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— Et ce nom c’est… c’est le nom qu’on n’ose prononcer… Fantômas

— Ah ! fit Loubersac.

Les propos de Juve lui revenaient à l’esprit.

Mais bientôt la jalousie reprit le dessus.

Comédie que tout cela, pensa-t-il, et comédie grossière destinée à détourner mes soupçons. On veut amuser ma curiosité. La gaillarde se croit très forte. Elle ne sait pas à qui elle s’attaque.

Et pour en avoir le cœur net, il se leva, et, les yeux dans les yeux, il dit à brûle-pourpoint :

— Wilhelmine de Naarboveck ou Thérèse Auvernois, peu m’importe… Je veux la vérité vraie : oui ou non, avez-vous été la maîtresse du capitaine Brocq ?

Wilhelmine était devenue toute pâle. Un tremblement agita ses lèvres, blanches d’émotion.

Soudain, elle comprit l’incrédulité de l’homme auquel elle avait voué son cœur.

Un instant elle eut l’idée d’expliquer, d’expliquer encore, de vouloir convaincre et aussi de se justifier. Mais elle recula, découragée devant la gigantesque apparence de la tâche. Et puis, que lui importait, du moment qu’Henri n’avait pas confiance ? La jeune fille se contint :

— Vous m’insultez, dit-elle. Retirez ce que vous venez de dire. J’exige des excuses !…

— Je maintiens mon accusation, mademoiselle, jusqu’à ce que vous m’ayez fourni des preuves formelles.

La jeune fille s’était levée. Précipitamment elle se dirigeait vers la porte, descendit les marches de l’église et se jeta dans un fiacre qui passait.

— Adieu, monsieur, pour toujours.

Henri de Loubersac haussa les épaules.

Soudain, il tressaillit ; une silhouette, une ombre, se profila sous le porche de l’église : un être indéfinissable disparut en courant. Henri de Loubersac comprit qu’ils avaient été suivis, épiés.

27 – LES DEUX VINSON

Midi sonnait quand le caporal Vinson, enfermé au Cherche-Midi depuis son arrivée à Paris, entendit une clé grincer dans la serrure du cachot qu’il occupait.

Deux geôliers militaires l’interpellaient :

— Butler ! vous allez être transféré dans l’immeuble du Conseil de Guerre, où vous occuperez la cellule numéro vingt-sept. Notre prison n’est que pour les condamnés ; or, vous n’êtes qu’inculpé, vous ne pourriez y rester…

Tout cela importait peu au faux Butler. Mais l’infortuné caporal frémit d’émotion à l’idée d’être exposé, ne fût-ce qu’un instant, aux regards curieux de la foule.

— Allons-y !

Le caporal ne pouvait se décider à quitter l’ombre de son cachot. Enfin, il fit un effort, tendit ses poignets, accepta sans murmure les menottes et, se plaçant entre ses deux geôliers, quitta la prison.

La lumière du jour, le frappant brusquement au visage, lui fit cligner des yeux et, en arrivant sur le trottoir, le caporal esquissa un mouvement de recul, mais les gardiens l’entraînèrent.

Le pauvre caporal, un peu plus loin, poussa un soupir et se laissa aller de tout son long.

Ses gardiens le portèrent jusqu’à l’entrée de la cour du Conseil de Guerre. Quelques curieux, surpris de la pâleur du prisonnier voulurent suivre, mais les gardiens firent fermer la grande porte de la cour du Conseil communiquant avec la rue, et avant de mener Vinson dans sa cellule, ils assirent le malheureux toujours inanimé sur une chaise, dans la loge du concierge.

Le concierge offrit du vinaigre, on en frictionna les tempes du misérable. L’un des geôliers lui frappa dans les mains. Ce fut en vain : le prisonnier Butler ne donnait plus signe de vie.

— Ma foi, suggéra le concierge inquiet, vous feriez aussi bien de le transporter dans sa cellule et faire chercher le médecin de service. Ce serait plus prudent.

***

— Lieutenant Servin ?

— Mon commandant ?

— Puisque vous êtes substitut auprès du commissaire du gouvernement, et que me voilà redevenu commissaire au gouvernement, vous allez me donner un coup de main pour débrouiller toutes ces paperasses… Il est déjà onze heures et demie et je voudrais bien aller déjeuner…

Le lieutenant Servin sourit, et vivement apporta sur le bureau de son supérieur une pile de documents qu’il classa d’une main experte.

Ce supérieur, c’était le commandant Dumoulin, qui, une quinzaine de jours auparavant, remplissait encore les fonctions de sous-chef du Deuxième Bureau. Depuis quelques jours, Dumoulin avait pris possession de son nouveau poste et comptait se mettre paisiblement au courant des affaires dont s’occupait le Conseil.

Or, voici que la veille au soir il avait été avisé à son domicile, par une communication privée du Ministère, qu’un déserteur inculpé de trahison venait d’être arrêté et qu’il s’agissait du caporal Vinson. À la lecture de ce nom, le commandant Dumoulin avait bondi. L’affaire Vinson, mais c’était aussi l’affaire du capitaine Brocq, de la chanteuse Nichoune, du plan de mobilisation volé, du débouchoir de canon disparu.

Les prévisions du commandant Dumoulin soudain, se trouvaient bouleversées. Ce n’était plus le train-train habituel du Conseil, mais brusquement, pour son entrée en fonctions, le gros procès, la cause sensationnelle. Donc, après avoir fort mal dormi, le commandant était arrivé de bonne heure à son bureau pour travailler avec ses collaborateurs. Heureusement, il avait trouvé, parmi ses substituts, un jeune officier très au courant, zélé, le lieutenant Servin.

— Lieutenant, nous allons procéder sans plus attendre à l’interrogatoire du caporal Vinson. Faites-le demander, je vois sur le registre d’écrou qu’il occupe la cellule vingt-six…

— Pardon, mon commandant. Vinson, écroué ce matin à la prison du Cherche-Midi, doit être actuellement dans les bâtiments du Conseil, où il occupe la cellule vingt-sept.

— Vous faites erreur ; dans la cellule vingt-sept se trouve un individu nommé Butler.

— Oui, mon commandant, Butler, c’est Vinson…

— Je ne comprends pas. Vous devez faire une confusion, lieutenant. Le caporal Vinson a été arrêté hier à la gare Saint-Lazare. On l’a conduit ici et écroué dans la cellule vingt-six. l’en ai d’ailleurs été informé par une dépêche privée, à mon domicile…

— Mon commandant, le caporal Vinson, qui se cachait sous le nom de Butler, a été arrêté cette nuit, ou, pour mieux dire, ce matin, à la gare de Calais, comme il arrivait d’Angleterre. L’arrestation a été effectuée par l’inspecteur de la Sûreté Juve, qui a mené son prisonnier, vers six heures ce matin, au Cherche-Midi : c’est l’occupant de la cellule vingt-sept.

— Voyons, lieutenant, grogna le commandant, vous perdez la tête. Puisque Vinson a été arrêté hier à la gare Saint-Lazare, il est évident qu’on ne l’a pas arrêté cette nuit à Calais. Vinson et Butler, ça fait deux !…

— Je vous demande pardon, mon commandant, ça ne fait qu’un !

— Il suffit, lieutenant Servin. Faites-moi chercher le caporal Vinson qui occupe la cellule vingt-six.

— Bien, mon commandant !

***

— Approchez. Vous êtes bien le caporal Vinson ?

— Non, mon commandant.

— Êtes-vous le caporal Vinson, oui ou non ?

La même réponse, avec la même netteté, tomba des lèvres de l’inculpé :

— Non, mon commandant !

L’officier allait éclater, quand Servin dit à voix basse :

— Mon commandant, quelqu’un désire être reçu par vous, tout de suite.

Le commandant lut sur le bristol : « Juve, inspecteur de la Sûreté ».

— Que veut-il ? demanda le commissaire du gouvernement .

— Mais c’est ce policier qui a arrêté le caporal Vinson…

— Eh bien ! rugit Dumoulin dont l’exaspération s’accroissait, il arrive à pic, ce particulier-là ! faites entrer.

Une seconde après, Juve était dans le cabinet de Dumoulin, qu’il saluait d’un aimable sourire :

— Figurez-vous que cet animal, ajouta-t-il en regardant sévèrement l’inculpé, ne veut pas avouer son identité !…

Juve allait droit à l’officier et, sans regarder le militaire qui se trouvait à contre-jour :

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