Литмир - Электронная Библиотека
A
A

Bébé avait-il deviné juste ?

Tandis que l’Élève, qui avait l’esprit lent, réfléchissait aux paroles de son complice, tandis qu’il serrait dans sa poche, d’une main qui tremblait un peu, la crosse d’un revolver tout neuf, cadeau du juge Charles Pradier, le rapide, après s’être immobilisé quelques instants dans la gare de Connerré, démarrait, s’enfuyait à nouveau.

Et alors, tout comme l’avait prévu Bébé, les deux gendarmes empoignèrent chacun par un bras leur prisonnier, sortirent de la gare et d’un pas méthodique, grave, lent, s’éloignèrent sur la route déserte qui va de Connerré à Saint-Calais.

— Évidemment, murmurait Bébé à l’oreille de l’Élève, évidemment, mon vieux, ces types savent qu’ils ont manqué la correspondance. Ils s’apprêtent à rejoindre à pinces leur destination. Cavalons sur leurs chausses. Tu parles qu’on va rigoler.

On devait rigoler, en effet.

Une demi-heure plus tard, Bébé et l’Élève, usant de ruses savantes, ayant suivi les deux gendarmes et le prisonnier, se concertaient du regard :

— V’là l’instant, v’là le moment, dit Bébé.

De fait, l’endroit était désert ; gendarmes, prisonnier et apaches se trouvèrent en plein champ le long d’une route obscure. On voyait mal, car la nuit était noire, le ciel bas et il pleuvait à torrents.

— Marche, dit Bébé.

— Allons, dit l’Élève.

Les deux apaches, de plus en plus, s’étaient rapprochés, et tout à coup les deux gendarmes se retournaient :

— Tu y es, Bébé ?

— J’y suis.

Avant que les dignes serviteurs de l’ordre eussent eu le temps de se reconnaître, l’Élève et Bébé s’étaient élancés, leur sautaient à la gorge :

— À bas les gendarmes.

— Mort aux flics.

Certes, à ce moment, les deux lieutenants de Fantômas ne doutaient pas de la victoire. Tombant à l’improviste sur les deux pandores, ils allaient, pensaient-ils, les réduire à l’impuissance en moins de rien.

Ils se trompaient.

À peine les deux crapules s’étaient-elles élancées en effet, le couteau à la main, prêts à un massacre qui plaisait à leurs instincts sanguinaires, que les deux gendarmes, déjà, se retournaient, sur la défensive.

— Hardi, Léon.

— Hardi, Michel.

Le prisonnier s’était enfui sans avoir véritablement l’air de se presser.

Quant aux deux gendarmes, en un clin d’œil, avec l’habileté consommée de deux agents de police qui n’en sont pas à leur première arrestation, ils désarmaient leurs agresseurs, les renversaient sur la route, leur passaient les menottes, et demeurés maîtres du terrain, se relevaient alors, et, à la stupéfaction de Bébé et de l’Élève,

— Ma foi, mon vieux Michel, ça s’est passé comme sur des roulettes.

— Exactement comme M. Fandor l’avait prévu, mon bon Léon.

Comme M. Fandor l’avait prévu, se répétait le malheureux Bébé… Qu’est-ce que tout cela signifie ? Est-ce que, par hasard, Fantômas nous aurait trahis. Est-ce que, par hasard ?

Bébé n’eut pas le temps de réfléchir plus avant.

— Allons, debout, ordonna l’un des gendarmes. On va vous emmener à Saint-Calais.

D’une voix où Bébé croyait deviner un fou rire contenu, le gendarme ajouta :

— Vous venez de faire évader notre prisonnier, votre affaire est claire, vous verrez ce qu’on vous comptera demain. En route.

Pendant ce temps-là, d’un fourré voisin, Fandor, heureux et satisfait de la réussite de sa ruse, surveillait le départ de Léon et de Michel emmenant l’Élève et Bébé qui faisaient piteuse mine.

27 – HEURES D’ANGOISSE

— Quoi ? fit Fantômas, d’une voix irritée et du ton d’un homme qui est excédé d’être dérangé perpétuellement.

Le brave concierge prit une mine affectée :

— Je vous demande bien pardon, monsieur le juge, ça n’est pas de ma faute, mais M. le procureur général m’envoie voir si vous êtes à votre cabinet.

— Alors, fit Fantômas, mettons que j’y suis. Que faut-il ?

— Dans ce cas, déclara le concierge, du moment que vous y êtes, monsieur le juge, M. le procureur général m’a chargé de vous dire qu’il serait très désireux de vous voir.

— Mais je sors de son cabinet.

— Je ne dis pas le contraire, monsieur le juge.

— C’est bien, je me rends à l’instant chez M. le procureur général. D’ailleurs, il est tout près de midi, et c’est le moment de s’en aller déjeuner.

Le faux magistrat, tout en revêtant en hâte son pardessus, en coiffant son chapeau, disait à Croupan, le commis-greffier :

— Vous pouvez vous en aller, mais dépêchez-vous de prendre votre repas. Il faut que vous soyez là dans une heure et demie au plus tard, nous avons à travailler, cet après-midi.

Le commis-greffier jeta un mauvais regard à ce patron décidément trop fanatique.

Fantômas, avec une hâte fébrile, s’était rendu chez le procureur.

Comme il traversait les couloirs, malgré son intention d’arriver vite, il fut arrêté en cours de route par des membres du Tribunal, des avocats, qui venaient de se produire. Depuis le matin, d’ailleurs, l’affolement régnait au Palais de Justice.

Tout le monde, dans le milieu judiciaire, savait que, la veille au soir, le fameux extradé de la prison de Louvain, l’homme qui était emprisonné dans la célèbre maison cellulaire de Belgique, qu’on amenait pour être jugé à Saint-Calais sous l’inculpation d’être l’auteur moral de tous les crimes commis ces temps derniers, avait réussi à s’évader grâce à des complicités de deux individus, que Fantômas, était libre.

Et l’on demandait au juge Pradier des renseignements, des détails, que le faux magistrat d’ailleurs s’abstenait de fournir.

— Je ne sais rien, messieurs, rien de plus que ce que vous savez vous-mêmes, affirmait-il en s’arrachant d’un groupe de curieux qui sollicitaient ses confidences.

Puis Fantômas, accélérant encore son allure, parvint enfin au cabinet du procureur général.

— Vous m’avez fait demander ?

— Oui, j’ai du nouveau à vous apprendre, mon cher Pradier.

— De quoi s’agit-il ?

— Parbleu, toujours de la même affaire, de la terrible histoire de la gare de Connerré.

— Aurait-on repincé Fantômas ?

— Non, avoua le procureur. On n’a pas repris ce bandit. Mais on a arrêté les individus qui l’ont fait évader.

— C’est déjà quelque chose.

— C’est même beaucoup, car, je suis persuadé qu’en interrogeant habilement ces individus, deux apaches, d’ailleurs, que nous connaissons, nous allons finir par découvrir la trame d’un véritable complot ourdi en faveur de l’effroyable bandit Fantômas. Mon cher Pradier, ces hommes sont en route pour Saint-Calais, je viens de l’apprendre à l’instant par une dépêche de service, et dès deux heures de l’après-midi, ils seront à votre disposition. Naturellement, je compte sur vous pour mener à bien votre enquête.

— Monsieur le procureur, vous pouvez être assuré de mon concours le plus dévoué.

— Je n’en doute pas, Pradier, je n’en doute pas.

Là dessus, Fantômas disparut. Le procureur immobile, songeur, murmura :

— Pourvu que nous finissions par en sortir.

***

Fantômas, ou pour mieux dire le juge Pradier, depuis qu’il était arrivé à Saint-Calais, n’avait pas même pris le temps de s’assurer un domicile.

Il était descendu le premier soir à l’ Hôtel Européen, et il y était resté, y prenant ses repas dans une petite salle à part, couchant dans la chambre qu’il avait occupée la première fois qu’il arrivait à Saint-Calais.

Fantômas déjeunait ce jour-là sans le moindre appétit. L’effroyable bandit semblait de plus en plus inquiet sur les suites de l’aventure dans laquelle il s’était fourvoyé. La situation se compliquait pour lui. Et cependant, malgré tout, il avait confiance en son étoile. Il ne doutait pas que les choses s’arrangeraient au mieux de ses intérêts et de ses désirs.

Le Roi du Crime se trompait.

Certes, le coup audacieux qu’il avait combiné avait l’air d’avoir réussi, le personnage mystérieux qui se trouvait à sa place à la prison de Louvain avait été bel et bien mis en liberté. Mais Fantômas avait donné des instructions aux deux complices chargés d’assurer cette évasion et leur avait ordonné de faire disparaître ensuite le prisonnier arraché aux gendarmes, et de le tuer sans rémission. Or, Fantômas, s’il avait appris que la première partie de son projet était réalisée, n’avait point entendu dire qu’un meurtre eût été commis sur la personne de l’extradé. Cela le préoccupait singulièrement, car il redoutait que les bandits, ses complices, n’eussent manqué leur coup. Et puis, avaient-ils besoin de se faire arrêter ? Ce n’était pas indispensable, et même c’était maladroit, car, il n’y avait pas à en douter, le procureur venait de l’en informer. Bébé et l’Élève avaient été appréhendés.

63
{"b":"176525","o":1}