En s’entendant désigner sous le nom de Fantômas, en s’entendant menacer par les tchékistes, Fandor, une seconde, avait eu envie de crier de toutes ses forces :
— Je ne suis pas Fantômas ! et votre Trokoff est un traître !… Fantômas, c’est lui. La ruse est cousue de fil blanc.
Mais pouvait-il désarmer l’aveuglement farouche de ces hommes ?
L’essayer, c’était folie ! C’était crier miséricorde ! C’était s’abaisser à une supplication…
Et le journaliste, dans un sursaut d’énergie, décida :
— Je montrerai à Fantômas que Jérôme Fandor sait mourir comme il le saurait lui-même. Il ne faut point que moi, le pourchasseur de ce monstre, je lui donne le droit de me mépriser…
Les Russes, cependant de plus en plus passionnés, de plus en plus furieux, voulaient tirer une vengeance immédiate de celui qu’ils prenaient pour Fantômas.
L’un d’eux s’approcha du journaliste et, le défiant :
— Fantômas, tu as entendu ? tu as entendu que tu allais mourir ? Qu’as-tu à dire pour ta défense ?
Obstiné, Fandor ne répondit point.
— Fantômas, tu ne veux point parler ? tu prétends mourir anonyme, inconnu ? À ton gré !… Mais il est bon que nous ayons vu ton visage, que nous t’ayons connu vivant, pour être plus tranquilles quand nous t’aurons vu mort… Ta cagoule ? je t’en dépouille !…
Le Russe déjà levait le bras et s’apprêtait à arracher l’étoffe qui dissimulait les traits de Fandor, lorsque Trokoff s’élançait :
— Ne le touche pas ! dit-il ; ce misérable m’appartient ! N’insulte pas, frère, celui qui est et qui ne va plus être ! Nous sommes des juges, non des bourreaux…
Et, se tournant vers les conjurés, élevant la voix, Trokoff demandait :
— Avez-vous confiance en moi ?… Voulez-vous m’abandonner cet homme ? C’est de ma main qu’il doit recevoir le coup fatal. C’est de ma main qu’il doit périr : j’ai droit plus que vous sur sa vie : c’est moi qui l’ai attiré ici, qui vous ai mis en face de lui…
— Frère, nous sommes tes fidèles et ce que tu ordonneras, nous le ferons, s’écrièrent les tchékistes.
Trokoff se tourna vers Fandor et, le poing tendu :
— Réveille-toi, Fantômas, recueille-toi, tu vas expier bientôt…
Et, cette menace proférée, le chef conspirateur, d’un geste, entraîna ses séides et disparut avec eux…
— Trokoff va revenir, pensa Fandor. Allons. C’en est fait. Il a raison, je n’ai plus qu’à me recueillir, qu’à être brave !…
Mais, à peine le Russe eut-il refermé sur lui la porte de l’atelier que, soudain, à l’oreille de Fandor, une voix murmurait, haletante :
— Vite, vite, Fandor. Trokoff, vous l’avez deviné, c’est Vagualame ! c’est Fantômas… Coûte que coûte, il faut que nous nous en rendions maître !…
Le journaliste ne pouvait tourner la tête, mais il sentait qu’on coupait ses liens… quelques instants encore et il était libre. À côté de lui, surveillant ses premiers gestes avec une expression d’ardente sympathie, le journaliste aperçut alors,.. Naarboveck…
— Vous !
— Moi !… Fandor, je vous expliquerai… Tenez ! voilà un revolver !… Ah ! les bandits, eux aussi m’avaient pris, moi aussi ils m’ont condamné à mort, mais j’ai pu m’échapper… Tenez, il revient. Sus à Trokoff… vengeons-nous !…
On entendait, en effet, dans l’escalier, un pas lourd qui montait précipitamment. Trokoff allait réapparaître…
Affolé, encore sous le coup d’une abominable émotion, Fandor, serrant machinalement dans sa main le revolver que Naarboveck venait de lui passer, bondissait vers la porte de l’atelier, prêt à sauter sur l’homme qui, s’imaginant trouver un prisonnier ligoté, pénétrait dans la pièce, à coup sûr sans aucune méfiance…
Et Fandor soudain avait ce cri, à l’adresse de Naarboveck, qui, lui aussi, s’était embusqué de l’autre côté de la porte :
— Ne le tuez pas, si c’est Fantômas, c’est vivant qu’il faut avoir Fantômas !…
Mais Naarboveck n’eut point le temps de répondre…
La porte de l’atelier s’ouvrait, elle se rabattait sur le diplomate qui se trouvait ainsi, un instant, empêché de prendre part à la lutte…
Fandor, lui, s’élança, il saisit Trokoff à la gorge et roulant avec lui sur le sol, hurla :
— À moi, Naarboveck ! Fantômas ! Fantômas ! tu es pris ! Rends-toi…
L’étreinte de Fandor avait été si soudaine, si brusque, si inopinée, que Trokoff n’avait pu se défendre… Fandor et lui se débattaient, groupe terrible où les doigts s’entremêlaient, où les membres se nouaient, s’accrochaient.
Et déjà Naarboveck s’élançait, il empoignait Trokoff, hurlait :
— Tu vas mourir ! tu vas mourir !…
Toute cette lutte, cependant, ne durait que quelques secondes… Comme Fandor, ayant réussi à saisir les bras de Trokoff, pensait immobiliser le bandit, celui-ci parvint à se dégager, et le journaliste, stupéfait, entendit une voix familière qui criait :
— Sapristi ! fais donc attention, Fandor ! C’est Naarboveck qu’il faut prendre, hardi !…
Et puis soudain, l’atelier se retrouva plongé dans l’obscurité, une porte claquait, et Fandor ayant la sensation, cependant qu’il trébuchait, violemment repoussé par il ne savait qui au centre de l’atelier, qu’un homme s’enfuyait, hurlait :
— Il s’échappe ! il s’échappe !…
À ce moment, Fandor ne savait plus où il en était, ce qu’il disait, qui restait avec lui, qui venait de fuir…
Mais son ahurissement ne dura qu’une seconde, car la voix qu’il avait entendue au plus fort de la lutte, cette voix qui l’avait nommé, parlait encore, très calme, railleuse…
C’était la voix de Juve !… Elle disait :
— C’est embêtant ! les allumettes de la régie ne valent rien du tout !… Ah ! en voilà une qui se décide à prendre…
Et, à la vague clarté de l’allumette, Fandor, qui s’appuyait à la muraille, aperçut Trokoff, qui, tranquillement, s’approchait d’un meuble, y prenait un candélabre, allumait une bougie, puis se jetait dans un fauteuil en demandant :
— Mais enfin, pourquoi diable, Fandor, t’es-tu costumé en Fantômas ?… Pour un prisonnier militaire, ça n’est pas du tout convenable !…
Trokoff, qu’il avait pris pour Vagualame, pour Fantômas, qui tout à l’heure encore le menaçait de mort, c’était Juve ?
Fandor eut l’air si stupéfait, si ahuri, que Juve-Trokoff, le considérant toujours, reprit en souriant :
— Voyons, mon petit Fandor, tâche donc de rappeler un peu tes esprits et de me répondre clairement… veux-tu ?…
Mais le journaliste haletait :
— Vous ! Juve ! vous êtes Juve !…
Le policier haussait les épaules :
— Il y a des chances ! faisait-il… Enfin ! je vois qu’il faut que je parle le premier, parce que tu ne me semblés pas du tout en état de discourir, toi !… Bon ! écoute : je connais les Russes. Eux s’imaginent que je suis un de leur chef, Trokoff… Chef de conspirateurs, voilà en effet, ma dernière transformation !… Donc, j’ai appris ce soir, que ces imbéciles croyaient tenir Fantômas, ils étaient convoqués ici pour juger ce bandit… je les ai accompagnés en leur disant que c’était moi, Trokoff, qui les avais appelés. Tu saisis ?… Maintenant, reporte-toi au moment où tu nous as vu entrer… Sais-tu qu’attaché à ton poteau tu faisais une épatante figure de Fantômas ? une si épatante figure de Fantômas, que pendant quelques instants, moi, Juve, je me suis presque demandé si ce n’était pas véritablement le vrai Fantômas qui était en face de moi… Par bonheur, j’ai vu tes mains. On ne voyait que cela de toi, grâce à cette cagoule dont on t’avait affublé, et tu n’ignores pas que le dessin des veines sur les mains est absolument caractéristique pour chaque individu, au point qu’à Vienne, le service de l’anthropométrie est entièrement fondé sur ce principe !… Je me suis dit : « Ce Fantômas, c’est mon petit Fandor. » Je n’ai plus eu qu’une idée : faire filer mes Russes. Seulement, quand je suis revenu, vous m’avez sauté dessus, j’ai bien cru y passer… Bon Dieu ! si jamais tu avais tiré un coup de revolver, tu risquais fort de me tuer, moi, Juve, et, après cela, de tomber, toi, Fandor, victime de…