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La Guêpe se releva, croisa les bras sur sa poitrine, puis regardant fièrement les hommes qui l’entouraient, qui la menaçaient de leurs faces hargneuses, elle déclara :

— C’est moi, oui, et après ?

— Après ? jura le Barbu, c’est infâme ce que tu as fait. Nous trahir, nous. Risquer de nous faire poisser tous par la police, d’en envoyer la moitié sur l’échafaud et l’autre moitié à la Nouvelle. Ah, Bébé a raison de le dire, puisque tu l’avoues, tu n’es qu’une garce, qu’une misérable. Mais, sois tranquille, ton affaire sera vite réglée.

— J’ai fait comme j’ai voulu, dit la Guêpe, il me plaisait à moi de sauver Juve, parce que sauver Juve c’était arracher Fandor à une mort certaine.

— Et qu’est-ce que cela peut te foutre ?

— Cela me fait, dit la Guêpe, que je tiens à la vie de Fandor.

— Parce que tu l’aimes, peut-être ?

— Parce que je l’aime, en effet.

Un gémissement étouffé s’éleva. Dans leur colère, dans leur rage, les apaches s’étaient bousculés, rapprochés de la Guêpe et ils avaient heurté l’infortuné blessé, le Bedeau qui gisait toujours à terre.

Son bandeau avait glissé de sa tête tuméfiée ; instinctivement la Guêpe voulut se pencher auprès du malade pour arranger son pansement. Mais, quelqu’un s’interposa entre elle et lui : Fleur-de-Rogue.

— Non, pas toi, hurla-t-elle, caponne, moucharde, tu es indigne de toucher à mon homme, et tout à l’heure il faudra bien qu’il m’accepte, qu’il me reprenne. Moi seule je le soignerai. Tu n’as plus rien à faire ici. On a soupé des mijaurées de ton espèce, des sucrées de ton genre, des crâneuses comme toi qui viennent faire leurs manigances au milieu de nous. Toi à qui l’on a jamais connu un amant, toi qui ne veut de personne parmi les aminches, allumeuse que tu es et propre à rien au bout du compte.

— Fleur-de-Rogue, hurla la Guêpe, tais-toi, tu ne sais pas ce que tu dis.

Mais Le Barbu avait empoigné la pierreuse par le bras, cependant que Mort-Subite repoussant la Guêpe en la frappant à l’épaule, l’envoyait à l’autre bout de la pièce.

— Assez jaspiné les femelles, hurla le Barbu, toi, Fleur-de-Rogue, fit-il, occupe-toi de ton homme et boucle ta babillarde. Quant à toi, la Guêpe, on a un compte à régler, le tien et c’est le dernier. Bouge pas de là, on va décider.

Immobile, la Guêpe ne bronchait pas, défiant tout le monde.

— Faut la crever, disait-il, la crever comme une chienne, comme une bête puante qu’elle est.

Mort-Subite, avec un sourire féroce, avait pris son revolver. Il en caressait la crosse, comme un amant caresserait sa bien-aimée, il vérifiait le contenu du barillet.

— Encore cinq pruneaux, murmura-t-il, de quoi la moucher de la belle façon.

Mais le Barbu s’interposait :

— Pas de rigolo, décida-t-il, ça fait du tapage, allons-y les copains, à coups de lingue.

Mort-Subite imitant le Barbu, prit dans sa poche le terrible couteau à la lame aiguisée dont l’acier scintilla dans la pénombre de la pièce. Mais Fleur-de-Rogue intervint :

— Pas ici, les copains, qu’est-ce que vous voulez que j’en fasse ? j’en ai bien assez d’un sur le point de crever, faudrait pas me coller un cadavre dans la carrée.

Le Barbu approuva :

— Fleur-de-Rogue a raison. Allons dehors.

Et du doigt il désignait le terrain vague qui s’étend entre la rue de la Liberté et la place du Danube.

La jeune fille impassible, écouta prononcer la terrible sentence, mais ne regarda même pas les deux seuls êtres, qui, parmi les apaches, ne s’étaient pas encore prononcés : Bec-de-Gaz et Œil-de-Bœuf.

— Que faire ? demanda Bec-de-Gaz.

— Que faire ? répondit Œil-de-Bœuf comme un écho.

Le Barbu s’adressa à la fleuriste :

— Allons, ouste, passe devant, fit-il, et ne cherche pas à te débiner, t’as joué, t’as perdu, faut payer.

La Guêpe ne bougea pas :

— Je ne vous reconnais pas comme juges, dit-elle.

— Crénom, jura le Barbu, j’aime pas beaucoup qu’on me défie, obéiras-tu, oui ou non ? La Guêpe, tu as perdu. Plus tu résisteras, plus ton châtiment sera terrible.

Et soudain les apaches s’arrêtèrent, interdits. Un homme venait d’entrer, drapé dans un grand manteau noir, le visage dissimulé derrière un loup, son grand chapeau de feutre abaissé sur le front :

— Fantômas, murmurait-on, le patron.

— Oui, Fantômas, déclara celui-ci d’une voix tonitruante, et je vous ai entendus, et je suis furieux. Toi, le Barbu, d’abord de quel droit te permets-tu de juger, de condamner, suis-je le maître, oui ou non ?

— Mais, tu n’étais pas là, Fantômas, et Bébé nous a donné des preuves.

— Rien à faire, cria Fantômas, quand on juge, il faut que je sois là et si quelqu’un doit prononcer une sentence c’est moi, moi seul. Dans la Bande des Ténébreux, j’ai seul le droit de punir et le devoir de châtier.

Fantômas se tourna vers la Guêpe, qui le regardait les yeux fous.

— Oh, fit-il, ne t’imagines pas, la Guêpe, que ma présence va te sauver, je sais que tu es coupable et ton châtiment sera terrible, plus terrible peut-être encore que celui qu’on voulait t’imposer. Mais ton heure n’est pas encore venue.

Ayant ainsi parlé, Fantômas montra l’infortuné Bedeau qui râlait toujours sur son matelas.

— Cet homme se meurt, déclara-t-il, il agonise. Dans une heure il ne sera plus si vous l’arrachez aux soins de la Guêpe. Qu’elle le sauve d’abord, nous verrons ensuite.

— Patron, dit Bébé, on voit bien que tu ne la connais pas. Si on la laisse libre, un quart d’heure seulement, la Guêpe va se débiner, nous ne la retrouverons plus.

Fantômas toisa le jeune apache :

— Qui t’a prié de parler, Bébé ? Quand on a des choses inutiles à dire, on la boucle. Tiens-toi-le pour dit. Je sais ce que je dois faire. D’abord, tu vas commencer par calter d’ici, et vivement. Toi aussi le Barbu, toi de même Mort-Subite. Triples crétins que vous êtes. Vous ignorez donc que la police est sur vos traces en ce moment, et que si vous ne vous éparpillez pas au plus tôt, elle va, en un facile coup de filet, mettre à l’ombre tous les agresseurs du marchand de cochons. Défilez-vous aux cinq cents diables et sans perdre une minute.

— Mais, hasarda Bec-de-Gaz, et la Guêpe ?

— La Guêpe ? fit Fantômas, elle est à moi et je la garde. Maintenant, il faut deux d’entre vous pour m’aider. Toi, Bec-de-Gaz, et toi, Œil-de-Bœuf. Vous allez rester là dans le voisinage. Surveillez les approches de la police. Vous savez siffler, ne manquez pas de le faire si les circonstances l’exigent. Quant à la Guêpe, elle va soigner le Bedeau. Dans une heure le malade sera sauvé ou mort, dans une heure, avec l’aide de Bec-de-Gaz et Œil-de-Bœuf, moi, Fantômas, j’emmènerai la Guêpe, et je vous jure, les copains, que vous serez satisfaits lorsque vous saurez ce qui lui arrive. Allez.

23 – LE REPAIRE

À sept heures du matin, dans la tiédeur de son lit, Juve qui avait commencé à dépouiller ses journaux et, naturellement, sursauté en lisant un premier reportage fait à la hâte et peu explicite relatif au meurtre du malheureux Célestin Labourette, meurtre inexpliqué, inexplicable, affirmait le journal, mais qui, cependant, entraînerait certainement d’importantes arrestations dans le monde de la pègre, car la police prévenue avait pu arriver à temps et arrêter un des auteurs du forfait.

Juve était encore en train de lire les détails du tragique récit lorsqu’au pied de son lit le téléphone se mit à carillonner. Il bondit sur l’appareil : c’était M. Havard qui appelait à l’aide le roi des policiers et le chargeait d’aller éclaircir ce que l’on appelait déjà « la tragique affaire des Lilas ».

— Je ne suis pas renseigné du tout, dit M. Havard, tout ce que je sais, c’est qu’il y a un meurtre et que l’on a arrêté quelqu’un. Allez donc voir de quoi il s’agit, Juve. Décidément le drame court la rue. Il faut en finir. Il faut, pour satisfaire l’opinion, que nous arrivions au moins à éclaircir l’un de ces mystères.

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