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— Sacrée cochonnerie de bon sort, je n’en sortirai pas vivant de cette cloche. Je me fatigue. Je vais lâcher.

Ribonard, par bonheur pour lui, avait heureusement pour lui exercé de nombreuses professions. Au cours d’une existence mouvementée, il avait été, entre autres, peintre en bâtiment. Il avait l’habitude du vide, il ne souffrait pas du vertige.

— Ma foi, risquons le tout pour le tout, finit-il par se dire. Je m’en vais, une seconde, lâcher mes deux mains, déboutonner ma veste et la reboutonner en emprisonnant le battant de fer entre mon corps et ma veste. Les boutons sont solides, le drap de mon veston résistera, ça m’attachera toujours un peu.

L’idée était excellente, Ribonard, par un prodige d’adresse réussit à la réaliser.

La situation, toutefois, n’était pas encore parfaite.

Si Ribonard ne pouvait plus basculer en arrière, il lui fallait encore étreindre, à peine de glisser, la partie renflée du bourdon. Or, à la longue, il se fatiguait terriblement le malheureux. Il eut vite la sensation que ses muscles allaient s’engourdir, se paralyser, qu’il allait desserrer son étreinte et dégringoler dans le vide, qui de plus en plus semblait le guetter, l’attendre.

Ribonard eut une autre idée.

— J’suis ici pour longtemps, gouailla-t-il, encore que l’appartement soit pas tout à fait à ma convenance… Faut que j’arrive à m’installer.

L’apache déboutonna ses bretelles. Il s’entoura l’une des cuisses d’un nœud coulant, puis, ayant ses deux mains libres, grâce à la façon dont il s’était boutonné sur le battant de fer, il attacha l’extrémité de ses bretelles à la charnière de la cloche. Dès lors, il était solidement fixé, il pourrait desserrer les jambes, il ne tomberait plus.

— Ça va mieux, murmura le malheureux qui, littéralement était à bout de forces. Ça va mieux. J’ai tout de même eu une fameuse idée le jour où j’ai acheté des bretelles en cuir de bonne qualité. Tiens, mais, j’y songe, j’ai une ceinture pour l’autre jambe.

Ribonard s’installait comme chez lui, se ficelait à l’intérieur de son étrange prison. Désormais, une jambe prise sous ses bretelles, l’autre maintenue par les nœuds de sa ceinture, il pouvait être assuré qu’il tiendrait aussi longtemps qu’il faudrait.

— Ça va bien, se déclara l’apache, maintenant, je ne tomberai pas. Mais d’autre part je ne peux pas rester ici toujours. Que diable va-t-il se passer ? Ah cochonnerie, quand je me retrouverai sur la terre ferme, si jamais je rencontre Fantômas, faudra que l’un de nous deux, lui ou moi, crève l’autre.

Mais c’étaient là de vaines menaces, et Ribonard quoi qu’il en eût, bien qu’il affectât de se rassurer un peu, songeait qu’il n’était pas encore près de descendre du clocher. Quelle solution en effet pouvait-il espérer à sa redoutable position ? Appeler ? Quand le jour serait venu, attirer l’attention des fidèles qui sans doute entreraient dans l’église ? Non, Ribonard n’appellerait pas. Ce serait à coup sûr se faire arrêter, et si Ribonard, à la rigueur se fût accommodé d’un peu de prison, il frissonnait à la perspective, certaine pour lui, de la rouge machine de Deibler. Que faire, alors ? Tâcher, quand il verrait plus clair, de sauter sur le plancher situé au milieu du clocher ?

Plus Ribonard calculait les distances, plus il mesurait de l’œil, le vide béant sous lui, et moins il se sentait disposé à risquer un pareil bond dans le vide. Non, sauter c’était se tuer à coup sûr. Et pourtant, il était évident qu’à peine de mourir de faim, d’épuisement, mourir de mort lente, il fallait coûte que coûte trouver moyen de quitter le clocher. Ribonard, soudain, alors qu’il venait de conclure qu’il n’y avait guère de chances de salut pour lui, éclata de rire, haussa les épaules, siffla, chanta, donna les signes d’une joie exubérante.

— Bon Dieu de bon Dieu, que je suis bête, murmurait l’apache, parlant tout haut sous l’empire de son émotion, sûr qu’en ce moment Fantômas est en train de s’apercevoir que je l’ai floué. Parbleu, quand il verra qu’il ne tient qu’un coffret vide, il y a gros à parier qu’il reviendra ici, pour me décrocher et reprendre les bijoux. Ma foi, ça sera bien le diable si, à ce moment-là, je ne parviens pas à l’embobiner, à le forcer à me passer l’échelle.

Rassuré à cette pensée, Ribonard commençait à voir les choses prendre meilleure tournure pour lui…

— Je donnerai la moitié des bijoux à Fantômas se disait-il, oui, ma foi, je la lui donnerai quitte à la lui reprendre sitôt que je serai à côté de lui, sur le sol ferme. Je n’ai pas perdu mon poignard, et ce n’est pas pour rien que j’ai appris à me servir de cet instrument quand je vivais au Natal. Après tout, je suis vanné, horriblement vanné. Qu’est-ce que je risque ? Maintenant que je suis attaché, si je me laissais aller à pioncer un petit peu ? C’est M. Fantômas lui-même qui me réveillera. Excusez du peu.

Ribonard ferma en effet, les yeux, se laissa envahir par une douce somnolence, épuisé qu’il était, lorsque brusquement, il se redressa, plongea des regards avides vers le bas de l’église.

Deux hommes venaient d’y entrer, un prêtre, semblait-il, un sacristain aussi, qui, dans le jour blafard de l’aube, s’affairaient, traînant derrière eux de lourds rouleaux d’étoffes noires, sortant à grands fracas, des placards de la sacristie, de grands chandeliers d’argent massif.

Alors Ribonard éclata, riant d’un rire fou et qu’il avait peine à garder muet :

— Sapristi de bonsoir, gouapa-t-il, je m’en vas entendre la messe. Y a tout de même longtemps que ça ne m’était pas arrivé.

***

Pâle à faire frémir, à toucher les cœurs de pitié, jolie malgré tout sous ses voiles de crêpe qu’elle relevait pour marcher d’un geste gracieux, élégante malgré elle, Antoinette de Tergall, à pas lents, vaillante en dépit de sa douleur, courageuse en dépit de l’angoisse intolérable qui lui serrait le cœur, suivait le convoi de son mari que l’on portait dans le caveau de la famille de Tergall.

L’enterrement, auquel avaient été invitées toutes les personnalités de Saint-Calais, auquel s’étaient rendues toutes les notabilités habitant le pays à dix lieues à la ronde, auxquelles s’étaient jointes bien des personnes venues de Paris, déroulait ses méandres le long de la route de campagne, entre les champs, par les vallons, dans une simplicité grandiose de décors que doublait encore le tragique apparat de la cérémonie.

Le pays ne possédant qu’un corbillard fort modeste, nulle voiture de deuil ne l’accompagnait, les proches suivaient à pied et, ainsi qu’il est coutume dans la Sarthe, la veuve marchait seule au premier rang tandis que le funèbre cortège à pas ralentis se dirigeait vers l’église et que le clergé, venu tout entier opérer la levée du corps, se tenait sur les bas côtés de la route, précédé d’un crucifix porté par un enfant de chœur et psalmodiant les graves cantiques d’espérance et de foi.

En arrière du cortège, un peu à l’écart, se groupant par sympathie naturelle, les magistrats de Saint-Calais échangeaient des propos qui n’étaient pas empreints de bienveillance exagérée.

— Vous direz tout ce que vous voudrez, monsieur le président, affirmait le procureur général, mais pour moi, ce décès demeure archi mystérieux. Il est inadmissible qu’il s’agisse d’un accident. Et d’autre part, il est impossible que l’assassin de Tergall soit le même que celui de Chambérieux. Que diable pour M. Chambérieux, nous sommes tous d’accord, maintenant. C’est de Fantômas qu’il faut parler. Chambérieux a été tué, comme conséquence directe, j’imagine, du vol des bijoux dont il avait été victime. Fantômas s’est débarrassé de lui, peut-être parce que Chambérieux le gênait. Peut-être parce que le jour du meurtre le bijoutier avait sur lui une somme importante. On n’en sait rien encore. Quelle explication, au contraire, peut-on proposer à la mort de Maxime de Tergall ? Fantômas n’assistait pourtant pas au déjeuner de chasse qui a précédé l’assassinat.

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