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— Ah, que c’est ennuyeux.

— Pourquoi donc ?

— Oh, c’est ennuyeux sans l’être. Alice n’a rien à se reprocher, ni moi non plus, d’ailleurs. Mais enfin, vous connaissez les dames, ça bavarde toujours maladroitement. Ça raconte un tas de choses inutiles, et j’aurais mieux aimé que ce soit moi à qui M. Juve vienne demander des renseignements.

— Juve peut-être sera à sept heures à Paris, ce soir même. Attendez-le donc.

— Je ne peux pas, j’ai promis de rentrer, il faut que je rentre. Songez donc, Alice doit se faire de la bile, à l’idée que je ne suis pas là. Moi, je prends le train de quatre heures, zut pour le reste !

Et il se dirigea vers la porte :

— Drôle de type, pensait Fandor, assez interloqué par l’attitude du courtier en vins. Voyons, dit-il, deux mots encore pour l’interview.

— Qu’est-ce que vous voulez savoir ?

— Dame, dit Fandor, des détails. Quelques renseignements sur votre oncle, M. Baraban. Quelle sorte d’homme était-ce ?

— Quelle sorte ? Je n’en sais rien moi, un homme comme les autres. Il avait cinquante-cinq ans environ. Soixante peut-être. Un brave type, pour ça oui, et n’engendrant pas la mélancolie. Il savait rigoler et levait le coude plus souvent qu’à son tour.

— Ah, ah, remarqua Fandor, vous faisiez la noce ensemble ?

— Jamais de la vie, monsieur ! Je suis un homme rangé, marié, moi, mais l’oncle Baraban était célibataire, et dame, vous savez, les célibataires s’en payent tant qu’ils peuvent. Le vieux Baraban n’avait certainement pas encore dételé. Ça, c’est écrit sur la figure des gens. Ça se voit à leur manière, à leurs vêtements. Baraban toujours élégant, toujours parfumé, tiré à quatre épingles, devait apprécier les jolies femmes. Assez aisé avec cela.

— Il était riche ? interrogea Fandor qui ajoutait clignant de l’œil : c’est une consolation. Vous allez hériter !

— Heu, je ne sais pas, ce n’est pas l’heure de s’occuper de ça. En tout cas, nous ne toucherons pas grand-chose, le vieux était égoïste, il a dû fourrer tous ses biens en viager. Trois heures et demie, s’écria-t-il, il faut que je parte. Au revoir, monsieur.

Cependant qu’il descendait l’escalier à pas précipités, Ricard cria à Fandor :

— Si vous tartinez quelque chose dans votre journal vous pourrez dire que je suis furieux contre la police. Franchement, ils auraient pu donner des ordres pour qu’on me laisse entrer dans l’appartement de mon oncle. Je sais bien que cela ne servait à rien, mais enfin c’est une satisfaction qu’on ne devrait pas refuser aux personnes de la famille.

— Comptez sur moi.

— Et puis, vous savez, quand toutes ces histoires-là seront finies, je reviendrai vous voir. On causera de cette affaire de vin. Occasion épatante en ce moment. Vous m’avez l’air d’un bon garçon, je vous en ferai profiter.

Déjà Fernand Ricard s’éloignait à grands pas, courait dans la direction de la gare Saint-Lazare.

Au moment où il sortait de la maison de la rue Richer, le courtier en vins se heurta à un grand jeune homme au visage bouleversé qui demandait à la concierge, d’une voix tremblante :

— Monsieur Fandor est-il chez lui ?

— Je ne l’ai pas vu sortir, répondit la brave femme qui ne voulait pas compromettre son locataire et n’affirmait rien.

Le grand jeune homme au visage bouleversé trouva la réponse suffisamment rassurante et s’engagea dans l’escalier, monta les quatre étages. Quelques instants plus tard, il était en face de Fandor qui s’écriait en le voyant :

— Jacques Faramont ! Ah, par exemple, quelle surprise ! Quel bon vent vous amène ?

— Quel bon vent ? dites plutôt quel cataclysme, quelle tempête ! Vous voyez devant vous, mon cher Fandor, un malheureux bouleversé, atterré…

— Je ne m’en doutais pas du tout, fit joyeusement le journaliste, cependant qu’il désignait un siège à son visiteur. (Décidément, pensait Fandor, j’ai bien fait de ne pas sortir de chez moi, je fais recette, ça ne désemplit pas).

— J’ai quelque chose de très grave à vous dire, Fandor.

— À quel sujet ?

— Au sujet de l’affaire Baraban.

— Eh bien, mon cher ami, je vous écoute.

Jacques Faramont fit au journaliste le récit détaillé de son existence et de celle de sa maîtresse, depuis l’époque où le jeune avocat s’était installé chez lui, rue Claude-Bernard, et s’était, pour ainsi dire, mis en ménage avec la jeune femme dont il avait fait la connaissance lorsqu’elle était domestique chez son oncle et sa tante, M. et M me de Keyrolles.

« Pourquoi diable me raconte-t-il tout cela, se demandait Fandor et quel rapport l’histoire de ses amours avec la bonne peut-elle avoir avec l’affaire Baraban ? »

— Brigitte a été femme de ménage, expliquait le jeune avocat, il y a de cela quatre ou cinq mois chez M. Baraban. Elle l’a quitté, emportant, par erreur, cette clé dont la disparition avait été signalée par la concierge au cours des premières enquêtes, et qui faisait suspecter la personne qui devait l’avoir conservée. La nuit du crime, Brigitte avait découché. Où ? Pour quoi faire ? Allez savoir.

— Elle prétend, continuait-il, avoir erré toute la nuit, puis sommeillé sous un pont. Vous pensez comme cela est suspect. Tout d’abord j’ai cru qu’elle m’avait trompé, mais j’ai peur désormais qu’il n’y ait quelque chose de plus grave.

— En effet, déclara Fandor, c’est bizarre.

Jacques Faramont devait troubler encore plus le journaliste lorsqu’il lui montra la lettre d’avis du chemin de fer adressée à Brigitte et signalant qu’un colis l’attendait à la gare d’Orléans, expédié par un individu portant le nom de Baraban.

À deux ou trois reprises, Jacques Faramont avait déjà voulu s’en aller. Fandor l’avait retenu.

Il avait téléphoné chez Juve, espérant que celui-ci aurait devancé l’heure de son retour. Le policier n’était pas là, mais on l’attendait d’un moment à l’autre.

Enfin, vers sept heures moins le quart, Fandor eut l’extrême satisfaction d’entendre la voix sympathique de l’inspecteur de la Sûreté qui répondait à l’autre bout du fil :

— J’ai du nouveau, lui déclara-t-il, je vous attends chez moi.

— Moi également. Et tu sais Fandor, l’hypothèse de la fugue se confirme de plus en plus dans mon esprit.

— Eh bien moi, j’aime à croire qu’avant ce soir, nous aurons retrouvé le cadavre de l’oncle Baraban, mort malheureusement et bien mort.

Fandor se rendait compte que Juve allait poser d’autres questions, mais il se fit un malin plaisir d’interrompre la conversation.

Jacques Faramont était devenu livide :

— Fandor, supplia-t-il, dites-moi ce que vous pensez. Expliquez-moi le sens des propos que vous venez de tenir à Juve ?

— Oh, c’est bien simple, fit le journaliste, et je vais vous dire nettement ce que je crois. Le colis de cent dix kilos, qui attend que M lle Brigitte vienne le chercher à la gare des marchandises du chemin de fer d’Orléans, doit être une malle, vraisemblablement une malle jaune, cette fameuse malle dont on a parlé et que M. Baraban avait fait apporter chez lui l’après-midi qui a précédé la nuit du crime. Que peut contenir cette malle ? Je n’en sais rien, mais je ne serais pas autrement étonné qu’on y retrouve un cadavre, un cadavre qui ne serait autre que celui de M. Baraban.

— Mon Dieu, Fandor, murmura l’avocat, vous m’épouvantez ! Qu’a-t-il pu se passer ? Quel rôle a joué Brigitte dans cette sinistre affaire ?

***

Cette même soirée, il était environ neuf heures et demie, trois hommes pataugeaient dans la boue grasse des interminables hangars qui longent la Seine sur le quai d’Austerlitz. C’étaient Juve, Fandor et Jacques Faramont.

Tous les trois s’étaient présentés à la gare des marchandises de la Compagnie d’Orléans et, porteurs de la lettre d’avis destinée à Brigitte, ils s’étaient trouvés renvoyés de bureau en bureau, avant de savoir où pouvait se trouver le colis. Un employé avait constaté, chose assez curieuse, que l’expédition avait été faite de Paris pour Paris. Vraisemblablement, ce colis avait dû être déposé à la consigne, expédié, puis réclamé ensuite par l’expéditeur. On allait évidemment le retrouver sur le quai du bâtiment B.

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