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— Ça y est. L’identification est absolue, le vrai Baraban et Fernand Ricard n’ont jamais fait qu’un seul et même personnage, je viens d’en acquérir la preuve.

Juve, en effet, avait comparé les mensurations du courtier en vins avec celles qu’il avait relevées au domicile de l’oncle Baraban, sur les vêtements et les chaussures retrouvés lors de la découverte du pseudo crime.

Cependant que Fandor se demandait à quoi on allait aboutir, Juve, de plus en plus impassible, s’installa dans un fauteuil et dit à Fernand Ricard :

— Maintenant, monsieur, veuillez vous expliquer. Je vous préviens qu’il me faut la vérité tout entière.

Le pauvre Fernand Ricard faisait peine à voir, tant il était anéanti. Le courtier en vins s’était recroquevillé sur lui-même, de grosses gouttes de sueur perlaient à son front, il jetait des yeux de bête traquée sur son entourage et considérait, navré, sa femme prostrée dans un fauteuil en face de lui.

Alice souffrait évidemment des menottes qui lui avaient été passées un peu brutalement, ses poignets se congestionnaient.

— Monsieur, articula d’une voix larmoyante Fernand Ricard, en s’adressant à Juve, ayez pitié de ma femme, je vous en supplie.

Et il lui désignait la malheureuse d’un air si triste, que le policier s’apitoya, en effet. Juve se leva :

— Je veux bien enlever les menottes de M me Ricard, à la condition, monsieur, que vous ne nous cachiez rien de ce que nous devons savoir.

— Je vous jure, déclara le courtier en vins, que vous aurez satisfaction.

Juve, aussitôt, libérait la malheureuse femme dont les yeux s’emplissaient de larmes. Fandor pensait :

« Ils n’ont pas l’air bien méchants. On dirait des moutons qu’on mène à l’abattoir. »

Fernand Ricard jeta un regard reconnaissant sur Juve et d’une voix brisée, il commença :

— Eh bien, voilà, monsieur, toute l’affaire, elle est bien simple. Alice et moi, nous sommes de pauvres gens, je me donne du mal pour gagner notre existence et j’y parviens médiocrement. Néanmoins, nous avons, l’un et l’autre, soif de bien-être et soif de bien vivre. Quand on n’a pas d’argent, il faut avoir des idées, et j’ai songé à faire une combinaison que je vais vous expliquer. Vous savez comment procèdent souvent les compagnies d’assurances : on assure une personne quelconque pour une somme déterminée, et lorsque cette personne vient à décéder, celui qui paie la prime touche le bénéfice de l’assurance. J’ai imaginé de créer de toutes pièces un personnage, un parent que, dès le premier jour de sa naissance, j’ai condamné à mort. C’était l’oncle Baraban. Monsieur Juve, l’oncle Baraban n’a jamais existé, ou pour mieux dire, il n’a existé que sous ma personnalité. Un beau jour, j’ai été trouver la compagnie d’assurances et je lui ai dit : « Je veux souscrire une assurance sur la vie pour mon oncle, M. Baraban, qui demeure, 22, rue Richer. J’en veux pour cent mille francs et je paierai les primes, à condition qu’à la mort de mon oncle, ce capital me soit versé. » On m’a répondu : « C’est une affaire entendue », et, pendant trois années consécutives, je me suis saigné à blanc pour effectuer les versements auxquels je m’étais engagé. J’avais mon plan tout bâti dans ma tête. L’oncle Baraban allait disparaître un jour, et pour que cela soit vraisemblable, il fallait le faire connaître à diverses personnes. J’ai donc loué à Paris, sous ce nom, le petit appartement que vous connaissez, rue Richer. Je m’étais entre-temps entraîné à me faire une tête de vieillard avec des cheveux blancs et des favoris. J’avais appris l’allure d’un homme d’âge et je finissais par marcher comme eux à volonté. Je n’ai pas tardé à être connu dans le quartier. Je voulais faire passer l’oncle Baraban pour un fêtard, car, lorsque les fêtards sont assassinés, on ne retrouve jamais leur meurtrier, de même qu’on ne retrouve jamais les assassins des demi-mondaines. Les uns et les autres vont dans de tels milieux, que tout peut arriver. Il fallait que je fasse la noce, pour bien camper mon personnage. Tromper ma femme, faire la noce tout seul, monsieur ? Non, je ne le voulais pas, et alors, il m’est venu l’idée de faire passer Alice pour la maîtresse de son oncle, et c’est ainsi qu’on nous a rencontrés dans les restaurants de nuit. Nous nous sommes même amusés quelquefois à aller coucher au Nocturn-Hôtel, comme des amoureux de rencontre.

Un éclat de rire retentissait, interrompant le récit de Fernand Ricard. C’était Fandor qui s’esclaffait. Le journaliste s’amusait prodigieusement.

— C’est un vrai roman, ne put-il s’empêcher de dire, et j’en ferai vingt mille lignes, quand j’aurai le temps.

Mais Juve, sévèrement, toisait Fandor :

— Tais-toi ! fit-il.

Et, se tournant vers Fernand Ricard, il l’invita à continuer :

— J’ai compris, fit le policier, arrivons-en à la mise en scène du crime.

Fernand Ricard rougit :

— Voilà, avoua-t-il, où l’histoire a commencé à devenir mauvaise pour nous. Nous avions tout combiné pour faire croire que l’oncle Baraban avait été assassiné chez lui, puis que son cadavre avait été emporté par les meurtriers. C’est pour cela que, dans l’après-midi, j’avais fait livrer une grande malle jaune, que nous avons démolie rue Richer et dont Alice avait emporté les morceaux dans sa valise.

« Il fallait innocenter Alice de tout soupçon et bien faire comprendre à la police que nous étions partis l’un et l’autre pour Vernon à onze heures quarante-cinq, alors que l’oncle Baraban ne pouvait avoir été assassiné qu’à partir de minuit, puisque la concierge avait affirmé qu’il était rentré chez lui à cette heure-là.

— Je sais ce que vous avez fait, interrompit Juve. En quittant la rue Richer à onze heures du soir, vous vous êtes servi d’un timbre et vous avez sonné les douze coups de minuit alors qu’il n’était en réalité que onze heures.

— C’est exact, fit Fernand Ricard. Mais comment le savez-vous ?

— Peu importe. Et les taches de sang de l’appartement ?

— C’est de mon sang à moi, déclara Fernand Ricard qui ajouta : Si ces menottes ne m’interdisaient pas tout mouvement, je retrousserais ma manche, et vous verriez que je porte au coude une cicatrice. Je me suis ouvert une veine exprès.

— Décidément, constata Juve ironiquement, vous avez pensé à tout.

— Ma foi, c’est vrai, reconnut naïvement Fernand Ricard. Vous savez, lorsque l’on combine quelque chose pendant trois ans, qu’on y pense sans interruption pour ainsi dire, il est bien rare qu’on laisse quelque chose au hasard.

— Cependant, intervint Fandor, qui se pinçait les mains pour ne pas applaudir à l’ingéniosité de cet escroc, cela ne vous a pas réussi ?

— Ah, fit Ricard, nous n’avons pas eu de chance. Des complications sont survenues que nous ne pouvions prévoir. D’abord, ça été la maladroite intervention de cet imbécile de Théodore Gauvin, qui s’est fait arrêter et inculper d’avoir assassiné l’oncle Baraban. Puis il y a eu autre chose.

Le visage de Fernand Ricard, soudain, devint grave, et Alice qui écoutait ce récit sans broncher, tressaillit dans son fauteuil.

— Et quoi donc ? interrogèrent Juve et Fandor.

D’une voix toute tremblante d’émotion, Fernand Ricard poursuivit :

— La malle verte et l’homme mystérieux.

— Fantômas, dit Juve.

Fernand Ricard eut pour le policier un long regard étonné.

— Ah ça, questionnait-il, vous savez donc tout ?

— Pas tout, fit Juve, certaines choses. Continuez.

— Oui, poursuivit le courtier en vins, Fantômas est intervenu dès lors dans nos affaires. Une première fois, il est venu nous rendre visite pour dire : « Part à deux, moitié, dans les cent mille francs de l’oncle. »

— Vous avez accepté ?

— Nous avons refusé, nous croyions que c’était quelqu’un de la police. Mais alors, Fantômas nous menace et nous dit : « Je vais vous perdre. » En effet, nous ne savons ni pourquoi, ni comment, tout d’un coup, la police arrive chez nous, on trouve dans la cheminée de la rue Richer du sable provenant de notre jardin et, dans ce sable, un mouchoir appartenant à Alice, rempli de sang. Tout cela avait été mis là par Fantômas qui voulait nous compromettre. Pour comble de malheur, M. Havard fait fouiller notre puits et il retrouve la serrure de la malle jaune que, par prudence, nous avions détruite et fait brûler dans notre fourneau. Quant à la malle verte, Fantômas nous l’a avoué, c’est lui qui l’a fait découvrir après l’avoir envoyée à Brigitte, alors qu’il avait dans l’idée de faire arrêter cette malheureuse. Nous sommes arrêtés nous-mêmes. Mais Fantômas se doute bien que nous pourrons nous innocenter, et alors, il nous compromet plus encore, en réapparaissant, déguisé en oncle Baraban. Nous sommes obligés de le reconnaître pour notre parent, et cette fois, il est certain que c’est lui qui va toucher, non pas l’assurance, puisque sa réapparition remet l’affaire en question, mais bien les deux cent mille francs gagnés par le billet de la loterie que j’avais pris sous le nom de l’oncle Baraban et confié au notaire Gauvin.

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