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Ah, certes, il se doutait de l’identité de ce squelette.

D’une voix blanche, Fantômas interrogea :

— Mais qui donc, monsieur le procureur, qui donc a découvert les vestiges de ce squelette ?

— Qui ? murmura le procureur, ah Pradier, ah mon ami, c’est extraordinaire, c’est inimaginable, c’est fou.

— Qui ?

— Qui ? Fantômas.

— Fantômas ? que me dites-vous là ?

— Je répète : Fantômas. Fantômas, c’est-à-dire l’extradé, l’homme que la police amène de Louvain, l’homme que les gendarmes n’ont pas laissé évader, bien que…

Le procureur s’arrêta. D’une voix presque imperceptible, le faux Pradier articula :

— Y comprenez-vous quelque chose ?

— Je n’y comprends rien avoua le procureur. Mais d’ici quelques instants, nous saurons tout. J’ai donné l’ordre qu’on amène d’urgence Fantômas sous bonne garde au Palais de Justice. À tout à l’heure, Pradier, à tout à l’heure.

Fantômas n’avait pas esquissé un geste, il n’avait pas prononcé une parole que déjà la porte de son cabinet se refermait sur le procureur général qui repartait dans les couloirs du Palais. Et Fantômas, abasourdi, cherchait en vain à coordonner ses pensées, à fixer sa ligne de conduite.

Que devait-il faire ? Ce n’était évidemment plus pour lui qu’une question d’heures, et même une question de minutes. Il se comprima la tête entre les mains. Quel pouvait être cet extradé ? Que dissimulait encore ce confondant mystère ? Il était bien près de comprendre, de deviner. Mais il ne voulait pas voir clair. Il prétendait nier l’évidence. Et si grande était l’indomptable énergie du sinistre bandit qu’il reprenait son calme par un effort suprême de volonté.

— L’extradé, pensa-t-il, le mystérieux inconnu qui passe pour être Fantômas et qui jusqu’à présent n’a détrompé personne, est amené, m’a dit le procureur, ici même. Donc, dans quelques instants, on l’introduira dans mon cabinet, c’est à ce moment que j’agirai. À moins que, d’ici là, je n’aie disparu.

Et Fantômas jetait un regard de triomphe sur la marquise de Tergall qui, en proie à de douloureuses réflexions, demeurait effondrée dans un fauteuil, se rendant à peine compte de ce qui se passait autour d’elle.

Fantômas se rapprocha d’elle lentement.

— Il faut, pensait-il, que je m’en débarrasse.

Et dès lors le visage du bandit avait repris tout son calme, son admirable impassibilité.

Si Fantômas avait pu voir la scène qui se passait de l’autre côté du mur de son cabinet, il aurait été bien plus inquiet encore.

Dans le couloir, en effet, que traversait rapidement le procureur général pour retourner au Parquet, Jérôme Fandor attendait.

Le journaliste arrêta le haut magistrat, et lui prenant le bras, l’interpella :

— Monsieur le procureur, des drames épouvantables se passent ici, qui vont avoir tout à l’heure, si vous m’en croyez, leur dénouement. Un grand coupable est sur le point d’être pris, il ne tient désormais qu’à vous de procéder à son arrestation et de débarrasser le monde de cet être effroyable.

— Que voulez-vous dire ? interrogea, stupéfait, le procureur, qui lisait dans les yeux de Fandor que le jeune homme ne plaisantait pas.

— Je veux dire, poursuivit le journaliste, que Fantômas est à votre merci, à une condition, à une seule.

— Mais, monsieur, fit le procureur, je le sais aussi bien que vous, Fantômas, amené sous bonne garde va être ici d’un instant à l’autre.

Fandor hocha la tête, grommela des paroles inintelligibles, avant de reprendre :

— Fantômas, oui, sans doute, mais cependant écoutez, monsieur le procureur général. Je vous en supplie, croyez-moi. Je ne peux pas tout vous expliquer, et puis vous seriez tellement stupéfait, d’abord ce serait trop long. Mais jurez-moi une chose. Jurez-moi que dès que l’extradé sera au Palais de Justice, c’est vous qui le recevrez le premier, avant toute autre personne, avant le juge d’instruction surtout.

— Mais, monsieur.

— Jurez, monsieur le procureur général. Je vous en supplie à genoux, il y va peut-être de votre vie.

Interdit, le magistrat considérait Fandor les yeux hagards.

Décidément, dans la paisible localité de Saint-Calais il ne se passait plus que des choses étranges.

Le procureur général, toutefois, n’hésita pas à répondre à Fandor dans le sens que les journaliste désirait. Au surplus, il était tellement intrigué que l’idée d’interroger le premier l’extradé, ne lui déplaisait pas autrement.

— Monsieur Fandor, fit-il, c’est entendu, je serai le premier à le voir.

***

Cependant, la marquise, à laquelle Fantômas avait tendu une main hypocritement cordiale, s’était lentement relevée.

— Adieu, Charles, murmura-t-elle. Jusqu’à la clôture de l’instruction que votre remplaçant ne manquera pas d’ouvrir, je ne veux point vous voir, je me refuse à vous rencontrer. Hélas, en me soupçonnant, vous m’avez fait au cœur une plaie qui saignera longtemps. Mais je vous aime, car vous êtes mon frère, et je sais aussi toute l’affection que vous éprouvez pour moi. Je souhaite que Dieu vous épargne des épreuves nouvelles et qu’il nous permette dans un prochain avenir de nous retrouver ensemble l’un en face de l’autre, amis sans arrière-pensée, et tous les deux lavés de tout soupçon.

— Ainsi soit-il, murmura Fantômas, d’un ton énigmatique, cependant que, modérant à peine son impatience, il reconduisait la jolie veuve hors de son cabinet.

Sur le seuil la marquise de Tergall se heurta presque au commis-greffier qui revenait hors d’haleine.

Le brave Croupan s’effaça poliment pour laisser passer la marquise. Puis il entra dans la pièce.

— L’argent ? demanda Fantômas qui, au fur et à mesure que le temps passait, trépignait d’impatience, perdant toute mesure.

— Je l’ai, déclara le commis-greffier qui jeta sur le bureau du magistrat une liasse de billets soigneusement empaquetés.

Fantômas, déjà, s’en approchait avec un air de triomphe. Enfin, il la tenait, cette fortune, et il l’avait complète. Cinq cent mille francs de la marquise de Tergall, deux cent cinquante mille francs rapportés par le commis-greffier, plus les bijoux, c’était au bas mot un million, un million avec lequel dans deux minutes, dans trois au plus, Fantômas allait disparaître, s’enfuir.

— Allez donc voir dans la pièce à côté, ordonna-t-il au commis-greffier.

Mais celui-ci l’avait interrompu :

— Monsieur le juge, il arrive, il est arrivé.

— Qui donc ?

— L’extradé !

— Où est-il ?

— Dans le couloir. Je viens de le croiser, on dirait qu’il se rend chez le procureur.

— Chez le procureur, s’écria Fantômas qui, pris d’une inquiétude subite, bondit à l’entrée de son cabinet.

Croupan avait dit vrai.

Le faux Pradier arriva juste à temps pour apercevoir la silhouette du mystérieux extradé entre ses deux gendarmes, extradé que l’on conduisait en effet chez le procureur et que tout le monde croyait être Fantômas. Or, le vrai Fantômas avait reconnu l’extradé de Louvain qui n’était autre que Juve.

— Juve, murmura le bandit, je m’en doutais, j’en étais sûr, c’est Juve qui est là. Mais il me reste encore au moins deux minutes, et, d’ici deux minutes…

Fantômas rebroussa chemin, écartant d’un geste brusque le commis-greffier stupéfait.

Revêtant son pardessus, coiffant son chapeau, il s’apprêtait à fourrer dans ses poches la fabuleuse fortune qu’il avait réunie à portée de sa main lorsque le brave Croupan l’interpella doucement :

— Monsieur le juge sort ?

— Oui, Croupan. J’en ai pour cinq minutes. Un rendez-vous urgent.

Mais Croupan secoua la tête.

— Il n’y a rien à faire, monsieur, le Palais est consigné, cerné de tous les côtés. Nul ne peut le quitter en ce moment.

— Que racontez-vous là ? interrogea Fantômas blafard. Cette consigne que j’ignore ne concerne pas les magistrats.

— Mais si, monsieur, et je viens de l’apprendre à l’instant de l’adjudant de gendarmerie. Personne ne sort, pas même le président du tribunal.

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