre conscience, qoique les voies par lesquelles ce bien nous peut être acquis nous soyent cachées et incompréhensibles.
Il est inutile de v[ou]s dire de quel côté sont mes sympathies et aspirations.
Voilà les idées qui me sont venues à la lecture de votre livre.
Excusez moi, je vous prie, cher ami, pour la rudesse de mes expressions, ainsi que pour mon mauvais français, que vous aurez l’indulgence de tâcher de comprendre.
Votre ami
Léon Tolstoy,
7/20 Novembre 1906.
Дорогой господин Сабатье,
Я только что получил ваше письмо, а также книгу и две брошюры. Оказывается, то лицо, которое должно было передать письмо и книги г-ну Бирюкову, задержало их у себя более месяца, и я получил их лишь теперь.1 В этом причина, почему запоздал мой ответ.
С большим интересом прочел я вашу книгу, равно и итальянскую брошюру.
Вопрос, который в ней обсуждается, в высшей степени важен, и, зная вас за человека искреннего, я позволю себе быть вполне искренним с вами и выскажу вам откровенно свою мысль.
Думаю, что во всяком деле нет ничего ошибочнее полумер и что нельзя прививать истину и добро на лжи и зле. Религия — это истина и добро, церковь же — ложь и зло.
Вот почему я не могу стать на точку зрения тех, кто верит, что церковь для религии — необходимая организация и что надо только ее преобразовать, для того чтобы она стала учреждением, благодетельным для человечества.
Церковь была всегда организацией лживой и жестокой, которая исказила и извратила истинное христианское учение ради тех выгод, которые она получала от светской власти для своих членов. Все конкордаты были для нее не чем иным, как сделками между церковью и государством, в силу которых церковь обещала государству свою помощь взамен тех материальных выгод, которые оно предоставляло ей.