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— Demande si mon Ron est là », intima M rs Ormerod. Elle avait une mâchoire qui évoquait une brique.

« C’est entendu, mon chou, mais il faut garder le silence pendant que j’entre en contact. »

Il y eut un silence, seulement troublé par les gargouillements de l’estomac de M r Scroggie. « ’Scusez-moi, mesdames », marmonna-t-il.

Madame Tracy avait établi, au cours de ses années passées à Soulever le Voile Mystique et à Explorer les Grands Mystères, que deux minutes sans rien dire, à attendre sur sa chaise que le Monde des Esprits se manifeste, était un délai convenable. Plus longtemps, et ses clients s’impatientaient ; moins, et ils n’avaient pas le sentiment d’en avoir pour leur argent.

Elle récapitula dans sa tête la liste des commissions.

Des œufs. Une laitue. Cinquante grammes de fromage à gratiner. Quatre tomates. Du beurre. Un rouleau de papier hygiénique. Surtout, ne pas oublier, la réserve est presque épuisée. Et un joli morceau de foie pour M r Shadwell, pauvre homme, quel dommagec

C’était le moment.

Madame Tracy rejeta la tête en arrière, la laissa tomber mollement sur une épaule puis la redressa lentement. Ses paupières étaient presque closes.

« Elle entre en transe, maintenant, entendit-elle M rs Ormerod chuchoter à Julia Petley. Il n'y a aucune raison de s’inquiéter. Elle se change en un Pont vers l’Autre Monde. Son guide spirituel ne devrait plus tarder. »

Madame Tracy s’agaça de sentir qu’on lui volait la vedette, et elle poussa une sourde plainte. « Ooooo-ooooh. »

Puis, d’une voix aiguë, chevrotante : « Es-tu là, ô mon guide spirituel ? »

Elle attendit un peu, pour faire monter la tension. Du liquide vaisselle. Deux boîtes de haricots en sauce. Ah oui, des pommes de terre, également.

« Hugh ? dit-elle d’une voix sombre et brune.

— Est-ce vous, Geronimo ? se demanda-t-elle.

— Être moi, hugh, se répondit-elle.

— Notre cercle compte un nouveau venu, cet après-midi.

— Hugh, Miss Petley ? » dit-elle, en tant que Geronimo. Elle avait toujours eu l’impression que les guides spirituels peaux-rouges constituaient un accessoire indispensable, et c’était un nom qu’elle aimait bien. Elle l’avait expliqué à Newt, qui avait compris quelle ne connaissait rien de Geronimo et n’avait pas eu la cruauté de la tirer de son ignorance.

« Oh, couina Julia, enchantée de faire votre connaissance.

— Est-ce que mon Ron est là, Geronimo ? demanda M rs Ormerod.

— Hugh, squaw Béryl, dit madame Tracy, oh, être tant de pauvres âmes perdues, hugh, faire la queue devant porte de tipi. Peut-être votre Ron être parmi eux. Hugh. »

Madame Tracy avait compris la leçon depuis des années. Désormais elle ne faisait plus parler Ron qu’en toute fin de séance. Sinon, Béryl Ormerod monopolisait tout le temps pour raconter par le menu à feu Ron Ormerod ce qui lui était arrivé depuis leur précédente petite conversation. (« Bon, Ron, tu te souviens de Sybilla, la cadette de notre Eric ; eh bien, tu ne la reconnaîtrais pas, elle suit des cours de macramé, et notre Laetitia, tu sais, l’aînée de notre Karen ? Elle est devenue lesbienne, mais de nos jours, c’est très bien vu, elle fait une thèse, une étude des films de Sergio Leone vus sous l’angle féministe, et notre Stan, mais si, le jumeau de notre Sandra, je t’en ai parlé la dernière fois, eh bien, il a remporté le tournoi de fléchettes, ce qui est bien, parce qu’on a toujours cru qu’il ne sortirait jamais des jupes de sa mère, au fait, la gouttière du hangar s’est décrochée, mais j’en ai parlé au petit dernier de notre Cindi, il est maçon indépendant, et il va passer jeter un coup d’œil dimanche, et, ohhh, ça me fait penserc »)

Non, Béryl Ormerod pouvait attendre. Il y eut la fulguration d’un éclair, presque aussitôt suivie d’un lointain grondement de tonnerre. Madame Tracy en éprouva une vague fierté, comme si elle en était responsable. C’était encore mieux que les chandelles pour créer un suce-pince. Le suce-pinceétait au cœur de la médiumation.

« Bien, dit madame Tracy avec sa propre voix. M r Geronimo aimerait savoir s’il y a ici quelqu’un qui s’appelle M r Scroggie ? »

Les yeux délavés de Scroggie pétillèrent. « Ahemc en fait, c’est mon nom », avoua-t-il, rempli d’espoir.

« Parfait, eh bien, quelqu’un vous demande. » Depuis un mois que M r Scroggie venait, elle n’avait pas encore trouvé de message adéquat à lui transmettre. L’heure était venue. « Connaîtriez-vous un nommé, euhc John ?

— Non.

— Ah, il y a un peu de friture céleste. Le nom est peut-être Tom. Ou Jim. Ou, euhc Dave.

— J’ai connu un Dave, quand j’étais à Hemel Hempstead, reconnut M r Scroggie avec une expression vaguement dubitative.

— Oui, il a bien dit Hemel Hempstead, voilà, c’est exactement ça.

— Mais je l’ai croisé la semaine dernière, il promenait son chien, et il avait l’air en pleine forme, s’étonna vaguement M r Scroggie.

— Il dit qu’il ne faut pas s’inquiéter, qu’il est plus heureux dans l’Autre Monde », continua résolument madame Tracy, qui était d’avis qu’il vaut toujours mieux donner de bonnes nouvelles à ses clients.

« Dis à mon Ron qu’il faut que je lui raconte le mariage de notre Krystal, intervint M rs Ormerod.

— Je n’y manquerai pas, mon chou. Maisc oh, un instant, quelque chose se manifestec »

C’est alors que quelque chose se manifesta. Cela s’assit dans la tête de madame Tracy et jeta un coup d’œil au-dehors.

« Sprechen sie Deutsch ? demanda-t-il par le truchement de la bouche de madame Tracy. Se habla espafiol ? Wo bu hui jiang zhongwen ?

— Ron, c’est toi ? » demanda M rs Ormerod. La réponse, quand elle arriva, était légèrement agacée.

«  Non. Absolument pas. Cependant, une question aussi sotte ne peut avoir été posée que dans un seul pays sur cette planète d’obscurantisme– que j’ai visitée dans sa plus grande partie au cours des heures qui viennent de s’écouler. Ma chère petite dame, non, je ne suis pas Ron.

— Eh bien, moi, je veux parler à Ron Ormerod, répliqua M rs Ormerod sur un ton pincé. Il est plutôt trapu, avec une calvitie sur le sommet du crâne. Vous pourriez me le passer, s’il vous plaît ? »

Un silence. «  En fait, on dirait bien qu’un esprit répondant à cette description flotte à proximité. Très bien. Je le mets en ligne, mais dépêchez-vous. J’essaie d’empêcher l'Apocalypse. »

M rs Ormerod et M r Scroggie échangèrent un coup d’œil. Il ne s’était jamais rien passé de ce genre au cours des séances précédentes de madame Tracy. Julia Petley était ravie. C’était nettement mieux. Elle espérait que madame Tracy allait commencer à matérialiser des ectoplasmes d’un instant à l’autre.

« Euhc Allô ? » dit madame Tracy avec une nouvelle voix. M rs Ormerod sursauta. C’était exactement la voix de Ron. Au cours des séances précédentes, Ron avait eu la voix de madame Tracy.

« Ron ? C’est toi ?

— Oui, Béc Béryl.

— Très bien. Bon, j’ai pas mal de choses à te raconter. Pour commencer, j’ai été au mariage de notre Krystal, samedi dernier, l’aînée de notre Marilync

— Béc Béryl. Tc Tu nc ne mc m’as j... jamais laissé pc placer un mot pc pendant que j’étais vivc vant. Mc maintenant que je sc suis mc mort, jc j’ai une s... seule ch... chose à te d... dire. »

Béryl Ormerod trouva tout ceci très désagréable. Auparavant, quand Ron se manifestait, il lui affirmait qu’il était plus heureux dans l’Autre Monde, et qu’il vivait dans un endroit qui devait ressembler à une maison de campagne céleste. Maintenant, il ressemblait à son Ron, et elle n’était pas bien sûre de vraiment y tenir. Alors, elle dit ce qu’elle avait toujours dit à son mari quand il commençait à lui parler sur ce ton :

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