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— Qu’est-ce que vous voulez ? demanda Paulette au nouveau venu.

Celui-ci souriait aimablement, il avait l’air élégant, distingué, cossu, des yeux noirs brillaient dans son visage, qu’encadrait une grande barbe poivre et sel.

— Je veux vous voir, vous regarder, jolie Paulette, et vous dire aussi les tendres sentiments que vous m’inspirez !

— Zut alors ! fit la demi-mondaine, maussade, je crois que c’est pas le moment ! La police sort d’ici… j’ai plein d’embêtements !

— Vraiment ? fit le personnage, subitement intéressé, ne pourrais-je pas vous aider ?

— Qui c’est que vous êtes ? demanda Paulette.

— Un homme, ma chère enfant, qui s’intéresse à vous et qui ne manque pas de relations, bien au contraire ! Dites-moi ce qui s’est passé exactement avec le policier qui sort d’ici. Racontez-moi ce que vous lui avez dit.

Et l’homme ajoutait à part :

— Je saurai peut-être de la sorte ce qu’il convient de faire !

Paulette, qui, depuis qu’elle avait appris la mort de ce Firmain, était complètement désorientée, incapable, semblait-il, d’avoir la moindre volonté, d’une voix larmoyante raconta sans omettre un détail la conversation qu’elle venait d’avoir avec Juve.

Elle était si absorbée dans son récit qu’elle ne se rendait point compte de l’impression fâcheuse que celui-ci produisait sur le visiteur.

De temps à autre celui-ci grommelait à part :

— Mais c’est stupide ! idiot ! Mais les aveux de cette femme, déclarant que Léon Drapier a passé la nuit chez elle et qu’il était ici à l’heure du crime, innocentent complètement Léon Drapier ! Ah ! nom d’un chien ! serais-je arrivé trop tard ? Et va-t-il falloir recommencer ?

L’homme semblait animé d’une colère contenue.

— Ce Firmain, quels rapports aviez-vous avec lui ? Pourquoi lui avez-vous donné ces faux certificats ?

Paulette, torturée par toutes ces questions, et s’imaginant avoir affaire encore à un policier, se tordait les bras en sanglotant.

— Est-ce que je sais, moi ! J’ai cru bien faire !

L’homme questionnait comme Juve avait fait précédemment :

— Voyons, c’était votre amant ?

— Mais non ! non ! et non ! hurla, désespérée, Paulette de Valmondois. J’ai pas pu le dire à l’autre qui m’a bourré le crâne avec toutes ses questions, mais la chose est pourtant facile à comprendre, puisque Firmain, c’était mon frangin !… Là ! quoi !… Ça vous entre-t-il dans la caboche, maintenant ?

Mais tout d’un coup Paulette reculait terrifiée.

L’expression de son interlocuteur était devenue farouche. L’homme s’avançait menaçant vers la demi-mondaine…

Il sortit de sa poche un revolver, le braqua sur la jeune femme.

— Paulette, articula-t-il, écoutez bien les ordres que je vais vous donner !… Il faudra les exécuter sans oublier le moindre détail ! Sans quoi à la première défaillance, à la première faute, je t’abattrai comme une chienne ! Entends-tu bien ?

Un cri rauque retentit…

Assurément l’interlocuteur de Paulette ne s’attendait pas à une semblable attitude de la part de la jeune femme !

Celle-ci, à la vue du revolver qu’on braquait sur elle, au lieu de reculer, de s’immobiliser dans un angle de la pièce, avait foncé en avant, elle bousculait l’homme, puis bondissait hors du boudoir !

— Au secours ! au secours ! hurlait-elle éperdument…

Paulette traversait la salle à manger, elle arriva dans l’entrée, la porte s’ouvrait à ce moment, quelqu’un pénétra…

C’était Léon Drapier.

— Ah ! te voilà ! fit Paulette en se jetant dans ses bras, mais à sa grande surprise elle était repoussée par Léon Drapier.

— Misérable femme ! hurla celui-ci dont les yeux lançaient des éclairs, hein ! Tu ne m’attendais pas aussi tôt ? Tu croyais que je n’allais venir qu’à cinq heures, et que tu aurais le temps d’ici là de recevoir tes autres amants ? Ah ! quel être stupide j’ai été de croire à ton amour ! de croire à ta fidélité !… Parbleu ? je sais maintenant ce qu’il en est ! On a beau être bête et aveugle, on finit toujours par s’apercevoir de ces choses-là ! Je la connais, l’histoire de ton père ! Et je sais ce que cela signifie ! Ce père avait ton âge, et ils étaient plusieurs ! Et ils te donnaient de l’argent pour tes baisers ! C’étaient des amants que tu recevais, avec qui tu te moquais de moi. Tiens, je ne sais pas ce qui me retient…

Il levait la main sur Paulette, à demi folle d’épouvante, terrifiée par ce qui venait de se passer, abasourdie par ce qu’elle entendait, ne pouvant proférer une parole.

Elle était semblable à la bête traquée que les chasseurs cernent de tous les côtés, et ce n’était certes pas sur l’appui de la petite Normande qu’elle pouvait compter !

La jeune bonne, en entendant des altercations, s’était enfermée dans la cuisine et traînait le buffet et les chaises devant la porte, terrifiée, ne songeant qu’à une chose, c’était à ne point sortir de cette pièce qui, seule, croyait-elle, lui assurait la sécurité !

— Léon ! balbutia enfin Paulette de Valmondois, je te jure que Firmain n’était pas mon amant et que si j’ai donné des certificats… c’était pour faire plaisir à mon frère, mais je ne savais pas qu’il allait aller se placer chez toi !

« Ah mon Dieu ! dire qu’il est mort assassiné !…

C’était au tour de Drapier de rester abasourdi en entendant les propos que tenait sa maîtresse. Il commençait à comprendre et recueillant, bribe par bribe, les renseignements sur ces étranges aventures qui se produisaient depuis quelques jours, il parvenait à les ordonner ensemble, à en faire un tout.

Léon Drapier, en effet, se rendait compte que, par un extraordinaire hasard de circonstances, c’était précisément chez lui qu’était venu se placer un certain valet de chambre pour lequel sa maîtresse avait rédigé des certificats. Or, voici qu’il apprenait maintenant que ce valet de chambre n’était autre que le frère de Paulette !

Quelle épouvantable histoire !

Quelle extraordinaire aventure !

Mais l’inquiétude, toutefois, troublait Léon Drapier plus que tout le reste.

— Pourvu, se disait-il, que ma femme ne sache jamais ce qui s’est passé et que tante Denise ne soit jamais au courant !…

Car le directeur de la Monnaie entrevoyait que, non seulement sa femme demanderait le divorce, mais qu’en outre sa tante, la prude et chaste Denise, ne manquerait point de le déshériter si elle était au courant du moindre incident !

La colère égoïste de Léon Drapier allait se manifester par des exclamations violentes contre Paulette mais celle-ci les prévenait par une supplication.

— Léon Drapier ! Léon ! Léon ! fit-elle, protège-moi ! Sauve-moi ! il y a un homme dans mon boudoir, un homme avec un revolver qui a voulu m’assassiner ! C’est un policier, j’en suis sûre ! Il est encore là, empêche-le de me faire du mal !…

Léon Drapier haussait les épaules.

— Allons donc ! fit-il des histoires, pour détourner la conversation ! Depuis quand les gens de la police se font-ils meurtriers ? C’est une farce inventée à plaisir ! Encore quelque amant que tu me caches ! J’ai été dupe de tes mensonges, j’ai été assez bête pour croire à ces histoires de père qui venait te voir… Certes ! tout est bien fini entre nous, Paulette, tout est fini, et je ne me laisserai pas moquer de moi ! Ah ! je vais lui parler, à ce soi-disant policier ! Et puisqu’il se cache dans ton boudoir, il n’ira pas ailleurs ! À nous deux, monsieur !

Léon Drapier, fou de colère, traversa la salle à manger et pénétra dans le boudoir, la canne levée, le regard menaçant.

Mais il s’arrêtait au milieu de la pièce… Celle-ci était vide.

— Lâche ! cria-t-il, montrez-vous !

Et, du bout de sa canne, il écartait un rideau près de la fenêtre, s’imaginant que là était caché le soi-disant policier qui, en réalité, ne devait être autre qu’un amant de Paulette !

La porte de la chambre à coucher toute voisine était entrebâillée.

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