— Partons-nous ? insistait Michel, qui, désormais, semblait avoir grande hâte de s’en aller.
Pour la seconde fois, le chef de la Sûreté gagnait le seuil de la porte.
Cette fois, il le franchissait et, s’étant incliné à nouveau devant M me Drapier ainsi que ses subordonnés, il quitta l’appartement.
Lorsque les trois hommes furent dans l’escalier, séparés par deux étages de l’appartement de M. Léon Drapier, Havard questionna Michel :
— Qu’avez-vous donc remarqué ? lui demanda-t-il.
— Ceci, chef ! fit l’inspecteur. Les cachets rouges portent bien l’initiale de M. Cheminal, c’est-à-dire un C, mais j’ai l’habitude de la signature de ce magistrat et il me semble que le C des cachets diffère légèrement du C qui constitue l’amorce de la signature habituelle de M. le juge d’instruction.
Havard sursauta :
— Oh ! Michel ! mais c’est très grave, ce que vous dites là ! Cela tendrait à supposer qu’on a enlevé les scellés puis qu’on les a remis en faisant un faux cachet !
— C’est bien ce que je me demande, poursuivit Michel, mais je n’ose l’affirmer, et c’est pour cela que je n’ai rien voulu dire devant M me Drapier.
Les trois hommes descendaient silencieusement, ils se faisaient ouvrir la porte de la rue. Lorsqu’ils se retrouvèrent dans une voie déserte à cette heure tardive, ils s’arrêtèrent encore au milieu de la chaussée pour conférer de leur démarche.
— Cette affaire, articula M. Havard, est de plus en plus étrange. J’ai beau essayer d’y comprendre quelque chose, je n’y parviens guère. Il est vrai, ajouta-t-il, pour s’excuser de son impuissance, que j’ai tellement d’affaires à suivre qu’il m’est impossible de les connaître toutes à fond !
— Évidemment, reconnut Léon.
Michel articula lentement :
— Nous-mêmes, nous sommes peu au courant… n’ayant pas suivi les opérations à leur début. Il faudrait, sur cette piste mystérieuse, quelqu’un accoutumé aux enquêtes les plus compliquées, quelqu’un comme…
M. Havard coupait la parole à son inspecteur.
— Je vois, s’écria-t-il, qui vous voulez dire. D’après vous, seul Juve pourrait tirer au clair cette histoire compliquée ?
Et, d’un commun accord, Léon et Michel approuvaient la suggestion de leur chef.
— Seul Juve, en effet, disaient-ils, est capable de faire la lumière !
Il était quatre heures du matin, M me Drapier ne dormait pas ou, pour mieux dire, ne dormait plus.
Depuis la visite du chef de la Sûreté et de ses inspecteurs, la malheureuse femme était plus encore alarmée que précédemment.
Elle avait été considérablement troublée en apprenant que son mari avait donné rendez-vous au chef de la Sûreté et qu’il était parti.
— Ce départ, pensait-elle, a tout l’air d’une fuite ! Or, il n’y a que les coupables qui s’enfuient !…
Une autre chose avait également terrifié M me Drapier, c’était l’examen minutieux auquel s’était livré l’inspecteur Michel, accroupi devant le petit coffre-fort.
Eugénie Drapier, sans en être absolument sûre, avait eu le pressentiment que, quelques jours auparavant, son mari, d’accord avec le détective Mix, avait fait dans le cabinet de travail quelque chose d’irrégulier et de pas correct.
Elle se souvenait être entrée dans cette pièce et, à ce moment, les deux hommes, qui s’y trouvaient depuis longtemps, s’étaient brusquement arrêtés dans un travail auquel ils se livraient.
M me Drapier avait alors senti dans la pièce une odeur très précise, celle de la cire que l’on vient de brûler.
Elle n’y avait alors point prêté attention à ce moment-là, elle n’avait tiré de ce détail aucune conclusion, mais voici qu’en constatant l’examen auquel se livrait l’inspecteur de police elle s’était soudainement demandé si l’on n’avait pas modifié quelque chose aux scellés apposés par le juge d’instruction sur certains meubles du cabinet de travail quelques heures après la découverte de l’assassinat du valet de chambre Firmain.
M me Drapier en était là de ses réflexions lorsqu’elle sursauta.
Le grand silence de la nuit venait d’être troublé par un léger craquement qui se produisait dans le cabinet de toilette attenant à la chambre à coucher de M me Drapier.
La malheureuse femme sentit son cœur battre et s’arrêter soudain.
Qu’arrivait-il encore ? Quel était ce nouveau mystère ?
Un drame inattendu allait-il se produire ?
M me Drapier prêtait l’oreille, écoutait encore ; elle ne perçut plus rien.
— Je deviens folle ! se dit-elle en prenant sa tête à deux mains pour comprimer la brûlure de son front, auquel perlaient des gouttes de sueur froide.
Mais elle sursauta de nouveau.
Des craquements plus précis, plus nets se faisaient encore entendre.
— Oh ! cette fois, cette fois, balbutia-t-elle, je suis sûre de ne pas me tromper…
Elle s’avança lentement, plus légère qu’une ombre, le tapis de sa chambre étouffait le bruit de ses pas.
Elle avait éteint la lumière de la pièce dans laquelle elle se trouvait, et cela depuis quelques instants, au moment où elle avait voulu, terrassée par la fatigue, s’assoupir dans son fauteuil. De ce fait, sa chambre était plongée dans l’obscurité.
M me Drapier s’approcha de la porte donnant dans le cabinet de toilette et constata avec une surprise effrayée que l’ampoule électrique était allumée dans cette pièce.
Par l’entrebâillement de la porte elle regarda, et elle vit, tournant le dos à cette porte, un homme, le dos courbé, qui brossait avec un soin extrême le bas de son pantalon et ses chaussures couvertes de poussière.
Il y avait à côté de lui, sur la table de toilette, une cuvette remplie d’eau.
— Mon mari ! articula tout bas M me Drapier.
C’était en effet le directeur de la Monnaie qui se trouvait là.
Comment donc était-il rentré sans que sa femme l’ait entendu ?
Une seule hypothèse était possible : Léon Drapier était revenu chez lui par l’escalier de service.
Mais pourquoi ?
Après s’être brossé, Léon Drapier se rapprocha du lavabo et se disposait à plonger ses mains dans l’eau préparée. M me Drapier, qui ne perdait pas un seul de ces gestes, poussa un cri d’épouvante.
Les mains de son mari étaient couvertes de sang !…
Drapier cependant, ayant pris le savon et la brosse, se lavait les mains avec autant de précaution et de minutie qu’il en avait mis à enlever la poussière de ses chaussures et de ses vêtements.
Eugénie Drapier crut qu’elle allait défaillir à la vue du spectacle qui la terrifiait.
— Mon Dieu ! mon Dieu ! songea-t-elle, d’où vient Léon ? Qu’a-t-il bien pu faire ? D’où vient cette poussière sur ses vêtements ? Pourquoi ce sang répandu sur ses mains ?
Involontairement, M me Drapier s’appuyait sur la porte du cabinet de toilette et celle-ci grinça sur ses gonds.
Alors, brusquement, tout d’une pièce, Léon Drapier se retourna.
Son visage prit une expression effrayante et féroce.
Le directeur de la Monnaie, après avoir mis brusquement la main à la poche, en sortit son revolver et se précipita dans la direction de la chambre à coucher plongée dans l’ombre.
— Léon ! Léon ! s’écria Eugénie Drapier en s’effondrant sur le sol, grâce ! Ne me tue pas !… C’est moi !…
XXI
Sacrifice d’épouse…
Eugénie Drapier reculait effrayée. Son mari, qui s’était interrompu de se laver les mains, s’avança vers elle, d’un air hagard.
Eugénie Drapier s’était reculée dans sa chambre à coucher, elle se laissa choir sur un canapé et, au paroxysme de l’émotion, elle articula, devenue livide :