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            – Allô.

            – Madame Kate Shapiro ?

            – Elle-même.

            – Société de surveillance Blue Watcher, nous venons de…

            – Mon alarme, oui, je suis désolée. Mon mari a dû changer le code sans m’en avertir. Pouvez-vous la faire cesser ?

            – Pas avant d’avoir procédé aux vérifications d’usage.

            Vloiiiiing ! Vloiiiiing ! Vloiiiiing !

            Si Romuald n’avait pu désactiver le système à distance, il avait néanmoins réussi à pénétrer dans le serveur de l’entreprise. Il avait subtilement modifié le numéro à contacter en cas de déclenchement de la sonnerie, remplaçant les portables de Kate et de Matthew par le seul numéro d’Emma. Il avait aussi réalisé une copie d’écran du dossier révélant les réponses aux trois questions secrètes nécessaires pour authentifier le correspondant et couper la sirène.

            – Dans quelle ville vos parents se sont-ils rencontrés ? demanda l’employé.

            Emma baissa les yeux pour lire les réponses que lui avait communiquées Romuald et qu’elle avait notées au stylo sur son poignet.

            – À Saint-Pétersbourg.

            – Quel était votre film préféré lorsque vous étiez enfant ?

            –  Les Aventures de Bernard et Bianca.

            – Comment s’appelait votre meilleure amie lorsque vous étiez étudiante ?

            – Joyce Wilkinson, répondit-elle sans hésiter.

            Instantanément, la sirène cessa de hurler.

            – Je vous remercie, madame Shapiro. À l’avenir, demandez à votre mari de vous prévenir en cas de changement de code.

            Emma raccrocha et essuya les perles de sueur sur son front. Elle s’avança vers la fenêtre, tout en restant dissimulée derrière le rideau. Aucun mouvement ne troublait Louisburg Park, mais cela risquait de ne pas durer.

            Que dirait-elle si un flic sonnait à la porte ? Ou si Matt ou Kate rentraient chez eux à l’improviste ? Elle refoula cette idée et décida de commencer son exploration.

            Sa colère envers Kate la motivait et avait eu comme premier bénéfice de la faire sortir de son état dépressif en lui donnant l’envie de se battre, pour elle, pour son avenir, pour Matthew…

            Emma ne savait pas très bien ce qu’elle cherchait. Une confirmation de l’infidélité de Kate ? Un indice qui pourrait la mettre sur la piste de l’identité du mystérieux inconnu ? En tout cas, elle devait aller au-delà des apparences. Fouiller dans l’inconscient de la maison : les placards, les armoires, les tiroirs, les ordinateurs, la cave…

            Le rez-de-chaussée était aménagé comme un loft avec un grand salon et une cuisine ouverte. Le chauffage diffusait une douce chaleur. La pièce était agréable, accueillante, familiale. Près du canapé, un beau sapin de Noël aux lumières clignotantes, sur le comptoir de la cuisine, des miettes de pain, un pot de confiture qu’on avait oublié de ranger, un dessin d’enfant à moitié colorié, le New York Timesdu jour ouvert au cahier Culture.

            Sur les murs et dans les cadres posés sur les étagères, on pouvait voir de nombreuses photos des membres de la famille dont des clichés en noir et blanc qui représentaient à coup sûr Kate enfant : une jolie petite fille blonde et sa mère autour d’un piano ou marchant main dans la main dans les rues d’une ville russe – sans doute Saint-Pétersbourg. Puis des clichés à la couleur passée : une frêle adolescente posant devant la Space Needle et plus tard une jeune étudiante presque diaphane en jean et sac à dos sur les pelouses qui s’étendaient devant le campanile de l’université de Berkeley. Un saut dans le temps faisait alors passer de l’étudiante timide à une jeune femme pleine d’assurance. C’était la Kate d’aujourd’hui, celle qu’elle avait aperçue, la chirurgienne sûre d’elle au physique avantageux, posant avec sa fille et son mari.

            Ces clichés soulevaient plusieurs questions, mais Emma réserva son analyse pour plus tard. Elle dégaina son téléphone et consacra trois minutes à fixer sur l’objectif toutes les photos affichées dans la pièce. Dans la cuisine, elle garda aussi une trace de l’emploi du temps hebdomadaire de Kate placardé sur un panneau de liège.

            Délaissant provisoirement le rez-de-chaussée jugé trop exposé, elle monta au premier étage.

            Il s’articulait autour d’une grande suite parentale à la décoration dépouillée, desservie par deux salles de bains et prolongée par un dressing, une chambre d’enfant et une pièce presque vide qui faisait office de bureau.

            La chambre du couple était envahie de livres posés à même le sol des deux côtés du lit. À gauche, des essais de philosophie ( Vie de saint Augustin, Lectures de Nietzsche…), à droite, des publications scientifiques ( Les Chirurgies de l’insuffisance cardiaque, Les Cardiopathies congénitales, Sang artificiel et cellules souches…). Pas difficile de deviner la place de chacun…

            Cette vision du lit conjugal raviva chez Emma les braises de la jalousie. Nerveuse, elle inspecta les étagères et fouilla les tiroirs de la commode. Dans l’un d’eux, elle trouva les passeports du couple. Elle ouvrit le premier : Matthew Shapiro, né le 3 juin 1968 à Bangor (Maine), puis le deuxième : Ekaterina Lyudmila Svatkovski, née le 6 mai 1975 à Saint-Pétersbourg (Russie).

            Kate est russe…

            Ça expliquait la blondeur, les yeux clairs, cette beauté froide et distante…

            Le bruit d’un moteur de voiture monta de la rue. Craignant un retour du couple, elle jeta un coup d’œil par la fenêtre – fausse alerte – avant de poursuivre ses investigations.

            Elle ne perdit pas de temps dans la salle de bains de Matthew, mais s’attarda dans celle de « madame ». Elle ouvrit les portes, les tiroirs et les compartiments de tous les meubles. L’élément principal – une étagère suspendue – débordait de produits de beauté : crèmes, lotions, maquillage. Dans la colonne en bois peint qui faisait office d’armoire à pharmacie, elle trouva des tubes en plastique dont elle parcourut les étiquettes (aspirine, paracétamol, ibuprofène), des flacons d’alcool à 70°, de sérum physiologique, d’eau oxygénée. Derrière les boîtes de pansements adhésifs et de compresses, elle fit une découverte plus inattendue. Des molécules aux noms complexes, mais familiers, qui étaient ceux d’antidépresseurs, d’anxiolytiques et de somnifères. Emma n’en crut pas ses yeux : Kate et elle fréquentaient les mêmes sulfureux « amis ». Pendant quelques secondes, elle en éprouva un étrange réconfort.

            Malgré les apparences, Kate n’était pas la femme épanouie et sereine qu’elle s’était imaginée. Elle était sans doute comme elle : tourmentée, anxieuse, peut-être vulnérable. Son mari était-il au courant du contenu de l’armoire à pharmacie ? Probablement pas, sinon la chirurgienne n’aurait pas rangé si soigneusement les tubes. Et puis Matthew n’avait pas l’air d’être le genre d’homme à aller fouiller dans les affaires de sa femme.

            Elle poursuivit son exploration en pénétrant dans la salle-penderie.

            Mon rêve…

            C’était le dressing parfait : vaste, épuré, raffiné et fonctionnel. Des portes coulissantes en bois clair alternaient avec des panneaux de verre et des façades en miroir qui agrandissaient encore l’espace.

            Avec une curiosité assumée, elle ouvrit méthodiquement chaque penderie, fouilla chaque armoire, inspecta chaque tiroir, souleva des piles de vêtements, examina des dizaines de paires de chaussures et de pièces de lingerie. Posés contre le mur, une échelle en bois sombre et un marchepied permettaient d’accéder aux espaces les plus hauts. Elle s’y hissa pour passer au crible le contenu de cette partie du dressing. Assez vite, elle mit la main sur un blouson de cuir plié et posé à plat sur la plus haute des étagères. C’était une veste de motard usée avec un col en mouton retourné. Le même genre de veste que portait l’« amant » de Kate ce matin ! Emma l’examina avec attention. Elle palpa la doublure. Dans l’une des poches à rabat, elle trouva un cliché délavé. C’était une photo de Kate, seins nus, qui devait remonter à une quinzaine d’années. La pose sexy et provocante d’une jeune femme d’à peine vingt ans qui fixait l’objectif avec une intensité rare. Emma retourna la photo à la recherche d’une indication, mais rien n’était inscrit au verso.

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