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— Maintenant, songeait-il, il est trop tard. J’ai eu l’air d’accepter les propositions de ce bonhomme, je ne peux plus les rejeter. Je suis engagé dans une aventure dont il ne m’est plus permis de sortir par la ruse. On verra si la force peut m’aider.

Telle était en effet la sinistre accoutumance au meurtre de l’âme du bandit qu’à toutes les questions Fantômas entrevoyait deux solutions :

Ou il tirait parti des circonstances en inventant quelque ruse subtile, ou il avait recours à la force. Il faisait de la Mort son alliée, tuait sans pitié, sans merci, sans hésitation d’aucune sorte, ceux qui se trouvaient sur sa route et qui étaient susceptibles de lui être occasion d’une gêne ou d’un ennui. C’est dans cet état d’esprit, songeant déjà que l’assassinat du voiturier s’imposait, que Fantômas monta dans la carriole. Cependant, l’homme qui le guidait paraissait un joyeux vivant, toujours de bonne humeur, doué d’un de ces tempéraments actifs qui aiment à se multiplier, à rendre service autant pour obliger autrui que pour trouver une occasion de se remuer, de dépenser leur énergie.

— Et comme ça, demandait-il, tout en faisant tourner son cheval qu’il avait pris par la bride, et comme ça, vous n’aviez pas de gros bagages ? Non ? Ou sans doute, alors, vous pensez les faire prendre demain matin par l’omnibus de l’hôtel ? Dame, sur ma carriole, je serais bien gêné pour vous mettre une grosse malle. Ici, on n’a pas de bonnes voitures, les chemins sont trop mauvais. Ah, ma foi, ça va vous changer de Mont-de-Marsan, peut-être bien ?

Les dents serrées, faisant un effort pour répondre au verbiage du bavard, Fantômas se borna à répliquer :

— Eh oui, un peu.

— Ah çà, se demandait au même moment l’extraordinaire bandit, qu’est-ce que tout cela signifie ? Cet homme a l’air de savoir parfaitement d’où je viens. Il me parle de Mont-de-Marsan, donc il me prend pour quelqu’un venant de Mont-de-Marsan. L’individu que j’ai tué tout à l’heure devait arriver de là-bas ? Hum, c’est bizarre. Comment cela va-t-il finir ? Vais-je pouvoir me tirer encore une fois indemne du piège imbécile où je suis tombé ?

Brusquement, Fantômas se sentait pris d’une sorte d’agacement, d’une véritable colère contre lui-même.

— J’ai agi comme un étourdi, pensait-il, en prenant les apparences, la personnalité du cadavre que j’ai fait, sans m’être au préalable renseigné sur ce qu’était ce bonhomme. À la rigueur, je puis admettre qu’un voiturier se trompe sur ma personnalité, mais, tout à l’heure, cet homme m’annonçait qu’il me conduisait « chez moi ». Qu’est-ce que c’est que ce « chez moi ». Quelle tête vais-je faire si, par hasard, j’y trouve de soi-disant parents, une femme, des enfants peut-être ?

Et de plus en plus, au fur et à mesure qu’il réfléchissait à la méprise du voiturier, aux conséquences tragiques que son erreur pouvait avoir, Fantômas voyait la nécessité qu’il y avait pour lui de supprimer ce témoin gênant, ce témoin qui, petit à petit, sans qu’il pût rien pour l’empêcher, au trot de son cheval, allait le conduire vers le mystérieux domicile qu’il lui attribuait dans sa simplicité, et où, sans aucun doute, les pires dangers devaient l’attendre.

Fantômas, cependant, était trop homme de sang-froid pour s’affoler quelle que fût la situation tragique où il se voyait réduit. Tout en s’installant sur la banquette de la carriole, il ne négligeait point d’observer les moindres détails qui pouvaient jeter un peu de clarté sur sa vraie situation.

La valise fatale, la valise marquée C. P., la valise qui l’avait fait prendre pour quelqu’un qu’il n’était pas, lui était précieuse à considérer. Ce n’était certainement pas un sac de grand luxe, mais c’était cependant une mallette de cuir jaune d’assez bonne apparence, témoignant que son propriétaire devait appartenir à une classe aisée, témoignant aussi qu’il devait souvent voyager, car on y voyait de nombreuses étiquettes attestant des déplacements dans tous les coins de France et même en des stations balnéaires, en Suisse, en Italie.

Cette valise, Fantômas la regardait avec des yeux dont il ne parvenait point à atténuer l’éclat.

Ah s’il avait pu, sans risquer d’intriguer le voiturier, défaire les sangles, ouvrir le compartiment, vérifier le contenu de ce sac.

— On ne voyage pas sans papiers, se disait Fantômas. On a toujours quelques lettres, quelques documents personnels. Je trouverais là dedans, à coup sûr, de quoi me documenter sur le personnage que j’ai tué, sur celui que je suis devenu.

Impossible malheureusement, d’ouvrir la valise. Ne fallait-il pas craindre en effet qu’à peine la malle entr’ouverte il en sortit quelque objet pouvant amener la découverte de l’imposture à laquelle se livrait, bien malgré lui, en somme, celui qui continuait à être aux yeux du voiturier « le voyageur attendu » ?

Or, tandis que Fantômas réfléchissait ainsi aux périls de sa situation, son conducteur, ayant mis son cheval dans la bonne direction, s’enlevait lentement sur le marchepied, gagnait sa place sur la banquette de bois à côté de Fantômas.

— En route, cria-t-il d’une voix enjouée. Nous allons presser le mouvement, mon beau monsieur, et vous verrez que nous n’en aurons pas pour longtemps avant d’être rendus à l’hôtel. C’est à l’hôtel que vous descendez ?

Fantômas soupira.

Comment pouvait-il se faire qu’il fût réellement « attendu » à Saint-Calais, si c’est à l’hôtel qu’il devait descendre ? Des paroles du voiturier, il semblait résulter qu’il était à la fois un voyageur ordinaire, quelconque, un voyageur de passage à Saint-Calais, et en même temps, un personnage dont « on » espérait la venue.

Fantômas n’hésita pas :

— C’est à l’hôtel, en effet, que je descendrai ce soir.

Il répondait cela au hasard, évidemment, mais en réfléchissant que, de toutes façons, mieux valait en effet pour lui s’installer dans un hôtel d’où il pourrait sans doute trouver moyen de s’échapper rapidement, que n’importe où ailleurs où la chose serait peut-être impossible. D’ailleurs, où aller, si ce n’était à l’hôtel ? Et puis, quelle importance avait, après tout, cette question, puisque, de plus en plus, Fantômas s’y décidait, il allait tuer cet homme et s’enfuir, s’enfuir loin des embûches qu’il soupçonnait devant lui.

Le voiturier, cependant, bien que son voyageur ne répondît que par monosyllabes, se faisait de plus en plus bavard :

— Ah dame, l’hôtel, faisait-il, tout en caressant du bout de son fouet l’encolure de son cheval, qui trottait paisiblement, dame, l’hôtel, vous allez le trouver bouleversé. Comme qui dirait sens dessus dessous, et c’est bien naturel. Je pense que vous avez entendu parler déjà des vols qui ont eu lieu ici ?

Fantômas, encore une fois, répondit, sans vouloir se compromettre :

— Oui, disait-il, j’en ai entendu parler.

Il n’ajoutait rien de plus. Il n’accompagnait sa réponse d’aucun commentaire, car, à la vérité, s’il était exact que depuis sa fuite de la prison de Louvain, Fantômas avait entendu parler des vols de Saint-Calais, s’il avait lu quelques articles de journaux relatifs à ces affaires, il n’était pas spécialement documenté à leur sujet.

De plus en plus, d’ailleurs, Fantômas négligeait de prêter attention aux paroles de son compagnon.

Depuis que l’on avait quitté la gare, le bandit s’absorbait dans la contemplation du paysage, cherchant instinctivement l’endroit propice où il pourrait accomplir son nouveau forfait sans courir le risque d’être découvert.

La route, d’abord, avait passé à travers champs dans une longue plaine découverte où il eût été de la dernière imprudence de tenter quoi que ce fût. Les fermes étaient nombreuses, des villages surgissaient à l’improviste des moindres replis de terrain, si jamais le voiturier assailli avait le temps de pousser un cri, Fantômas s’exposait à voir arriver des témoins fort gênants.

Or, comme la voiture avait parcouru trois ou quatre kilomètres, la route plongea à pic dans une sorte de grand vallon où, malgré la nuit complète qui s’était faite maintenant, Fantômas discernait à merveille des bois touffus, épais, de grande étendue.

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