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« Elvis Presley ? Ça doit être “C” – c’est en 1977 qu’il a passé l’arme à gauche, non ?

— Naaan. “D”. 1976. Catégorique.

— Ouais. La même année que Bing Crosby.

— Et Marc Bolan. Ça, c’était un mec. Allez, appuie sur “D”. Vas-y. »

Le grand joueur ne fit pas mine de presser le moindre bouton.

« Quesstu fais, mec ? demanda le Gros Ted, agacé. Vas-y. Appuie sur ”D”. Elvis est mort en 76. »

Je me fiche de savoir ce qui est inscrit, répondit le grand motard qui avait gardé son casque. Je n’ai jamais posé la main sur lui.

Les trois personnes à la table se retournèrent d’un seul mouvement. C’est la rouquine qui parla. « Depuis quand êtes-vous là ? »

Le motard de haute taille alla vers la table, abandonnant son assistance stupéfaite et ses gains. J’ai toujours été là, dit-il. Et sa voix était l’écho obscur de lieux nocturnes, une froide dalle de son, gris et mort. Si cette voix avait été une pierre, elle aurait depuis longtemps porté des mots gravés : un nom, deux dates.

« Votre thé refroidit, monseigneur, dit Famine.

— Beaucoup de temps a passé », déclara Guerre.

La foudre tomba, presque immédiatement suivie par un sourd grondement de tonnerre.

« Le temps est idéal », déclara Pollution.

Oui.

Cette conversation mystifiait de plus en plus les motards regroupés autour de la machine à sous. Sous la conduite du Gros Ted, ils s’approchèrent de la table et considérèrent les quatre étrangers.

Il n’échappa pas à leur attention que ces derniers portaient tousl’inscription Anges de l’Enfer sur leurs vestes. Les motards ne les trouvaient vraiment pas nets : trop propres, pour commencer ; et aucun d’entre eux ne donnait l’impression d’avoir jamais cassé le bras de quelqu’un parce que c’était un dimanche après-midi et qu’il n’y avait rien d’intéressant à la télé. En plus, l’un d’eux était une femme ; non seulement elle ne chevauchait pas en croupe, derrière quelqu’un d’autre, mais elle avait sa propre bécane, comme si elle en avait le droit.

« Alors comme. ça, vous êtes des Anges de l’Enfer ? » demanda le Gros Ted, sarcastique. S’il y a une chose que les vrais Hell’s Angels ne supportent pas, ce sont bien les motards du dimanche 39 .

Les quatre étrangers opinèrent de la tête.

« Vous êtes membres de quel chapitre, alors ? »

Le grand étranger regarda le Gros Ted. Puis il se leva. C’était un mouvement complexe : s’il existait des chaises longues sur la plage des océans de la nuit, elles se dépliaient sans doute de la même manière.

Il sembla y passer un temps infini.

Il portait un casque noir, qui dissimulait complètement ses traits. Le matériau était un plastique bizarre, ‘ constata le Gros Ted. Quand on le regardait, ben, on voyait son propre reflet.

L’Apocalypse, répondit-il. Chapitre 6.

« Versets 2 à 6 », précisa le jeune homme en blanc, serviable.

Le Gros Ted les regarda tous deux avec des yeux furibonds. Sa mâchoire inférieure commença à avancer, et une petite veine bleue se mit à palpiter sur son front.

« Ça veut dire quoi, ça ? » demanda-t-il.

Il sentit qu’on lui tirait la manche. C’était Purin, dont le visage avait adopté une nuance de gris assez inhabituelle, sous sa crasse.

« Ça veut dire qu’on a des problèmes », dit-il.

C’est alors que l’étranger grand leva un pâle gant de motard et souleva la visière de son casque ; et le Gros Ted, pour la première fois de sa vie, regretta de ne pas avoir mené une existence plus admirable.

« Doux Jésus ! gémit-il.

— Si ça se trouve, Il tardera plus, glissa Purin sur un ton pressant. Il cherche probablement un endroit où garer sa moto. Tirons-nous etc et allons nous inscrire dans une patrouille de scouts, ou quéq’chose comme çac »

Mais l’ignorance invincible du Gros Ted lui servait de bouclier et d’armure. Il ne bougea pas d’un pouce.

« Bon Dieu, dit-il. Les Anges de l’Enfer. »

Guerre lui adressa un petit signe de salut, négligemment.

« C’est bien nous, Gros Ted, dit-elle. La marque d’origine.

Famine hocha la tête. « La maison mère. »

Pollution retira son casque et secoua ses longs cheveux blancs. Il avait assuré la relève quand Pestilence, bougonnant on ne sait quoi à propos de pénicilline, avait pris sa retraite en 1936. Si seulement le pauvre avait connu les opportunités que recelait le futurc

« Certains font des promesses, dit-il. Nous les tenonsc »

Le Gros Ted regarda le quatrième Cavalier. « Dites, j’vous ai déjà vu. Zétiez sur la pochette d’un album de Blue Oÿster Cult. Et j’ai une bague avec votrec votrec votre tête dessus. »

Je vais partout.

« Mince. » Le visage du Gros Ted se noua sous l’effort de la réflexion.

« Et vous avez quoi, comme moto ? » s’enquit-il.

Autour de la carrière, la tempête faisait rage. La corde à laquelle était suspendu le vieux pneu dansait dans la bourrasque. Parfois, une plaque de tôle, relique d’une ébauche de cabane dans un arbre, s’arrachait à ses piètres amarres et s’envolait.

Les Eux, pelotonnés les uns contre les autres, regardaient Adam. Il paraissait plus grand, d’une certaine façon. Toutou, assis, grondait. Il pensait à toutes les odeurs qu’il allait perdre. L’Enfer ne sent rien, sauf le soufre. Et certaines odeurs étaient, étaient, étaientc bon, il fallait bien se dire qu’il n’y a pas non plus de chiennes en Enfer.

Adam allait et venait avec exaltation, agitant et levant les mains.

« On arrêtera pas de s’amuser, disait-il. On fera des explorations et tout. Je crois que je serai bientôt capable de faire repousser les vieilles jungles.

— Maisc mais quic qui fera, tu sais, la cuisine et la lessive et tout ça ? chevrota Brian.

— Personne aura plus à faire tout ça. Tu pourras manger tout ce que tu voudras, des tonnes de chips, des oignons frits, tout ce que tu veux. Et tu seras jamais forcé de porter des affaires neuves ou de prendre un bain si t’en as pas envie, tout ça. Ou d’aller à l’école, rien. Ou de faire quelque chose que t’as pas envie de faire, jamais plus. Ça sera méchammentbien ! »

La lune se leva sur les monts Kookamundi. Elle brillait beaucoup, ce soir.

Johnny Deux Os était assis dans la cuvette rouge du désert. C’était un lieu sacré, où deux rochers ancestraux, formés dans le Temps du Rêve, reposaient comme aux origines. La randonnée initiatique de Johnny Deux Os touchait à son terme. Ses joues et sa poitrine étaient peintes d’ocre rouge, et il entonna un vieux chant, une sorte de carte musicale des collines, tout en traçant des signes dans la poussière, de la pointe de son épieu.

Il touchait au but.

Tout prèsc

Il cligna des yeux. Regarda autour de lui, stupéfait.

«  Excusez-moi, cher enfant, se dit-il à voix haute, d’une voix aux intonations précises et clairement articulées. Mais avez-vous la moindre idée de l’endroit où je me trouve ?

— Qui a dit ça ? » demanda Johnny Deux Os.

Sa bouche s’ouvrit. «  C'est moi  »

Johnny se gratta, pensif. « Vous êtes un de mes ancêtres, mec, c’est bien ça ?

—  Oh. Indubitablement. Tout à fait. C'est une façon de parler. Maintenant, revenons à ma question de départ. Où suis-je ?

— Seulement, si vous êtes un de mes ancêtres, pourquoi que vous parlez comme une chochotte ?

—  Ah. L’Australie, dit la bouche de Johnny Deux Os. Elle articula ce nom comme si une désinfection méticuleuse devrait précéder tout nouvel emploi du mot. Quelle misère. Enfin, merci quand même.

— Hé ? Ohé ? » demanda Johnny Deux Os.

Il resta assis dans le sable et attendit, attendit, mais il ne répondit pas.

Aziraphale était parti ailleurs.

Citron Deux-Chevaux était un tonton macoute, un houngan 40 itinérant : il portait une besace sur l’épaule, contenant des plantes magiques et médicinales, des morceaux de chat sauvage, des chandelles noires, une poudre dont l’ingrédient principal était la peau séchée d’un poisson bien particulier, une scolopendre morte, une demi-bouteille de Chivas Regal, dix cigarettes Rothman, et un exemplaire du Guide des Spectacles d’Haïti.

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