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« Alors, on garde le contact, d’accord ? » lui lança Rampa.

Aziraphale, la clé dans la serrure, s’interrompit.

« Hein ? Oh. Oh. Oui. Très bien. Excellent. » Et il claqua la porte derrière lui.

« Super », marmonna Rampa, qui se sentit soudain bien seul.

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La lueur d’une torche électrique brillait sur la petite route.

L’ennui, quand il faut retrouver un livre à couverture brune entre des feuilles brunies et de l’eau brunissante au fond d’un fossé de terre brimasse dans la lumière brunâtre, enfin grisâtre, de l’aube, c’est qu’on ne peut pas.

Il n’était pas là.

Anathème mit en pratique toutes les méthodes de recherche qui lui vinrent à l’esprit. Le quadrillage méthodique du secteur. Le tripatouillage aléatoire dans les fougères du bas-côté. L’avance en pas chassés suivie d’un regard coulé en biais. Elle avait même essayé la tactique dont son cœur romantique garantissait l’infaillibilité : abandonner les fouilles de façon théâtrale, s’asseoir et laisser tout naturellement tomber son regard sur un coin de terrain qui, si elle avait été dans n’importe quel roman correct, aurait dû contenir l’ouvrage.

Il n’y était pas.

Ce qui signifiait, comme elle l’avait redouté depuis le début, qu’il devait se trouver sur la banquette amère d’une voiture appartenant à deux réparateurs de vélos, adultes et consentants.

Elle pouvait entendre des générations de descendants d’Agnès Barge se gausser d’elle.

Même si ces deux-là étaient assez honnêtes pour avoir l’impulsion de lui rendre le livre, ils ne se donneraient probablement pas la peine de rechercher un cottage qu’ils avaient à peine entrevu dans la nuit.

Il ne restait qu’un dernier espoir : qu’ils ne se rendent pas compte de l’importance de ce qu’ils avaient.

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Comme nombre de boutiquiers de Soho spécialisés dans le livre particulier pour amateurs éclairés, Aziraphale possédait une arrière-boutique ; mais son contenu dépassait en excentricité ce que le Client Qui Sait Ce Qu’il Veut trouve normalement sous emballage cellophane.

Il était particulièrement fier de ses livres de prophéties.

Des premières éditions, en général.

Et toutes dédicacées.

Il avait Richard Nixon 16 , Martha la Bohémienne, Ignatius Sybilla et la vieille Ottwell Binns. Nostradamus avait écrit : À mon très-ancien ami Azerafel, avec mes falutations ; la Mère Shipton avait renversé une partie de sa chope sur son exemplaire ; et dans une vitrine à l’hygrométrie contrôlée reposait le manuscrit original, écrit de la main tremblante du divin saint Jean de Patmos, dont l' Apocalypseavait été le best-seller incontesté. Aziraphale l’avait trouvé assez sympathique, malgré son goût excessif pour les champignons bizarres.

Ce que sa collection ne possédait pas, c’était un exemplaire des Belles et bonnes prophétiesd’Agnès Barge, et Aziraphale entra dans la pièce en le tenant comme un philatéliste passionné aurait étreint un Vingt Centimes bleu de l’île Maurice qu’il venait de découvrir sur une carte postale de sa tantine.

Il n'en avait encore jamais vu un exemplaire, mais il en avait entendu parler. Tout le monde dans sa profession, ce qui, considérant l’extrême spécialisation de ce genre de négoce, représentait environ une douzaine de personnes, en avait entendu parler. Son existence formait une sorte de vide autour duquel les histoires bizarres gravitaient depuis des siècles. Pouvait-on graviter autour du vide ? Aziraphale l’ignorait et s’en fichait éperdument ; à coté des Belles et bonnes prophéties, les Carnets secretsd’Hitler ressemblaient àc eh bien, à des faux.

Ses mains tremblaient à peine quand il le déposa sur un établi, enfila une paire de gants chirurgicaux en latex et l’ouvrit avec révérence. Aziraphale était un ange, mais il avait aussi la religion des livres.

Le titre annonçait :

Les Belles et Bonnes Prophe fies d’Agnes Barge

En plus petits caractères :

Ou l’on trouuera une Histoire fiable et Preci fe Allant de nos Jours ju fqu’aux Termes de ce Monde.

En caractères un peu plus gros :

Contenant des Merueilles maintes et uariees et des Preceptes édifiants pour les Sages

En caractères différents :

Oncques n’a rien ete publie de plus complet

En caractères plus petits mais en capitales :

SUR LES ESPOQVES ENCORE A VENIR

En italiques un peu hystériques :

Et des Euenements de Nature merueilleuse.

De nouveau en gros caractères :

Rivalise avec les meilleures pages de No ftradamus – Ur fula Shipton

Les prophéties étaient numérotées et il y en avait plus de quatre mille.

« On se calme, on se calme », s’enjoignit Aziraphale à mi-voix. Il alla dans la kitchenette, se prépara un chocolat et respira plusieurs fois à fond.

Puis il revint et lut une prophétie au hasard.

Quarante minutes plus tard, il n’avait toujours pas touché à son chocolat.

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La femme rousse assise dans un coin du bar de l’hôtel était la correspondante de guerre la plus accomplie du monde. Son passeport actuel portait le nom de Carminé Zuigiber ; et elle allait partout où il y avait des guerres.

Enfin, plus ou moins.

En réalité, elle allait là où il n’y avait pas la guerre. Elle était déjà passée aux endroits où régnait la guerre.

On la connaissait peu, sauf dans les cercles où cela comptait vraiment. Rassemblez une demi-douzaine de correspondants de guerre dans un bar d’aéroport et, comme l’aiguille d’une boussole se tourne vers le Nord, la conversation s’orientera vers Murchison du New York Times, vers Van Home de Newsweek ,vers Anforth d’ ITN News .Les Correspondants de Guerre des correspondants de guerre.

Mais quand Murchison, Van Home et Anforth tombent nez à nez dans une cahute calcinée de tôle ondulée, à Beyrouth, en Afghanistan ou au Soudan, après avoir admiré leurs cicatrices respectives et vidé quelques verres, ils échangent des anecdotes admiratives sur Zuigiber la Rouquine, du National World Weekly .

« Ce torchon est nul, disait Murchison. Il ne sait pas ce qu’il a entre les mains. »

En fait, le National World Weeklyle savait parfaitement : il avait une correspondante de guerre. Simplement, il ignorait pourquoi, et ce qu’il devait en faire, maintenant.

Dans un numéro typique, le National World Weekly annonçait au monde que le visage de Jésus était apparu sur le pain d’un Big Mac acheté par un habitant de Des Moines, accompagné par une interprétation artistique dudit petit pain ; qu’on avait récemment vu Elvis travailler dans un Burger Lord de Des Moines ; qu’une ménagère de Des Moines avait été guérie de son cancer en écoutant des disques d'Elvis ; que les nombreux loups-garous qui infestent le Middle West descendent d’une valeureuse pionnière violée par le Bigfoot, ce Yéti des forêts américaines ; et qu'Elvis a été enlevé par des Extraterrestres Venus de l’Espace en 1976 parce que ce monde ne le méritait pas.

C’était ça, le National World Weekly. Il se vendait à quatre millions d’exemplaires par semaine et avait autant besoin d’un Correspondant de Guerre que d’une interview exclusive avec le Secrétaire Général des Nations Unies 17 .

Et donc, il donnait pas mal d’argent à Zuigiber la Rouquine pour qu’elle aille dénicher des guerres, et ne tenait aucun compte des énormes enveloppes mal dactylographiées qu’elle leur transmettait des quatre coins du globe à l’occasion, pour justifier ses notes de frais – en général très raisonnables.

Le journal estimait sa conduite parfaitement raisonnable ; de son point de vue, Zuigiber n’était pas une correspondante de guerre très performante, même si elle était la plus belle, ce qui comptait énormément au National World Weekly .Ses communiqués parlaient toujours de types qui se tiraient dessus, sans s’intéresser aux ramifications politiques et, plus grave, à l’Aspect Humain de la Situation.

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